jeudi 27 janvier 2022

JOE BONAMASSA "Time Clocks" (2021) par Benjamin


Joe Bonamassa est le nouveau stakhanoviste du blues. En une vingtaine d’années, l’homme a déjà produit plus de vingt albums solos, auxquels viennent s’ajouter quelques live et les très bons albums de Black Country Communion. Cette productivité digne des grands groupes des années 60/70 lui permit de s’imposer comme l’un des musiciens les plus populaires de sa génération. Au fil de ses productions, le public découvrit deux Joe Bonamassa. Le premier, fasciné par le blues boom anglais, maniait les gimmicks de Jeff Beck et Jimmy Page avec une ingéniosité variable. Au mieux, ce mimétisme donnait les deux premiers albums de Black Country Communion, qui parvenaient à développer un hard rock conventionnel mais parfaitement exécuté. Dans le pire des cas, il se mettait en tête de réinventer ce rock anglais qui le fascine tant.

Il ressemble alors à un élève tentant désespérément d’appliquer une leçon trop complexe pour lui. « Royal Tea » fut un fiasco car son auteur ne put que rouvrir la tombe des sixties/seventies, en ressortir les morceaux les mieux conservés, avant de les assembler maladroitement. Le second Bonamassa est plus authentique, c’est celui qui accompagna la chanteuse Beth Hart et enregistra le très bon « Redemption ». Aussi virtuose soit-il, notre ami Joe n’est jamais aussi bon que lorsque le blues l’oblige à simplifier ses plans. Il existe deux types de musiciens, ceux qui montrent la voie et ceux qui entretiennent un certain héritage, Joe fait indéniablement partie de la seconde catégorie. Voilà pourquoi il ne parvint pas à s’approprier le rock anglais, c’est une musique qui est faite pour aller toujours plus loin, une esquisse que les générations complètent sans cesse sans parvenir à imposer une version définitive. Dans « Royal Tea » Big Joe tenta de rendre hommage à Jeff Beck tout en mimant parfois David Gilmour, se noya dans ses admirations parce qu’il refusait de choisir une direction.

Notre homme voulait paraître authentique tout en surchargeant son œuvre d’effets pompeux, voulait rester un bluesman tout en se parant des oripeaux raffinés de la pop anglaise. Embourbé dans ses contradictions, notre yankee anglophile but une tasse royale. Un peu moins d’un an plus tard « Time Clocks » semble remettre un peu d’ordre dans ce chaos pompeux. L’album s’ouvre sur « Pilgrimage », une incantation Voodoo qui donne le ton d’un disque où la grâce et l’énergie parviennent enfin à coexister. Le solo ouvrant l’album rappelle que Pink Floyd fut, avant de partir dans ses requiem spatiaux, une bande de musiciens nourris aux mamelles du blues. Vient ensuite un riff développant un puissant mantra oriental, blues de bédouin chaud comme le soleil du Sahara.

Cette guitare lourde comme le plomb et étincelante comme un diamant brut suit la formule inventée par Jimmy Page, tout en la ramenant à ses origines. La pression monte progressivement et culmine dans une série de chorus majestueux. Du côté de la batterie « Time clocks » renoue avec une frappe sèche et binaire, rappelant ainsi l’héritage que Big Joe s’évertue à perpétuer. « The Heart never wait » nous ramène d’ailleurs à cette nuit où, propulsé par le swing implacable du grand Joe, Beth Hart fit d’Amsterdam la capitale du blues. Quand un piano délicieusement boogie souligne la cadence d’une batterie enjouée, Big Joe redevient le digne descendant des trois King (BB, Freddie et Albert).

Puis vient le titre qui fera date, celui qui permettra à l’album de traverser le temps sans vieillir. Le morceau titre réussit ce que « Royal Tea » avait si lamentablement raté, il permet au blues de se régénérer grâce à la grande musique anglaise. Lors du refrain, les notes les plus graves retournent visiter le côté sombre de la lune, les chœurs se joignant à ce tintement d’horloge céleste pour rappeler les rêveries atmosphériques du plus grand album de Pink Floyd. Pourtant, quand big Joe se lâche dans des solos lyriques, c’est encore l’ombre du blues qui plane au-dessus de ses accords. Elle s’épanouit de façon plus conventionnelle sur « Question and answer », titre où un riff viril et des chœurs gospels saluent les grandes heures du rock sudiste.

« Time clocks » est un album où la guitare prend tout l’espace, où une production très classieuse ne déborde jamais sur la puissance de ses riffs et la profondeur de ses mélodies. « Mind’s eyes » nous refait le coup de la ballade nostalgique, ses chœurs grandiloquents renouent avec la mélodie de « Time clocks ». On pense encore à Pink Floyd quand big Joe propulse ses chorus au-dessus de cette mélodie nuageuse, tel David Gilmour s’élevant au-dessus du mur de Pink Floyd pour jouer le solo de « Confortably numb ». Bonamassa parvient toutefois à garder ce feeling inimitable, ce mojo nostalgique définissant les bluesmen les plus raffinés. Malgré la production grandiloquente, malgré la splendeur des mélodies, « Times clocks » est avant tout un très bon album de blues. Blues de bédouin sur « Notches », blues nourri par des rêveries folk sur « The Loyal kind », blues sonnant comme une symphonie spatiale sur le morceau titre, et bien sur le blues éternel des pionniers s’épanouit sur un titre comme « The heart that never wait ».

Au bout du compte, « Time clocks » est une réussite. Si big Joe n’invente pas la poudre, il a au moins le mérite de nous faire redécouvrir une musique qui semble se fossiliser.

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