Voilà un auteur-compositeur-interprète de Blues-rock qui a été effacé des mémoires. Pour autant que l'on ait, au moins une fois, entendu ce musicien. Pourtant, pendant une dizaine d'années, il faisait partie du peloton de tête de la nouvelle vague américaine de Blues-rock (NWOABR), des premiers de cordée. Probablement le plus sérieux concurrent de Popa Chubby qui s'inscrivait alors comme un nouveau chef de fil depuis la parution de son magistral "Booty and the Beast" (👉 lien). Tout comme ce dernier, il était aussi l'un des piliers du célèbre "Manny's Car Wash". Maison qui n'accueillait plus depuis belle lurette des voitures, et qui s'était reconvertie dans le débit de boissons et la diffusion de musique live.
Bill Perry est né le 25 décembre 1957, à Goshen, dans l'état de New-York. Il débute tôt la guitare, entre cinq et six ans, se forgeant rapidement et essentiellement à l'écoute des disques de B.B. King. Plus tard, de nouveaux venus tels que Jimi Hendrix, Duane Allman et Johnny Winter vont sérieusement le marquer. Peut-être avait-il attrapé le virus d'un père lui-même guitariste. Un père cependant frustré par sa mère pieuse ne lui donnant aucune autre alternative que de s'exprimer musicalement à travers le Gospel (elle jouait aussi de l'orgue à l'église). Devant s'éclipser furtivement afin de fréquenter des clubs où l'on pouvait écouter des musiciens de Blues. Ainsi, le fiston fut en quelque sorte la revanche d'un père insatisfait. On ne sait pas si le paternel encouragea son fils, mais il lui laissa toutes libertés pour assouvir sa passion. A savoir, que la mère de Bill jouait aussi de la batterie.
Bill intègre indifféremment des groupes de Rock et de Blues, car pour lui, ce sont deux courants fortement liés, aux différences souvent ténues. Il obtient une solide réputation mais qui reste néanmoins limitée au New Jersey et à New-York, car en l'absence d'enregistrement, il lui ait difficile de décrocher des dates en dehors de ces (vastes) localités. Il avait bien accompagné Garth Hudson et Rick Danko en 1989, pour la tournée commémorant le vingtième anniversaire de Woodstock, mais cela n'alla pas plus loin. Il lui faut attendre la chance qui se présente sous l'apparence de Richie Havens qui le remarque dans un club du New-Jersey sur une reprise d'Hendrix, et qui lui propose de l'accompagner pour une tournée au Japon (ce sera son baptême de l'air). Finalement, le contrat est renouvelé après le Japon, et Bill reste quatre années au service de Havens. Par la suite, à l'occasion, il retrouvera ponctuellement celui qui lui a donné l'occasion de prendre un certain essor.
Dans les années 90, la scène Blues New-yorkaise est en effervescence, encouragé par la résurrection de vieilles gloires telles que John Lee Hooker, Buddy Guy, Johnny Winter et Albert Collins. - Et aussi, par un Irlandais balafré qui a décidé de lâcher son puissant Heavy-rock pour revenir au Blues, permettant ainsi d'éveiller la curiosité d'un public en général peu au fait de l'idiome des douze mesures -. Certes, il s'agit d'une scène majoritairement marquée par le Rock, voire le Hard-blues des 70's, au point où parfois le Blues, malmené, s'efface. Mais elle a le mérite de de le faire découvrir, voire de participer, en partie, à sa pérennisation. Au grand dam des puristes. Bill a désormais sa résidence au Manny Car Wash, l'incontournable club de la Grosse Pomme, où l'on peut parfois croiser quelques musiciens illustres venus écouter et découvrir de nouveaux talents. On raconte que dès que le gérant du club, Buddy Fox, a écouté sa démo, il l'a aussitôt contacté pour l'inviter à s'y produire.
