- Musique cool cette semaine Claude après une série de chroniques
copieuses, logique après une période de fêtes, hihi…
- En effet Sonia ! la sérénade pour cordes de Dvořák est très connue,
notamment la valse, le second mouvement, celle pour vent est festive…
Les deux œuvres marquent le renouveau de la musique tchèque à Prague la
mozartienne… Des œuvres raffinées…
- Du coup, ton papier est bref ; pour Dvorak, c'est la 12ème
chronique !! Myung-Whun Chung est un nouvel invité ?
- Oui, un maestro d'origine coréenne travaillant assidument en France ;
un spécialiste de Messiaen dont il a gravé toute l'œuvre symphonique. Il
a enregistré dans les années 90 quatre symphonies de Dvořák à la
philharmonie de Vienne avec talent, ainsi que les deux sérénades…
Dvořák vers 1875 |
On pourrait subodorer en regard de l'écart notable entre les numéros de
catalogue opus 22 et opus 44 que les
deux sérénades
ont été composées lors de deux périodes créatives assez éloignées dans la
carrière de
Dvořák. Et bien non, la première, pour cordes date de 1876, la seconde,
pour vents et deux cordes basses, date de 1878…
Rien de surprenant si l'on s'intéresse au parcours du musicien tchèque
auteur d'environ 111 ouvrages classés dans deux catalogues
différents. Le premier "opus" pour le moins ancien et foutraque, peu
chronologique et faisant l'impasse sur près de la moitié de son travail
reste encore en usage. Parue en 1964, l'interprétation de la symphonie ultime du maître par Herbert von Karajan mentionnait sur la pochette : Symphonie N° (9) N° 5 "du nouveau monde" (police et typographie respectées 😊)… On évaluait pourtant la
production de Dvořák
à près de 189 œuvres !
Le compositeur et musicologue tchèque
Jarmil Burghauser (1921-1997) a établi un nouveau catalogue entre 1960 et 1996.
Un travail de titan. Le catalogue "opus" listait les pièces dans l'ordre de
publication. Ainsi le
quatuor N° 8
de 1876 porte le n° d'opus 80, et le
quintette pour piano
génial sous-titré "Dumka" de 1887 le n° d'opus 81. Situation inverse par rapport aux
sérénades… Tout cela pourra paraître superflu, mais trouve son importance pour
apprécier l'évolution de l'art d'un compositeur du niveau de
Dvořák
au cours d'une vie de travail. Ce catalogue s'étend de B. 001,
une polka pour piano de
1855 à B. 206, l'opéra
Armida
de 1903. Opiniâtre,
Burghauser a ajouté une liste B. 401 à B. 814 d'œuvrettes inachevées. Les sérénades
portent désormais les références B. 052 et B. 077.
Quel intérêt de disserter sur cette taxonomie bordélique, préoccupation a priori intello ? Tout simplement car ce problème reflète le cheminement parfois chaotique d'un compositeur vers la postérité. Et Dvořák rencontrera bien des embûches pour y parvenir 😯.
Jarmil Burghauser |
Pourquoi un tel fouillis ? Contrairement à
Mozart
ou
Mendelssohn
qui composent de manière quasi parfaite dès l'adolescence et sont édités
dans la foulée,
Dvořák
devra travailler intensément avant de parfaire son style et gagner sa place
au soleil. Ses œuvres de jeunesse sont perfectibles ; quelques exemples
: Le
quatuor N°3
de 1869 (?) s'étire sur 1H10 avec un matériel thématique bien pauvre.
On ne le joue quasiment jamais et je fus surpris lors d'un double cycle
intégral
Schubert-Glass
en 2017 donné sur une semaine au Collège des Bernardins par le
Quatuor Manfred, un ensemble d'exception, que l'altiste qui présentait les quatuors de la
soirée ignora son existence… affirmant que le
15ème et ultime quatuor
de
Schubert
(45 minutes) était le plus long connu (pas faux vu sous cet angle). Une
anecdote significative du manque d'envergure de ce répertoire initial de
Dvořák. Je me suis levé en hurlant… Heu, non, ça c'est faux 😊. Même situation
pour les
quatre premières symphonies
(1865-1874) franchement peu imaginatives et longuettes (exceptée la
3ème, délicieusement pastorale -
Clic).
