jeudi 7 octobre 2021

RESPIGHI – Belkis reine de Saba (suite du ballet 1932) - Eiji ŌUE (2001) – par Salomon Toon


- J'ignorais Claude que Respighi avait composé des musiques de film !! Et puis Le film de King Vidor est de 1959 et le compositeur est mort en 1937…
- Exact Sonia, quelle culture, Luc sera contant… Les photos ne sont là que pour illustrer ce papier ; ballet kitsch, film kitsch…
- Il avait des cheveux en 1959 le Yul Brynner ou il porte une moumoute ? pffuuu… hihi… La tenue de Gina est grotesque…
- Aller savoir mon petit… Après l'extatique direction de Knappertsbusch, on s'amuse un peu avec cette musique au style hollywoodien…
- Tu aimes bien Respighi bien connu pour le triptyque romain : les pins, les fontaines, les fêtes… Là, une curiosité… rigolo…
- Tu suis bien l'affaire Sonia, et puis ça permet de parler du chef nippon Eiji Oué déjà mentionné dans une discographie du Chant de la terre de Mahler…


Gina Lollobrigida vs Yull Brynner (King Vidor)
Tss tss Luc et Rockin', on se calme !

Dans le grandiose péplum Salomon et la reine de Saba tourné en 1958, je me demande comment Gina Lollobrigida peut supporter ce soutif improbable et ridicule bricolé à partir de la couronne d'une miss Arizona quelconque. Enfin quand on s'appelle Lollo-quelque-chose et que l'on touche un cachet faramineux, on assume… (Je ne voulais pas laisser cette vanne pourrie à Luc).

Je pensais ne jamais avoir vu ce film, mais si, mais si comme on dit au PSG… Je vous laisse savourer la bande-annonce. Je l'ai vu dans ma prime jeunesse. Du King Vidor quand même, pas du Max Pecas. Mon "bon sang mais c'est bien sûr" qui ravive ma mémoire : la scène ou l'armée A attendant au garde à vous tourne ses boucliers lustrés au Mirror vers le soleil, éblouissant ainsi les cavaliers et conducteurs des chars modèle Ben Hur (armée B) qui s'abîment alors dans un fossé (disons un canyon). Une scène horrifique qui nous relègue l'épisode effrayant des agonisants dans un défilé du Salammbô de Flaubert dans la catégorie divertissement pour enfant 😊. (Ceux qui ont lu ce chef-d'œuvre apprécieront.) Voir à la fin de la bande-annonce.

Tout cela pour dire que la musique était de Mario Nascimbene, compositeur de B.O italien qui travailla avec Roberto Rossellini, mais aussi composa les musiques de Les Vikings et Barabbas de Richard Fleischer et celle de Alexandre le Grand de Robert Rossen en 1956 (Richard Burton porte la jupette qu'il troquera à Colin Farell dans la version de 2004 de Oliver Stone). Je me disperse.


Yul Brinner en Salomon

- Dis Claude… Tu brodes un billet foutraque sur les péplums, la chasse gardée de Luc, ou t'écris un papier "musique classique" ?

- Oui oui Sonia, place à Ottorino Respighi puisque tu me tires les oreilles (excellente aussi celle-là 😊)


Revenons à nos moutons, la Bible est pleine d'histoires d'agneaux ; agnus deiiiii. Le récit de la rencontre entre la reine de Saba et le roi Salomon fils du roi David a inspiré les musiciens, les peintres, les cinéastes. Quid de la réalité historique et théologique face à la légende car les hypothèses sont tellement nombreuses, que chaque créateur pourra à loisir broder des synopsis ou rédiger des partitions aux     trames les plus extravagantes ; sans insister, King Vidor ne s'en est pas privé !

Le royaume de Saba réunissait l'ex sud Yémen et le nord est de l'Ethiopie. Entre l'Ancien et le Nouveau Testament, le Coran, le Talmud, les traditions éthiopiennes, coptes, etc. les mythes se bousculent et se contredisent, un bel euphémisme ! Quelques versets, une sourate et diverses légendes rendent quasiment impossible la reconstitution des faits et gestes entre Belkis et Salomon. Je vous invite à lire l'article sur Wikipédia, documenté et bien écrit, qui fait le point sur tous ces mystères (Wiki). Quant à Belkis, ou Balkis ou Baalkis, est-ce le prénom de la reine de l'époque ou une appellation générique ? Peu importe… Salomon (-970 à – 931 avant JC) devint roi d'Israël à douze ans et conserve de nos jours la réputation d'un homme d'une grande sagesse… Le royaume d'Israël s'étendait à peu près comme l'État éponyme actuel plus une partie de la Jordanie. À la fin du règne de Salomon, le royaume hébreu se disloque dans les discordes et la corruption ; alors hein : la sagesse de Salomon au fil du temps, pipeau !!!


