lundi 24 janvier 2022

DVOŘÁK - Sérénades pour cordes (1876) et pour vents (1878) – Myung-Whun CHUNG – par Claude Toon

- Musique cool cette semaine Claude après une série de chroniques copieuses, logique après une période de fêtes, hihi…
- En effet Sonia ! la sérénade pour cordes de Dvořák est très connue, notamment la valse, le second mouvement, celle pour vent est festive… Les deux œuvres marquent le renouveau de la musique tchèque à Prague la mozartienne… Des œuvres raffinées…
- Du coup, ton papier est bref ; pour Dvorak, c'est la 12ème chronique !! Myung-Whun Chung est un nouvel invité ?
- Oui, un maestro d'origine coréenne travaillant assidument en France ; un spécialiste de Messiaen dont il a gravé toute l'œuvre symphonique. Il a enregistré dans les années 90 quatre symphonies de Dvořák à la philharmonie de Vienne avec talent, ainsi que les deux sérénades…


Dvořák vers 1875

On pourrait subodorer en regard de l'écart notable entre les numéros de catalogue opus 22 et opus 44 que les deux sérénades ont été composées lors de deux périodes créatives assez éloignées dans la carrière de Dvořák. Et bien non, la première, pour cordes date de 1876, la seconde, pour vents et deux cordes basses, date de 1878

Rien de surprenant si l'on s'intéresse au parcours du musicien tchèque auteur d'environ 111 ouvrages classés dans deux catalogues différents. Le premier "opus" pour le moins ancien et foutraque, peu chronologique et faisant l'impasse sur près de la moitié de son travail reste encore en usage. Parue en 1964, l'interprétation de la symphonie ultime du maître par Herbert von Karajan mentionnait sur la pochette : Symphonie N° (9) N° 5 "du nouveau monde" (police et typographie respectées 😊)… On évaluait pourtant la production de Dvořák à près de 189 œuvres !

Le compositeur et musicologue tchèque Jarmil Burghauser (1921-1997) a établi un nouveau catalogue entre 1960 et 1996. Un travail de titan. Le catalogue "opus" listait les pièces dans l'ordre de publication. Ainsi le quatuor N° 8 de 1876 porte le n° d'opus 80, et le quintette pour piano génial sous-titré "Dumka" de 1887 le n° d'opus 81. Situation inverse par rapport aux sérénades… Tout cela pourra paraître superflu, mais trouve son importance pour apprécier l'évolution de l'art d'un compositeur du niveau de Dvořák au cours d'une vie de travail. Ce catalogue s'étend de B. 001, une polka pour piano de 1855 à B. 206, l'opéra Armida de 1903. Opiniâtre, Burghauser a ajouté une liste B. 401 à B. 814 d'œuvrettes inachevées. Les sérénades portent désormais les références B. 052 et B. 077.

Quel intérêt de disserter sur cette taxonomie bordélique, préoccupation a priori intello ? Tout simplement car ce problème reflète le cheminement parfois chaotique d'un compositeur vers la postérité. Et Dvořák rencontrera bien des embûches pour y parvenir 😯.


Jarmil Burghauser

Pourquoi un tel fouillis ? Contrairement à Mozart ou Mendelssohn qui composent de manière quasi parfaite dès l'adolescence et sont édités dans la foulée, Dvořák devra travailler intensément avant de parfaire son style et gagner sa place au soleil. Ses œuvres de jeunesse sont perfectibles ; quelques exemples : Le quatuor N°3 de 1869 (?) s'étire sur 1H10 avec un matériel thématique bien pauvre. On ne le joue quasiment jamais et je fus surpris lors d'un double cycle intégral Schubert-Glass en 2017 donné sur une semaine au Collège des Bernardins par le Quatuor Manfred, un ensemble d'exception, que l'altiste qui présentait les quatuors de la soirée ignora son existence… affirmant que le 15ème et ultime quatuor de Schubert (45 minutes) était le plus long connu (pas faux vu sous cet angle). Une anecdote significative du manque d'envergure de ce répertoire initial de Dvořák. Je me suis levé en hurlant… Heu, non, ça c'est faux 😊. Même situation pour les quatre premières symphonies (1865-1874) franchement peu imaginatives et longuettes (exceptée la 3ème, délicieusement pastorale - Clic).