En 1994, il réalise enfin un premier disque : "Love Scars". Cependant, édité et distribué par un modeste label (Rave-On Records), il reste confidentiel. Il lui faut attendre une nouvelle et salutaire rencontre. Cette fois-ci, c'est Johnny Winter qui, passant une soirée au Manny's, le découvre. Winter et Perry finissent la soirée en tapant le bœuf, discutant et sympathisant. Johnny, appuyé par son manager, parle et vante les mérites de Bill à son nouveau et dynamique label. Le département Blues de Virgin : Point Blank. Ce dernier rachète les bandes et publie l'album à une échelle internationale. Le public, comme la presse qui découvre cet artiste, apparemment sorti de nulle-part, est frappé par l'assise et la qualité des compositions de ce premier essai qui fait l'unanimité. Même les puristes, bien qu'échaudés par la fibre Rock, admettent que le gars a du talent. Les compositions sont non seulement solides, mais elles sortent du cadre de la simple redite ou des refonte des éternels standards du Blues. De plus, cet homme est loin d'être un manchot. Il parvient dans ses soli à faire le lien entre le West-side Blues, les trois King et certains mentors des 70's. Cerise sur le gâteau, il possède un grain de voix naturellement grave et étranglé, qui sied comme un gant au Blues et au Rock.
L'album n'est pas parfait, c'est un premier jet. Et parfois, Bill se laisse aller et peut se montrer un poil bavard, mais point babilleur. A l'image de la chanson éponyme qui envoie des soli en veux tu en voilà, gâchant presque cette belle pièce de heavy-blues funky, et de "Lost in the Blues" assez proche du Gary Moore période heavy-blues. Mais déjà l'on s'étonne que ce bonhomme seul, a enregistré et mixé douze pièces de solide Blues-rock au rendu si professionnel, en seulement six jours - juste trois pour les prises, en laissant les bandes tourner à l'insu du groupe, pour éviter la tension de l'enregistrement. D'ailleurs, Point Blank à qui l'on a parfois reproché de sortir des disques de Blues et Blues-rock au son trop policé (?), voire radiophonique, n'a effectué aucune retouche. Le label s'est contenté de ressortir ce disque tel quel. Par contre, le label aurait pu faire un effort pour la pochette, qui s'avère être la plus insipide qu'il n'ait jamais éditée. Et le son est bon, très bon ; avec un soin particulier accordé à cette basse ronde, dense et veloutée, et la batterie qui claque comme si le bucheron (ou le batteur) cognait de toutes ses forces sur ses fûts. Seules les cymbales sont bridées. Un équilibrage surprenant pour un premier essai auto-produit. On sent que l'artiste a du vécu, notamment en tant qu'accompagnateur, de soutien, qui l'amène à plus penser en terme de groupe qu'en tant artiste solo. Et surtout pas en terme de "guitar-hero" cherchant à en mettre plein la vue (les esgourdes). A penser en terme de chansons, plutôt qu'aux divers moyens de briller. Ce qui change de l'artiste solo de Rock ou de Blues à l'ego surdimensionné, tellement obnubilé par sa prestation qu'il couvre, écrase, le groupe. Egalement, les claviers de Jeremy Baum, délivrés avec une relative parcimonie, ne sont pas pénalisés. Même lors du long solo du slow-blues "Down", la guitare paraît un instant se raviser et baisser le son pour ne pas léser son compagnon des "touches d'ivoires".
Il faut dire aussi que grâce à ces nappes pourpres et bleues d'orgue, jamais les morceaux ne risquent de souffrir d'aridité, même lorsque Bill lâche la rythmique pour quelques soli expressifs de Stratocaster mordante. La basse d'Eric Winter (Richie Havens, Ronnie Earl, Susan Tedeschi, Bob Margolin, Walter Bishop Jr., Todd Wolfe ) a aussi un rôle déterminant, avec son inébranlable robustesse et souplesse, pouvant insuffler un parfum funky - serait-ce le fruit de l'étude studieuse des disque de B.B. King des années 60 ? -. Elle fait de "Boogie Blues", plus funky (en mode énervé) qu'autre chose, son propre terrain de jeu où elle s'octroie un court solo.
Le point d'orgue de l'album pourrait être "Fade to Blue". Une vieille composition de Perry, un Blues appuyé à mi-chemin entre le Chicago-blues de Willie Dixon - la basse reprend simplement le célébrissime riff de "Mannish Boy" en y rajoutant une petite fioriture - et un british Hard-blues. Richie Havens avait insisté pour l'incorporer à son album "Cuts to the Chase", en 1994. Un classique pour Bill qui restera longtemps solidement ancré parmi ses standards scéniques, déclenchant systématiquement l'approbation. La chanson est reprise en mode acoustique à la fin de l'album.