Comme je l'avais expliqué dans un billet de 2016, c'est en 1877, que la carrière de Dvořák décolle et que l'homme va enfin être reconnu comme le compositeur majeur qu'il deviendra après ses 35 ans. Découragé par le manque de reconnaissance et surtout déprimé (on le serait à moins) par les morts successives de ses trois premiers enfants entre l'été 1875 et septembre 1877, Dvořák compose un ambitieux Stabat Mater pour exorciser son chagrin, Stabat Mater terminé fin 1877 qui, par sa profondeur et sa qualité d'écriture rencontre enfin un triomphe lors de la première en version orchestrale en 1880… (Clic). Malgré tout, nombre de partitions passées ou futures seront publiées avec retard, d'où l'incohérence du catalogue opus remplacé petit à petit par celui de Burghauser. La même situation a perduré longtemps pour Schubert l'incompris, et pourtant de talent précoce, d'où l'usage tardif du chiche catalogue "opus" de 163 titres qui a été substitué avec le temps par celui de Otto Erich Deutsch qui se termine (provisoirement en fonction des recherches) à 966 ! Les deux sérénades sont donc contemporaines de la composition du Stabat Mater et montrent à l'évidence une progression dans la finesse d'écriture par rapport aux œuvres antérieures citées, surtout en terme de concision. Mais surtout Dvořák y apporte un vent nouveau : le folklore de sa bohème natale et chérie.
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Myung-Whun Chung |
- C'est nouveau Claude dans tes chroniques récentes ces propos sur des
sujets généraux assez savants liés à l'histoire de la musique ou d'un
compositeur, voire à la technique du son comme M. Charlin…
- Oui Sonia… quoique "savant" est un peu présomptueux dirait Nema.
Juste un petit plus pédagogique pour les amateurs. On lit ou pas… Les
œuvres et les artistes restent prioritaires. Et puis aujourd'hui,
programme divertissant, poétique et festif qui ne sera pas analysé via
un quelconque regard musicologique… Bon, parlons de
Myung-Whun Chung…
Comme sa compatriote Sumi Jo, la soprano écoutée il y a peu,
Myung-Whun Chung
est natif de Corée du Sud. La Corée, tout comme le Japon et la Chine à la
sortie de la réactionnaire Révolution Culturelle, participe activement à la
vie de la musique d'origine occidentale au niveau international, sans renier
sa propre tradition.
Chez les
Chung, la musique dite classique est affaire de famille puisque
Myung-Whun Chung pianiste et maestro de renom joue souvent en trio avec ses sœurs aînées
Kyung-wha Chung, violoniste, et
Myung-wha Chung, violoncelliste (nées l'une et l'autre en 1948 et 1944) Le
petit frère
Chung est né à Séoul en 1953. Oui, oui Pat, je sais, les puristes mettent
le prénom
Chung
en second.
Chung débute une carrière précoce
face au clavier. Il remporte en 1974 le concours Tchaïkovski, sachant
qu'il avait intégré à seulement sept ans l'orchestre de Séoul. (Il en sera le directeur de 2006 à 2015.) Pour apprendre la
direction d'orchestre, direction New-York puis la Julliard School. C'est à
cette époque que naît le
trio Chung
avec
Kyung-wha
puis Myung-wha. En 1979, à 26 ans, il devient l'assistant de
Carlo Maria Giulini
à Los Angeles. La liste des phalanges de prestige qu'il a dirigées est
impressionnante. En parallèle de son travail à Séoul, il dirige l'orchestre Philharmonique de Radio France
de 2000 à 2015 soit quinze ans, un record. Le niveau de cet
orchestre s'élève sensiblement pendant cette période.
Chung prend des risques, en l'occurrence proposer une intégrale des symphonies de
Mahler
de bon aloi en une seule saison de concerts : 2004 !
