En entamant cette chronique, je me suis fait cette réflexion… oui, car j’essaie dans la mesure de mes faibles capacités de réfléchir de temps à autres… que Steven Spielberg avait abordé pas mal de genres, SF, drame, aventures, guerre, mais aucun des trois genres historiques américains, que sont le Film Noir, le western, et la comédie musicale. Et bien maintenant, c’est fait.
Pépère,
74 ans aux nougats, s’attaque au remake d’un monument du genre, WEST SIDE STORY,
réalisé par Robert Wise en 1961, avec Nathalie Wood et un George Chakiris grimé en portoricain. Un classique que j’ai revu y’a 2 ou 3 ans, c’est
quand même un peu longuet (désuet ?) je ne suis pas certain que l’interprétation
soit si exceptionnelle (en cela les deux versions sont raccords !) mais la musique et les numéros chorégraphiés sont
magnifiques. Fallait tout de même oser en faire une nouvelle version. Pas si nouvelle d'ailleurs, puisque Spielberg n’allait pas modifier le
livret, la musique, ni la dramaturgie, sous peine d'être pendu à la grue de sa Dolly par les fans de la première heure. On songe parfois à ce qu'avait fait Gus van Sant en re-filmant PSYCHOSE à l'identique.
A mon sens, deux grands points divergent, et c’est une très bonne chose. Spielberg a déplacé l’action dans d’autres décors (car en 60 ans New York a changé, impossible de retrouver les mêmes lieux) et il a surtout noirci l’atmosphère.
Le symbole visuel de WEST SIDE STORY sont ces escaliers extérieurs métalliques typiques des immeubles new-yorkais, ils étaient d’ailleurs dessinés sur l’affiche de 1961. Le premier plan du film de Spielberg est un long mouvement de grue, qui commence sur des gravats, on voit ce qui reste de ces (fameux) escaliers, tordus, rouillés, on découvre un paysage de désolation, ruines, les boules de démolition, pelleteuses. C’est un quartier entier qui a été démoli, en vue d’être réhabilité.
Le film se passe à la même époque que l’original, et la photographie, les couleurs, le grain de pellicule (car Spielberg filme en 35mm, pas en numérique) renvoie à cette époque. On a l’impression de voir un film réalisé y’a 60 ans, c'est bluffant, y compris dans le jeu des acteurs, c’est peut être là où le bât blesse. Mais Spielberg situe l’action dans un quartier qui se meurt, se transforme, ça change la donne et participe à cette vision de fin du monde.
Le film est plus noir, sombre. Après le premier numéro (les claquements de doigts, l’affrontement des Jets et des Sharks) le flic qui intervient n’a rien d’une assistance sociale, il gifle les portoricains, il est ouvertement raciste, il dit aux Jets de « réussir dans la vie, habiter de beaux immeubles dont les portoricains seront les portiers ». Il est clairement de parti-pris.
Il y a aussi les combats, qui chez Robert Wise étaient chorégraphiés. Spielberg garde l’idée au sens où les combats sont stylisés, millimétrés dans leurs mouvements (la bagarre aux couteaux) mais il n’en fait pas des numéros de danse. L’idée est de ne pas d’adoucir la violence, l’embellir, mais de la traiter avec réalisme. L’antagonisme entre Jets et Sharks porte moins sur le territoire des gangs, que sur l’origine ethnique, la couleur de peau. Spielberg n'est pas bigleux, il voit son pays se déliter, se radicaliser, et plaide pour le vivre-ensemble.
Tout en respectant l’intrigue, tirée du Roméo et Juliette de Bill Shakespeare, Spielberg crée de nouveaux numéros chorégraphiés, davantage en extérieur. Ainsi, le fameux « America » n’est plus filmé sur le toit de l’immeuble, mais dans les rues (on pense un peu au LALALAND de Damien Chazelle) sur un marché, où les paroles de la chanson sont littéralement illustrées par la figuration. Ces ballets en pleine rue, filmées à renfort d’amples mouvements de caméra sont superbes et euphorisants.
La rencontre entre Maria et Tony est magnifique. On entre dans le gymnase qui sert de salle de bal avec un travelling avant très rapide, les portes s'ouvrent sur des dizaines de danseurs, les duos se forment, l'ambiance s'électrise, et au beau milieu de cette frénésie Spielberg cadre Maria, en arrière plan, lumineuse dans sa robe blanche, presque masquée par un tourbillon de danseurs survoltés. Moment de grâce, instant suspendu, les tourtereaux sont visuellement distingués du maelstrom, avant de s’isoler derrière des gradins pour leur premier baiser. Superbe !