En acoustique il se révèle également un excellent musicien comme le prouve donc la reprise en clôture, ainsi que "Darkness of Your Love", évoquant le style de John Hammond Jr, celui-là même qui l'encouragea à plus jouer et à enregistrer en acoustique. Et "Smokey Joe", blues vif et rouillé dont la tension au bottleneck rappelle que Johnny Winter fut une influence déterminante - bien que non perceptible en électrique.
En dépit de l'apparente - et bien relative - sophistication, "Love Scars" est un album cru et direct, généreux, enregistré comme à la maison, avec le matériel habituel des musiciens. Pour Bill, principalement sa Fender Stratocaster 62, avec le secours de deux Charvel stratoïdes. Et une p'tite Gibson LesPaul prêtée par l'ingé-son. Pas d'effets, outre une wah-wah et parfois une Tube Screamer - resté longtemps un incontournable depuis Stevie Ray Vaughan. Côté amplis, un Fender Super Reverb 4x10 malmené (celui qu'il utilisait pour la scène), et, pour l'occasion un Fender Bassman, ainsi qu'un vieux Marshall des 60's pour les tonalités hendrixiennes.
Contrairement à nombre de ses confrères, Bill Perry n'a guère démérité avec ses albums suivants. Au contraire. Sans jamais rien perdre de son âme, sans jamais se contredire, il a su réaliser des disques toujours savoureux et plaisants. Et qui n'ont pas pris une ride. Aucun n'est décevant en quoi que se soit. Le dernier, "Don't Know Nothing About Love", paru en juillet 2006 et produit par son ami (et proche voisin) Ted Horowitz, est probablement l'un de ses meilleurs. Le dernier ? Hélas oui, car une année plus tard, il succombe à une crise cardiaque le 17 juillet 2007. Depuis, une fois l'an à Chester (ville où Bill passa une bonne partie de son enfance), à lieu au mois de juillet le Bill Perry Festival. Une journée conviviale, à l'esprit communautaire, commémorant sa musique, incluant occasionnellement d'autres musiciens disparus, où diverses petites formations viennent s'y produire - gratuitement.
🎶🎸
Hélas, tu n'as pas tort, on a un peu oublié Bill Perry, la preuve, ton article me rappelle à son bon souvenir, et j'ai pourtant plusieurs de ses disques ! Pas tort non plus en disant que de disques en disques, il devenait de plus en plus intéressant, un son plus moelleux, j'aime beaucoup le "Crazy kind of life". Nous avions déjà débattu je crois à propos de son disque live, dont le seul reproche était à mon sens de ne pas donner plus de place au clavier, trop discret, pas un seul solo en 72 minutes !
RépondreSupprimerJe l'avais vu au New Morning (en 2001 ?) salle dédiée habituellement au jazz, venu juste en trio, avec sa Strat blanche, il avait mis le feu, mes oreilles en bourdonnent encore, limite démonstration de style parfois, au détriment du feeling. Par contre, pas un mot, pas un sourire, je fais le job et c'est tout !
J'aime beaucoup sa voix profonde aussi.
De mémoire, il me semble que ses albums n'ont pas cessé de progresser.
SupprimerAu sujet du trio, à ses dires, il n'appréciait pas vraiment jouer sous cette forme - en dépit de son admiration pour Hendrix -, préférant l'apport d'un claviériste et même d'un second guitariste. Dans le cas contraire, il racontait alors devoir trop ou surjouer pour combler l'espace. Ce qu'il n'appréciait pas particulièrement.
Un sourire ou deux sur scène, ça ne mange pas de pain, et ça fait toujours plaisir au public (un peu comme lorsqu'on rentre dans une boutique...). C'est vrai que sur les rares extraits live de Perry, on ne le voit sourire qu'en de très rares occasions.
Aargh! Le son bien crasseux de la Telecaster sur Fade Into Blue...Le pied !
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