Myung-Whun Chung est un humaniste militant, de la paix et de la lutte écologique, luttant contre le trafique de drogue, ambassadeur de L'UNESCO et de L'UNICEF. En mars 2012, il parvient à inviter à Paris et à Toulouse l'Orchestre Unhasu de Corée du Nord en jumelage avec des formations hexagonales. Au programme : des œuvres coréennes et la 1ère symphonie de Brahms.
Des rumeurs circulent concernant la dissolution partielle voire totale de
l'orchestre de Pyongyang et même d'exécutions de musiciens. Entre les
informations en anglais ou en japonais, difficile de confirmer ces crimes
possibles dans le régime terrifiant du pays. Et dire que
Pyongyang signifie "la ville calme", ce n'est pas garanti ou alors au sens mortifère !
La discographie du maestro, parfois comme pianiste, est vaste et
exclusivement pour le label DG. À noter que c'est l'intégrale des œuvres
symphoniques d'Olivier Messiaen
(en albums isolés ou coffret de dix CD) avec la
Philharmonie de Radio France
qui en est la clé de voute ! Pierre Boulez
complétera le cycle complet… Un monument du disque. En 1995, il sera
lauréat de trois victoires de la musique.
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Johann Hamza : Le cortège nuptial (Autriche) XIXème |
Au milieu du XIXème siècle, la vie musicale praguoise s'écartera
de la tradition musicale germanique. Cet engouement perdurait depuis le
succès de
Mozart
lors de la création de
Don Juan
en 1787 et de sa
38ème symphonie
"Prague" offerte par Wolfgang en remerciement pour cet accueil beaucoup plus
enflammé que celui de la Vienne conservatrice qui boudera l'opéra génial qui
préfigure le romantisme.
Richard Wagner
l'homologuait comme "l'opéra des opéras". Et plus romantique que
Wagner…
En 1860 Prague vit encore à
l'heure autrichienne avec ses avantages : une affinité intacte pour le
classicisme élaboré de
Mozart
et la révolution dans l'écriture due à
Liszt
et
Wagner
et un inconvénient : l'attachement à l'académisme autrichien dans
l'inspiration.
Bedrich Smetana
et
Dvořák
se révèleront les premiers compositeurs notables à amorcer un mouvement
d'assimilation de la culture tchèque dans leurs compositions.
Ma Patrie
du premier, très connue grâce à
La Moldau
est une suite de poèmes symphoniques nourrie de références historiques et
descriptives aux mythes fondateurs de la Bohème historique.
Dvořák
a donc suivi un enseignement de qualité mais conservateur, une formation
solide mais à l'évidence contraire à ses aspirations esthétiques, handicap
perceptible dans la démesure et l'académisme des œuvres un chouia
boursouflées de ses premières années (quatuors
et
symphonies).
Praguois vers 1850 |
Dans la décennie 1870, comme
Smetana,
Dvořák
s'inscrit comme cofondateur d'une musique tchèque nationale (ce qui ne veut
pas dire nationaliste). Ce travail innovant connaîtra son aboutissement dans
les
deux
cahiers de danses slaves
de 1878 et 1886. Deux cahiers de huit danses chacun, dont la
genèse doit beaucoup à son ami proche
Brahms
auteur lui-même des célèbres
danses hongroises.
Le fruit du folklore traditionnel tchèque est dans le ver dès
1875 avec la sérénade pour cordes. Dans cette première partition du
genre,
Dvořák
souscrit à l'héritage mozartien par le choix d'une orchestration de cordes
conforme aux divertimentos de son ancêtre viennois. Les racines classiques
(menuet dans la sérénade pour vents) se conjuguent avec une thématique issue
d'airs populaires. L'écriture est révolutionnaire, la texture mélodique
débridée ou onirique, on perçoit un tel enthousiasme chez
Dvořák. Il couchera les notes sur le manuscrit en dix jours ! Comme chez
Beethoven, les motifs architecturant le premier mouvement et la valse se mémorisent
dès la première écoute.
La sérénade pour cordes comprend cinq mouvements :
1.