La chanson « I feel pretty » n’est plus située à l’arrière d’une boutique mais dans un grand magasin, l’idée est la même mais bigger than life, davantage de mouvements, de rythme. Le combat fatal et létal sera filmé dans un hangar de sel de dégivrage, décor lunaire, avec un superbe plan en plongée vertical lorsque les protagonistes arrivent, leurs ombres étirées au sol qui les précèdent.
Le grand changement vient du personnage de Doc, qui tenait la boutique où travaillait Tony, sorte de no man’s land où chaque bande avait ses habitudes. Doc est devenue Valentina, qui est interprétée par Rita Moreno (90 ans aux miches) qui dans la version de 1961 jouait le personnage d’Anita. Plus qu’un clin d’œil, c’est une perche lancée entre les deux versions, deux époques.
Alors Spielberg évidemment s’en donne à cœur joie, mouvements de caméra, axes des plans, couleurs, rythme (les numéros de danse sont me semble-t-il plus découpés), il fait passer sa caméra dans des trous de souris (Maria sur son lit filmée entre le cercle des barreaux, Tony à travers l’enseigne du magasin, le plan final à travers les marches). Il reprend le matériau original soucieux de ne pas trahir, ni de décevoir les aficionados (la très belle scène de « Tonight » sur les escaliers) tout en injectant son style, et quelques nouveautés. D’une longueur identique (2h35) on pourra tout de même objecter qu’après « Jet song » ça patine un peu, il y a deux longues scènes dialoguées qui auraient méritées d’être raccourcies (c’est pas comme si on découvrait l’histoire !).
D’autant
que certains acteurs sont assez faibles dans leurs interprétations, c'est même étonnant qu'aucun ne sorte du lot. Ansel
Elgort qui joue Tony, est un peu tête à claques, son
jeu apparaît vieillot, maniéré, le balourd Josh Andrès Rivera (Chino) frise l'erreur de casting, les filles s'en sortent mieux, surtout Ariana DeBose (Anita). Sont-ils vraiment mauvais à la base, ou est-ce un choix de direction d'acteurs pour rester dans le ton des années 60 ? Hum... pourquoi Spielberg aurait poussé l'hommage jusque là ?
Le personnage de Anybody’s, le garçon
manqué qui voulait intégrer les Jets, était jouait par une actrice, aux cheveux
ras. C’est Ezra Menas, acteur transgenre, qui reprend le rôle, fille, garçon,
on ne sait pas, Anybody’s se fait traiter de lesbienne par les Jets, ce qui
vaut au film d’être interdit dans certains pays rigoristes. Faut les comprendre, une fille aux penchants lesbiens c'est déjà scandaleux, un gars efféminé, ce sont les flammes de l'enfer assurées, mais là... on ne sait même pas à qui on a affaire ! Vous noterez que les portoricains sont interprétés par des portoricains, histoire de ne pas se mettre à dos la communauté (à l'époque, qui jouait E.T ?).
La dernière séquence est presque apocalyptique, tragique à souhait, immeubles en ruine, avenue déserte, sans vie, nuit, brume, un dernier long travelling ascendant qui monte le long des escaliers métalliques, cadrant l’arrivée des voitures de police à travers deux marches, d’une précision millimétrée.
Question à cent balles : fallait-il refaire WEST SIDE STORY, dont la version de Spielberg est à 85% identique ? D'abord, s’il en avait envie, y fait c’qui veut ! Ensuite, cette version, entre hommage, remake, relecture, est à la fois foisonnante, colorée et virtuose, sombre, amère et politique. Si on aime la comédie musicale en particulier ou le grand cinéma en général, pourquoi bouder son plaisir ?
Et maintenant Steven, on s'attaque à LA PRISONNIÈRE DU DÉSERT (qui était aussi avec Nathalie Wood) et ASSURANCE SUR LA MORT. Hop, au boulot !
couleur - 2h35 - scope 1:2.35
Mouais, ça sent tout de même plus le gros truc à faire chanter le tiroir-caisse que le public.