Comme je l'avais expliqué dans un billet de 2016, c'est en 1877, que la carrière de Dvořák décolle et que l'homme va enfin être reconnu comme le compositeur majeur qu'il deviendra après ses 35 ans. Découragé par le manque de reconnaissance et surtout déprimé (on le serait à moins) par les morts successives de ses trois premiers enfants entre l'été 1875 et septembre 1877Dvořák compose un ambitieux Stabat Mater pour exorciser son chagrin, Stabat Mater terminé fin 1877 qui, par sa profondeur et sa qualité d'écriture rencontre enfin un triomphe lors de la première en version orchestrale en 1880(Clic). Malgré tout, nombre de partitions passées ou futures seront publiées avec retard, d'où l'incohérence du catalogue opus remplacé petit à petit par celui de Burghauser. La même situation a perduré longtemps pour Schubert l'incompris, et pourtant de talent précoce, d'où l'usage tardif du chiche catalogue "opus" de 163 titres qui a été substitué avec le temps par celui de Otto Erich Deutsch qui se termine (provisoirement en fonction des recherches) à 966 ! Les deux sérénades sont donc contemporaines de la composition du Stabat Mater et montrent à l'évidence une progression dans la finesse d'écriture par rapport aux œuvres antérieures citées, surtout en terme de concision. Mais surtout Dvořák y apporte un vent nouveau : le folklore de sa bohème natale et chérie.

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Myung-Whun Chung

- C'est nouveau Claude dans tes chroniques récentes ces propos sur des sujets généraux assez savants liés à l'histoire de la musique ou d'un compositeur, voire à la technique du son comme M. Charlin…

- Oui Sonia… quoique "savant" est un peu présomptueux dirait Nema. Juste un petit plus pédagogique pour les amateurs. On lit ou pas… Les œuvres et les artistes restent prioritaires. Et puis aujourd'hui, programme divertissant, poétique et festif qui ne sera pas analysé via un quelconque regard musicologique… Bon, parlons de Myung-Whun Chung…

Comme sa compatriote Sumi Jo, la soprano écoutée il y a peu, Myung-Whun Chung est natif de Corée du Sud. La Corée, tout comme le Japon et la Chine à la sortie de la réactionnaire Révolution Culturelle, participe activement à la vie de la musique d'origine occidentale au niveau international, sans renier sa propre tradition.

Chez les Chung, la musique dite classique est affaire de famille puisque Myung-Whun Chung pianiste et maestro de renom joue souvent en trio avec ses sœurs aînées Kyung-wha Chung, violoniste, et Myung-wha Chung, violoncelliste (nées l'une et l'autre en 1948 et 1944) Le petit frère Chung est né à Séoul en 1953. Oui, oui Pat, je sais, les puristes mettent le prénom Chung en second.

Chung débute une carrière précoce face au clavier. Il remporte en 1974 le concours Tchaïkovski, sachant qu'il avait intégré à seulement sept ans l'orchestre de Séoul. (Il en sera le directeur de 2006 à 2015.) Pour apprendre la direction d'orchestre, direction New-York puis la Julliard School. C'est à cette époque que naît le trio Chung avec Kyung-wha puis Myung-wha. En 1979, à 26 ans, il devient l'assistant de Carlo Maria Giulini à Los Angeles. La liste des phalanges de prestige qu'il a dirigées est impressionnante. En parallèle de son travail à Séoul, il dirige l'orchestre Philharmonique de Radio France de 2000 à 2015 soit quinze ans, un record. Le niveau de cet orchestre s'élève sensiblement pendant cette période. Chung prend des risques, en l'occurrence proposer une intégrale des symphonies de Mahler de bon aloi en une seule saison de concerts : 2004 !