Ottorino Respighi (1879-1936)

Nos deux personnages principaux se seraient donc rencontrés lors d'un congrès religieux (ça c'est de moi) se "rapprochant" suffisamment pour avoir un fils nommé Ménélik qui deviendra le premier empereur d'Ethiopie… La reine adepte de la religion pharaonique se convertira au judaïsme (suivant la Bible) ou à l'Islam (suivant le Coran) mais que fait Boudha (question de Nema M. ?). Oui Sonia, très filandreuse cette affaire, mais les histoires de sexe font toujours recette, ce qui explique que l'on parle encore de ces bagatelles royales de nos jours. (Salomon aurait eu 300 femmes et 700 concubines ; waouh !)

Depuis la fin du XVIIIème siècle, les musiciens se sont passionnés pour l'Orient, ses mirages, ses légendes, la magie, la torpeur favorable à l'érotisme… La symphonie en forme de long poème symphonique Shéhérazade de Rimski-Korsakov, promoteur des orchestrations luxuriantes, en est l'exemple le plus connu.

Ottorino Respighi fut l'élève de ce compositeur et pédagogue russe qui lui transmit son goût pour les orchestrations orgiaques (carrément). Belkis reine de Saba, un ballet et sa suite au climat pour le moins exotique ne doivent donc pas apparaître comme une surprise chez l'auteur du très coloré triptyque romain (Clic). Une biographie succincte du compositeur italien est à lire dans cet article de 2012. Dans l'index, trois autres chroniques permettent de découvrir l'étendu du talent de Respighi dans l'univers orchestral, de l'orchestration chambriste hommage au baroque à l'harmonisation la plus débridée (Index).

Belkis reine de Saba sera sa dernière composition, un ballet un peu oublié, mais une suite de 1932 pittoresque avec un orchestre à l'effectif délirant. Les gravures sont peu nombreuses. J'ai choisi celle d'Eiji Ōue avec l'Orchestre du Minnesota, un disque au programme original…

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Eiji Ōue

Le chef japonais Eiji Ōue est né en 1956 à Hiroshima. Il débute ses études musicales au Japon avec Hideo Saito. En 1978, son compatriote Seiji Ozawa déjà très célèbre et déjà directeur depuis 1973 de l'orchestre symphonique de Boston (poste qu'il a occupé près de trente ans) l'invite à se perfectionner en participant aux masters class et concerts du festival de Tanglewood. Puis, le jeune chef part pour Los Angeles se perfectionner auprès de Leonard Bernstein qui devient son mentor.

Le maestro est un homme discret, sa discographie orientée vers des musiques modernes (Copland, Stravinsky, Kabalevsky, etc.) est mal distribuée, c'est dommage. Pourtant en 1999, il enregistre avec la mezzo américaine Michelle DeYoung une version du Chant de la Terre de Mahler qui remet en cause une discographie que l'on croyait définitive depuis Ferrier-Walter, Ludwig-Klemperer, et quelques autres gravures de Kubelik et Horenstein… Un enregistrement avec l'orchestre du Minnesota qu'il conduit de 1995 à 2002 avant de poursuivre sa carrière à Osaka de 2003 à 2014. Il travaille aussi avec l'Orchestre de Hanovre. La consécration pour un maestro oriental viendra sous forme d'une invitation à diriger Tristan et Isolde à Bayreuth en 2005.

 

L'Orchestre du Minnesota (ex Orchestre de Minneapolis fondé en 1905) est une formation US de prestige dont le niveau de qualité a été maintenu par des chefs historiques entre 1931 et 1995 :  Eugène Ormandy, Dimitri Mitropoulos, Antal Dorati, Stanislaw Skrowaczewski, Neville Marriner, Edo de Waart, n'en jetez plus !! Le finlandais Osmo Vänskä a succédé à Eiji Ōue en 2003 et son contrat se terminera (ou pas) en 2022. La plupart de ces chefs ont été cités voire objets d'une ou plusieurs chroniques dans le blog…

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Salomon rencontre Belkis (1452-1466)
Basilique San Francesco d'Arezzo

Les musiques postromantiques ou les Bandes Originales de film illustrant les péplums m'amusent. La démesure des effectifs symphoniques, les trompettes de 3m de long, les cymbales alors qu'à l'époque le travail primitif du cuivre se limitait à des bijoux ou petites sculptures, les grosses caisses et surtout : des océans de violons et de contrebasses 😊. Les fouilles archéologiques nous présentent des scènes authentiques de musiciens utilisant des lyres, cithares, flûtes à anche double (ancêtre du hautbois) ou flûte de pan. Plus tardivement, étrusques et romains inventeront le buccin, un cor très rudimentaire sans pistons ni clés, qui s'enroule autour du corps du soldat (l'ancêtre de l'hélicon de Bobby Lapointe 😉). Et le charme de ces musiques généreuses et outrancières hollywoodiennes vient de ces anachronismes ; à l'époque, aucun groupe instrumental ne risquait de briser les vitres qui n'était pas encore en usage de toute façon. On n'imagine pas une petite lyre désaccordée comme fond sonore en cinémascope au Gaumont Palace…

Écouter la suite du ballet de Ottorino Respighi ne déroutera pas les amateurs d'envolées lyriques et cuivrées chères à Alfred Newman (David et Bethsabée de Henry King ou Les gladiateurs de Delmer Daves), Alex North (Spartacus de Stanley Kubrick et Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz), et le spécialiste du genre :  Miklós Rózsa (Quo Vadis de Mervin Le Roy, Ben Hur de William Wyler, Le roi des rois de Nicholas Ray, et Sodome et Gomorrhe de Robert Aldrich et Sergio Leone) Sans compter les outsiders.