RépondreSupprimerJe ne vois pas trop l'intérêt de faire un film quasi à l'identique de l'original. (il aurait peut-être pu inclure "Gutter Cat Vs The Jets" ; cela aurait eu du panache, non ? 😁). Pourquoi ne pas réécrire un livre, ou une BD, afin de s'en attribuer le mérite ? 🙂
C'est un peu comme ces disques de reprises, où l'on s'efforce de coller à l'original, qui commencent à bien saturer le marché
C'est un projet qui lui tenait à coeur, c'est sentimental, son père l'avait emmené voir le film en 61, le petiot ne s'en était pas remis ! Pas sûr que ce soit pour le tiroir-caisse, sinon il aurait fait Indiana Jones 5 (qu'il aurait dû faire, et qui sera réalisé par un autre). Ce n'est pas un film très commercial, d'ailleurs, la foule ne s'y précipite pas.
RépondreSupprimerC'est vrai que si (par exemple) U2 réenregistrait "Sergent Pepper", dans les mêmes studios, les mêmes conditions, avec les mêmes instruments, ça ferait drôle !
Oui. Perso, j'aurais plutôt mis Slayer. Grosse rigolade 😁
SupprimerBon, maintenant, y'a bien Kirk Hammet qui massacre Peter Green, et tous (ou presque) s'extasient 😈
J'ai écouté le dernier Gov't Mule, effectivement, très bel album de blues. J'aime les bien cuivres discrets.
RépondreSupprimerCe ne sont pas les Immates qui avaient repris Sergent Pepper (en live) ? L'album est cultissime.
Oui, that's right ! Album magnifique ! Qui avait d'ailleurs fait un certain tabac en France - (mais pas d'invitation à la télé. Faudrait pas exagérer 😁).
SupprimerEt qui pour le coup, avait relancé la carrière du groupe (en Europe).
Et là, rien de commercial, puisqu'à l'origine ce n'était juste que l'objet d'une unique soirée (en juin 87) dédiée aux scarabées, dans une salle parisienne.
Pour la petite histoire, Bill Hurley n'était guère emballé, avouant que son cœur penchait bien plus vers les Stones. Heureusement, il finit pas plier. Résultat un vrai et super concert qui a servi de matière à un live de feu.
Le groupe avait choisi parmi les titres les plus percutant, les plus rock'n'roll des Fab' Four. On attend toujours la réédition.
"Meet The Beatles - Live in Paris" 1988
On n'avait pas déjà écrit un truc sur ça ?
Salut ! Bon ben, à te lire, ça n'est pas mal du tout, même si y a des claques qui se perdent parmi les acteurs.
RépondreSupprimerBon... Déjà que pour l'original, je n'ai jamais été "fan", alors là... avec cette version signée Spielberg, je ne crois pas que je me déplacerai... à moins de n'avoir rien de spécial à faire la semaine prochaine. Tiens, ça devrait te parler : je m'engage dans une série autour de Nicholas Ray. Mouais. Le pauvre réalisateur, qu'est-ce qu'il a pu subir comme méfaits à Hollywood.
freddiefreejazz
Nicholas Ray... le mec marié à la divine (et sculpturale) Gloria Grahame, réalisateur adoré de la Nouvelle Vague, qui a fait "Les amants de la nuit" , "Johnny Guitar" , "La fureur de vivre" , "Traquenard"... rien que pour ça on lui doit une reconnaissance éternelle.
RépondreSupprimer"à moins de n'avoir rien de spécial à faire la semaine prochaine"... Voilà pourquoi les salles de cinéma sont vides, à cause de "pourquoi pas". Bon sang, ce n'est pas à toi que je vais apprendre que le cinoche c'est une projection d'images sur grand écran, et pas devant sa télé ! Bougez-vous le fion, sinon Netflix et Amazon auront gagné la partie. Godard disait : "la différence entre le cinéma et la télévision, c'est qu'au cinéma on lève les yeux vers l'ècran". C'est tellement vrai !
Ouais, la Gloria qui a couché avec le fils de sa première femme, à Nick... il avait 13 ans, il paraît. D'ailleurs, quelques années plus tard, le gamin, il l'a épousée la Gloria... ahlala... Bon, pour le reste, me déplacer, ça marche : tu as raison, tu m'as convaincu et m'as rappelé ce dont à quoi j'ai toujours cru (comme toutes ces années où j'ai préféré attendre de voir Taxi Driver, La Soif du Mal, Apocalypse Now et plein d'autres films au cinéma plutôt que de les voir à la téloche. Les potes me prenaient pour un cinglé quand je leur répondais que tant pis si je manquais tel film à la télévision. Merci pour la piqûre de rappel, donc.