Myung-Whun Chung est un humaniste militant, de la paix et de la lutte écologique, luttant contre le trafique de drogue, ambassadeur de L'UNESCO et de L'UNICEF. En mars 2012, il parvient à inviter à Paris et à Toulouse l'Orchestre Unhasu de Corée du Nord en jumelage avec des formations hexagonales. Au programme : des œuvres coréennes et la 1ère symphonie de Brahms

Des rumeurs circulent concernant la dissolution partielle voire totale de l'orchestre de Pyongyang et même d'exécutions de musiciens. Entre les informations en anglais ou en japonais, difficile de confirmer ces crimes possibles dans le régime terrifiant du pays. Et dire que Pyongyang signifie "la ville calme", ce n'est pas garanti ou alors au sens mortifère !

La discographie du maestro, parfois comme pianiste, est vaste et exclusivement pour le label DG. À noter que c'est l'intégrale des œuvres symphoniques d'Olivier Messiaen (en albums isolés ou coffret de dix CD) avec la Philharmonie de Radio France qui en est la clé de voute ! Pierre Boulez complétera le cycle complet… Un monument du disque. En 1995, il sera lauréat de trois victoires de la musique.

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Johann Hamza : Le cortège nuptial (Autriche) XIXème

Au milieu du XIXème siècle, la vie musicale praguoise s'écartera de la tradition musicale germanique. Cet engouement perdurait depuis le succès de Mozart lors de la création de Don Juan en 1787 et de sa 38ème symphonie "Prague" offerte par Wolfgang en remerciement pour cet accueil beaucoup plus enflammé que celui de la Vienne conservatrice qui boudera l'opéra génial qui préfigure le romantisme. Richard Wagner l'homologuait comme "l'opéra des opéras". Et plus romantique que Wagner


En 1860 Prague vit encore à l'heure autrichienne avec ses avantages : une affinité intacte pour le classicisme élaboré de Mozart et la révolution dans l'écriture due à Liszt et Wagner et un inconvénient : l'attachement à l'académisme autrichien dans l'inspiration. Bedrich Smetana et Dvořák se révèleront les premiers compositeurs notables à amorcer un mouvement d'assimilation de la culture tchèque dans leurs compositions. Ma Patrie du premier, très connue grâce à La Moldau est une suite de poèmes symphoniques nourrie de références historiques et descriptives aux mythes fondateurs de la Bohème historique. Dvořák a donc suivi un enseignement de qualité mais conservateur, une formation solide mais à l'évidence contraire à ses aspirations esthétiques, handicap perceptible dans la démesure et l'académisme des œuvres un chouia boursouflées de ses premières années (quatuors et symphonies). 


Praguois vers 1850

Dans la décennie 1870, comme Smetana, Dvořák s'inscrit comme cofondateur d'une musique tchèque nationale (ce qui ne veut pas dire nationaliste). Ce travail innovant connaîtra son aboutissement dans les deux cahiers de danses slaves de 1878 et 1886. Deux cahiers de huit danses chacun, dont la genèse doit beaucoup à son ami proche Brahms auteur lui-même des célèbres danses hongroises.

Le fruit du folklore traditionnel tchèque est dans le ver dès 1875 avec la sérénade pour cordes. Dans cette première partition du genre, Dvořák souscrit à l'héritage mozartien par le choix d'une orchestration de cordes conforme aux divertimentos de son ancêtre viennois. Les racines classiques (menuet dans la sérénade pour vents) se conjuguent avec une thématique issue d'airs populaires. L'écriture est révolutionnaire, la texture mélodique débridée ou onirique, on perçoit un tel enthousiasme chez Dvořák. Il couchera les notes sur le manuscrit en dix jours ! Comme chez Beethoven, les motifs architecturant le premier mouvement et la valse se mémorisent dès la première écoute.