Moderato
2.
Tempo di valse (le passage le plus connu).
3.
Scherzo Vivace
4.
Larghetto
5.
Finale - Allegro vivace
La beauté et la spontanéité de cette musique n'appelle aucun commentaire
analytique. Elle coule de source et, par sa fraicheur champêtre et
guillerette, elle n'a guère de concurrente dans le genre hormis celle de
Tchaïkovski
de 1880 plus mélancolique voire pathétique (les deux hommes n'avaient
pas vraiment le même tempérament).
(Clic)
Je me permets de citer celle de
Korngold
de 1947, plus confidentielle, hélas, mais à la sensualité flirtant
avec un dramatisme très caractéristique du compositeur
allemand-hollywoodien. On parlera de
Korngold
dans peu de temps mais à propos d'un opéra.
Paysanne de Bohème |
À noter que les cordes de la
Philharmonie de Vienne
étant parmi les plus souples et soyeuses du monde… on savoure les sonorités
féériques imaginées par Dvořák.
Quant à
Myung-Whun Chung, il soigne avec gourmandise l'étagement des plans sonores et ne force
jamais le trait pour magnifier le ton bonhomme de la
partition.
Trois ans plus tard, en 1878, la
sérénade pour vents
voit le jour. Pour la petite histoire,
Dvořák
réunit treize instrumentistes de ses amis et issus de l'orchestre de Prague
dont il fut membre. La création a lieu le 17 novembre (mon anniversaire 😉).
L'orchestration rappelle celle d'une harmonie : deux hautbois, deux
clarinettes en si bémol et en la, trois cors en fa et si bémol puis en mi
bémol et en ré, deux bassons, un contrebasson (ad libitum, jouant dans les
mouvements I et IV) et deux cordes : un violoncelle et une contrebasse.
La richesse thématique est stupéfiante. L'introduction fait songer à un
défilé de soldats de plomb. Analyser la variété des motifs, le jeu des
transitions, les ruptures de timbres facétieuses, la fantaisie concertante
entre les pupitres, serait une folie. Dieu que cette musique remonte le
moral. Le menuet nous renvoie aux riches heures du jeune
Mozart
et son trio devient cavalerie légère. L'andante magnifie le folk de Bohème
et de Moravie mettant en vedette les solos de clarinettes ; un passage plus
farouche se développe dans la partie centrale. Le joyeux final se déploie en
perpetuum mobile.
Dvořák
nous a invité face à un kiosque dans un parc public baigné de clarté. Cette
sérénade comporte quatre mouvement (playlist 2)
Partition.
1.
Moderato, quasi marcia
2.
Minuetto - Tempo di minuetto-Trio - Presto, Tempo primo
3.
Andante con moto
4.
Finale - Allegro molto |
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
La discographie réunissant les deux sérénades propose quelques albums
excellents. L'album de
Myung-Whun Chung
est disponible de manière chaotique. Attention l'interprétation de
Herbert von Karajan
à
Berlin
de la
Sérénade pour cordes
tonne comme du
Schoenberg
de
la nuit transfigurée
! Simple avis ; ce qui convient à la tristesse expiatoire de
Tchaïkovski
s'adapte mal à cette musique de divertissement tchèque.
Ensemble idéal pour un tel répertoire : l'Orpheus Chamber Orchestra formé de virtuoses de la côte Est des USA et souvent cité dans les
chroniques. Le flot musical est vivant mais on pourra trouver les timbres
des cordes un peu rêches… (DG – 4/6).
(Deezer)
DECCA a réédité des gravures du chef Hans Schmidt-Isserstedt captées à Hambourg qui offrent un excellent programme pour découvrir les musiques inspirées par le Folk slaves et Hongrois. De Dvořák : les deux sérénades, un choix de 4 danses slaves et la 7ème symphonie. En complément 7 danses hongroises de Brahms qui fut l'inspirateur de son ami dans ce type de répertoire. La direction et le son sont disons… germanisant, mais du grand art néanmoins. (DECCA – 4/6). (You Tube)
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