RépondreSupprimerJe te tiens au courant.
freddie
Toujours préférer l'original à la copie qu'ils disent les gars de la Marine ... Ils ont tort, comme d'hab, c'est pas toujours vrai ...
RépondreSupprimerRefaire des films quasiment à l'identique, je vois pas trop l'intérêt, même si on s'appelle Spielberg. Evidemment, ce sera pas infâme, mais à quoi bon ... quoique à tout prendre, plutôt refaire West side story, qu'être original avec Ready player one ...
Sinon, une reprise de l'intégralité de Sgt Peppers, ça existe, c'est les Flaming Lips qui l'ont fait (y'en a peut-être d'autres, ça devient la routine maintenant, refaire en studio ou en live des disques à l'identique). jamais écouté, pourtant j'aime assez les Flaming Lips ..
On peut te lire où, freddie ?
Les auto-remake de "L'homme qui en savait trop" par Hitchcock ou "Elle et Lui" de Leo McCarey étaient pas mal...
RépondreSupprimer"Ready Player one" pas vu en entier, juste les scènes piquées chez Kubrick. Je note que dans l'original, la dame qui sort de sa baignoire est filmée nue, de front, Steven S. use d'artifice pour masquer la nudité. Tout est dit.
Luc, c'est fait, avec mon amie, je suis allé voir un film au cinoche. 4 + nous 2 dans la salle. Le film ? Mystère... Raté, ou très passable. Fallait s'en douter. Malgré la présence de Tchéky Karyo (acteur sous-employé, non?). Mystère = film animalier digne d'une pub pour Royal Canin. Lester, je ne suis toujours pas à jour sur mon blog prosaïquement intitulé "freddiefreejazz - considérations musicales, cinématographiques et philosophiques". Le dernier article date de 2017. C'est te dire mon retard. Mais je compte bien répertorier tous les articles que j'ai publiés sur la mama-zone et que je continue d'arranger et de corriger à l'occasion. Pour l'heure, je poursuis sur le site marchand... ahem...
RépondreSupprimerfreddiefreejazz
Tu as été voir un film avec un chien et Tchéky Karyo ? "Belle et Sébastien" ? Quelle drôle d'idée... Bon, parlons sérieusement, y'a le dernier Paul Thomas Anderson qui va sortir, ça devrait mériter le déplacement.
SupprimerP.S. Prochain film que j'espère voir avant qu'il ne disparaisse des salles de cinéma : Tromperie de Desplechin.
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RépondreSupprimerCher Luc B
Il n’aura fallu à Spielberg que quelques minutes pour m’entraîner, m’absorber et me faire oublier qu’il y avait eu un « avant ». Et pourtant, je n’étais pas convaincue de la légitimité de la démarche : pourquoi refaire un tel film ( sauf bien sur pour écouter une musique formidable et s’imaginer danser sur des chorés épatantes) ? Les décors, le propos brûlant d’actualité , la mise en scène , tout justifie ce remake qui est tellement plus ….alors, oui , la fin est longuette et Tony un peu fade mais en cela, Spielberg est fidèle à l’original ( je n’étais pas fan de Richard Beymer dont j’avais oublié le nom , ni de Natalie Wood d’ailleurs). Mais Mike Feist (Riff) et Ariana deBose (Anita) crèvent l’écran . Voici donc un nouveau classique pour les nouvelles générations …
Merci du passage madame M.
RépondreSupprimerSi Spielberg a souhaité rester fidèle à l'original en prenant des acteurs fades, alors c'est réussi ! (Dommage que Daniel Day Lewis soit trop âgé pour le rôle !!) Un tel remake peut aussi se justifier (outre le seul désir du réalisateur) pat son thème universel et donc toujours d'actualité. C'est pourquoi il aurait été intéressant de le replacer à l'époque contemporaine, pourquoi pas... mais le spectateur est suffisamment intelligent pour lire entre les lignes (ou les images).
je n'ai jamais osé le voir, je voulais rester sur les images de la version de 1961 et puis ce soir, la version Spielberg qui passe sur le petit écran...allez ! je regarde ! 150 minutes plus tard, je n'ai pas été déçu. mon passage préféré reste quand Anita rentre dans la boutique de Valentina c'est comme si Rita Moreno était passé au travers du miroir. Tu dis que le le lieutenant Schrank est raciste ? c'est vrai mais Simon Oakland dans la version de 1961 aussi. Enfin bref ! pas déçu !
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