vendredi 19 novembre 2021

THE FRENCH DISPATCH de Wes Anderson (2021) par Luc B.

S’il y a un metteur en scène dont on reconnaît le style immédiatement, dès la première image, c’est bien Wes Anderson. Un style affiné au fil des années, qui culminait avec THE GRAND BUDAPEST HOTEL en 2014, grand succès public, encensé par la critique. J'aurais tendance à bien aimer MOONRISE KINGDOM (2012). C'est de la bande dessinée, filmée, en ligne claire, format "carré" 1.33 comme les vignettes de Tintin, avec ces couleurs en aplats qui restituent premiers et arrière-plans avec une même netteté.

Un style qui rappelle aussi le cinéma muet (alors que les films d’Anderson sont paradoxalement très bavards) avec ces cadrages dans l’axe, d'une symétrie quasi mathématique, ces visages neutres filmés de face ou de profil. Ce THE FRENCH DISPATCH rappelle aussi, et surtout, le cinéma de Jacques Tati, dont Wes Anderson reprend d’ailleurs une scène, celle de MON ONCLE où Monsieur Hulot rentre chez lui, dans son immeuble bringuebalant, enchaînant paliers et escaliers pendant des heures jusqu’au dernier étage.

On reconnaît aussi un film de Wes Anderson par les acteurs qui l’interprètent. Le réalisateur s’entoure de la même troupe, Bill Muray en est à sa neuvième collaboration, Owen Wilson huit, Anjelica Huston cinq, Adrian Brody ou Matthieu Amalric, quatre. La distribution de THE FRENCH DISPATCH relève du bottin mondain, le moindre petit rôle est interprété par une star, Edward Norton a deux répliques, Tilda Swinton beaucoup trop et se parodie elle-même. On y croise beaucoup de comédiens français, puisque l’action se situe chez nous, dans la ville imaginaire de Ennui-sur-Blasé, le tournage ayant eu lieu à Angoulême (ville de la bédé, ce n’est sans doute pas un hasard). 

Dans ce film, Anderson se déchaîne littéralement, avec des scènes en couleur, d’autres en noir et blanc, des cadrages 1.33 ou 1.85, voire scope, du parler américain, du parler français, les sous-titre sont alors placés au-dessus du personnage, et non en bas de l’écran ! Comme d’habitude, le film fourmille d’idées graphiques, ça fuse de tous les côtés, la palette de couleurs est merveilleuse, entre les décors, les accessoires, les costumes. Il y a aussi une poursuite en voiture en dessin animé (épisode 3). Et toujours ces travellings latéraux qui balaient le plan, accompagnent les personnages dans leurs déplacements ou décalent le point de vue, horizontalement ou verticalement par petits mouvements rapides.

C’est visuellement un émerveillement, virtuose, Wes Anderson l’est, jusqu’à la maniaquerie. C’est son style, il en a un, lui, et tant mieux. Même si parfois on a l’impression de revoir sans cesse le même film, oserai-je dire que Wes Anderson tourne en rond dans son écran carré ? 

- Ca raconte quoi ? 

The French Dispatch est l'édition française d’un journal américain. Le rédacteur en chef Arthur Howitzer Jr. vient de casser sa pipe. Selon ses dernières volontés, le journal cessera de paraître après un ultime numéro qui reprendra trois articles phares. Le film illustre donc ses articles, et se découpe en trois parties. Le lien se fait avec les scènes au journal, en flash-back, lorsque que Howitzer était encore de ce monde.

- Donc ce film a l'air vachement bien ?

- Ben, Sonia, le seul souci, c'est qu'on s'y emmerde ferme...

Car à priori, sur le papier, le dispositif parait simple. Mais à l’écran c’est une autre paire de manche. Le rythme est tellement rapide, les plans s’enchaînent si vite, qu’on en profite à peine. L’image étant très chargée de détails rigolos, inventifs, qu’on aimerait s’y attarder, mais c’est impossible, il faut choisir entre lire les sous-titres (les dialogues sont débités à la mitraillette) ou regarder l’image, donc on rate l’un ou l’autre.

Le départ est une avalanche de situations, d’informations et de personnages, ça se bouscule à l'écran, un peu trop. On se dit que ça va se calmer, mais non, le rythme ne faiblit pas et semble même redoubler. Le film est une comédie, certaines scènes sont effectivement amusantes, mais on sourit davantage qu'on se tord de rire. Voir les scènes avec Owen Wilson à vélo. L’autre souci vient de la construction même du film, avec ses trois histoires distinctes. Elles sont d’un intérêt inégal, et manque de bol, c’est la première qui est la meilleure.

Celle du détenu Moses Rosenthaler (le génial Benicio del Toro) qui se découvre un talent pour la peinture. Condamné pour meurtre parce qu'il a décapité deux types, mais c’n’est pas sa faute, le premier c’était un accident, le second de la légitime défense ! Il flashe sur Simone, jouée par la voluptueuse Léa Sédoux, qui pose nue pour lui. Gag réussi, lorsqu’elle passe derrière un paravent pour se rhabiller, on découvre que c’est la gardienne de la prison ! Rosenthaler donne dans l’abstrait, ses toiles tiennent plus de Pollock que de Renoir, il devient la coqueluche des amateurs d'art.

La seconde histoire met en scène Thimotée Chalamet et Frances McDormand, entre autres, sur fond de mai 68, je ne saurais vous dire ce que ça raconte réellement, on se perd dans un dédale de dialogues, de débats philosophico-politiques, tout cela au second degré, mais trop intellectualisé, nébuleux, pour que cela passionne. Le troisième volet rehausse le niveau, un peu tard, histoire tout aussi alambiquée de policier / chef cuisinier, de l’enlèvement du fils d’un commissaire (Amalric), un épisode qui donne davantage dans le froutraque et le burlesque, à la sauce Keystone Cops de Mack Sennett. Mais Anderson nous a déjà perdus en route.

On sort de la salle saoulé d’images, mais pas ivre de bonheur. Cette accumulation, si créative soit-elle, finit par ennuyer. Ca défile devant les yeux, on regarde poliment, on croise et décroise les jambes, on plie et déplie son ticket, on tente un origami, pas facile dans le noir. On attend l’étincelle, la scène géniale qui sauverait l’ensemble, mais elle ne vient pas. Le cinéma de Wes Anderson est purement visuel, calculé, géométrique, aussi froid qu'une équation à multiple inconnus, et les maths c'est pas mon truc. A aucun moment on peut s'accrocher à un personnage, tant ils sont dépourvus de matière, sauf celui de Del Toro.

On se dit que Wes Anderson est arrivé au bout de sa démarche, d’un procédé, il répète, rabâche, duplique, remplit à ras bord, mais la ligne claire devient obscure. Ça eût payé, mais là, ça ne paye plus. 


couleur / noir et blanc  -  1h45  -  format 1 :1.33

 

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