La sérénade pour cordes comprend cinq mouvements :

1.  Moderato

2.  Tempo di valse (le passage le plus connu).

3.  Scherzo Vivace

4.  Larghetto

5.  Finale - Allegro vivace

 

La beauté et la spontanéité de cette musique n'appelle aucun commentaire analytique. Elle coule de source et, par sa fraicheur champêtre et guillerette, elle n'a guère de concurrente dans le genre hormis celle de Tchaïkovski de 1880 plus mélancolique voire pathétique (les deux hommes n'avaient pas vraiment le même tempérament). (Clic) Je me permets de citer celle de Korngold de 1947, plus confidentielle, hélas, mais à la sensualité flirtant avec un dramatisme très caractéristique du compositeur allemand-hollywoodien. On parlera de Korngold dans peu de temps mais à propos d'un opéra. 


Paysanne de Bohème

À noter que les cordes de la Philharmonie de Vienne étant parmi les plus souples et soyeuses du monde… on savoure les sonorités féériques imaginées par Dvořák.

Quant à Myung-Whun Chung, il soigne avec gourmandise l'étagement des plans sonores et ne force jamais le trait pour magnifier le ton bonhomme de la partition.

 

Trois ans plus tard, en 1878, la sérénade pour vents voit le jour. Pour la petite histoire, Dvořák réunit treize instrumentistes de ses amis et issus de l'orchestre de Prague dont il fut membre. La création a lieu le 17 novembre (mon anniversaire 😉). L'orchestration rappelle celle d'une harmonie : deux hautbois, deux clarinettes en si bémol et en la, trois cors en fa et si bémol puis en mi bémol et en ré, deux bassons, un contrebasson (ad libitum, jouant dans les mouvements I et IV) et deux cordes : un violoncelle et une contrebasse.

La richesse thématique est stupéfiante. L'introduction fait songer à un défilé de soldats de plomb. Analyser la variété des motifs, le jeu des transitions, les ruptures de timbres facétieuses, la fantaisie concertante entre les pupitres, serait une folie. Dieu que cette musique remonte le moral. Le menuet nous renvoie aux riches heures du jeune Mozart et son trio devient cavalerie légère. L'andante magnifie le folk de Bohème et de Moravie mettant en vedette les solos de clarinettes ; un passage plus farouche se développe dans la partie centrale. Le joyeux final se déploie en perpetuum mobile. Dvořák nous a invité face à un kiosque dans un parc public baigné de clarté. Cette sérénade comporte quatre mouvement (playlist 2) Partition.

1.  Moderato, quasi marcia

2.  Minuetto - Tempo di minuetto-Trio - Presto, Tempo primo

3.  Andante con moto

4.  Finale - Allegro molto



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La discographie réunissant les deux sérénades propose quelques albums excellents. L'album de Myung-Whun Chung est disponible de manière chaotique. Attention l'interprétation de Herbert von Karajan à Berlin de la Sérénade pour cordes tonne comme du Schoenberg de la nuit transfigurée ! Simple avis ; ce qui convient à la tristesse expiatoire de Tchaïkovski s'adapte mal à cette musique de divertissement tchèque.

Ensemble idéal pour un tel répertoire : l'Orpheus Chamber Orchestra formé de virtuoses de la côte Est des USA et souvent cité dans les chroniques. Le flot musical est vivant mais on pourra trouver les timbres des cordes un peu rêches… (DG – 4/6). (Deezer)

DECCA a réédité des gravures du chef Hans Schmidt-Isserstedt captées à Hambourg qui offrent un excellent programme pour découvrir les musiques inspirées par le Folk slaves et Hongrois. De Dvořák : les deux sérénades, un choix de 4 danses slaves et la 7ème symphonie. En complément 7 danses hongroises de Brahms qui fut l'inspirateur de son ami dans ce type de répertoire. La direction et le son sont disons… germanisant, mais du grand art néanmoins. (DECCA – 4/6). (You Tube)




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