Pas étonnant que le ballet n'attire guère les compagnies de ballet moderne… J'explique. En 1931, Respighi voit grand et cède à la mode des spectacles orientalistes. Il imagine sa partition pour l'immense scène de La Scala. Lors de la création du ballet de 80 minutes, 1000 artistes sont sollicités, environ 800 danseurs sans compter un orchestre quelque peu rutilant et des choristes… la partition s'inspire de mélodies typiques des chants hébraïques et arabes. La chorégraphie est confiée à Léonide Massine (danseur et chorégraphe assidu des ballets russes – 1896-1979) et qui avait déjà travaillé avec Respighi pour la boutique fantasque. On compte 600 costumes… J'ai trouvée une photo de la scène !

Scène de La Scala à la création en 1932

Parler de "le grand jeu" est un euphémisme. Problème, en musique symphonique, oratorios et autres ballets, le gigantisme est synonyme d'exécutions rarissimes pour des raisons d'encombrement et de budget, et de citer la 8ème symphonie des "mille" de Mahler (Clic) ou encore les Gurre-Lieder de Schoenberg… 23 janvier 1932, c'est la première et c'est un succès international. Deux ans plus tard, Respighi écrit une suite que nous allons écouter et qui permet d'assurer un minimum de notoriété à l'entreprise pharaonique (si je puis me permettre ce contresens.)

Orchestration pour la suite (partition) : picolo, 2 flûtes, 2 hautbois, cor anglais, clarinette picolo, 2 clarinettes, clarinette basse, 2 bassons et contrebasson, 4 cors, 4 trompettes, 4 trombones, plusieurs tambours : basque, arabe, militaire, tambourin, grosse caisse, triangle, cymbales, tam-tam, xylophone, cloches, célesta, piano, harpes et cordes… Ça jette !

La suite comporte quatre mouvements et se veut moins narrative qu'évocatrice voire expressionniste que le ballet.

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La belle Belkis en noir et blanc

1 – Le rêve de Salomon : Le premier mouvement se divise en quatre sections. Flûte, clarinette et cordes entonnent une douce mélopée suggérant la sensualité régnant dans le harem (surpeuplé) du roi. La sonorité charnelle du hautbois assure une reprise. Respighi justifie sa réputation d'orchestrateur inventif. Et malgré tout, il semble que le roi souffre de solitude affective… La mélodie mélancolique s'insinue dans le groupe très varié des bois… [2:33] Une marche des cordes graves scandée par le triangle dépeint l'énergie du roi successeur de David, la magnificence de la cour de Jérusalem. [5:17] Un envoutant solo du violoncelle illuminé d'arpèges de harpe interroge sur l'éventualité d'un rêve érotique de Salomon, [6:13] rêve atteignant une folle étreinte exacerbée par l'envolée des cordes. [7:44] le mouvement s'achève par une drolatique procession opposant percussions métalliques, sonnerie de cuivre, pizzicati…

 

2 – La danse de Belkis à l'aube : [8:58] Belkis se lève et s'étire au son d'une musique enchanteresse : un léger tambour arabe accompagne flûte, cordes en sourdines, des arpèges de célesta. Une musique délicate qui se déhanche. Le mouvement gagne en puissance symbolisant ainsi une foule de sentiments : la volonté d'une reine dirigeant l'un des plus riches royaumes d'Orient ou encore son attirance fougueuse de femme séductrice. Là encore, l'orchestration est d'une variété inouïe, un kaléidoscope de couleurs sonores.

 

3 – danse guerrière : [15:54] Opéra et ballet sont propices aux conflits. Ce court mouvement évoque cet incontournable du genre : la guerre. Contre qui ? mystère… La musique accuse une moindre imagination, mais ne dure deux minutes… [16:25] On entend une "danse des tambours" et ses trémolos de flûtes, danse extraite de la grande scène de célébration du ballet. Ben-Hur n'est pas loin et il rame…

 

4 – Danse orgiaque : [18:44] Ah les fêtes débridées et luxuriantes de l'antiquité. On pouvait penser que Rome était l'unique capitale des orgies, des flots de vins, des danseuses du ventre, des câlins frénétiques… Ben non ! Les hébreux semblent y avoir goûter d'après Respighi. L'influence de Rimski-Korsakov est patente. La musique se déchaîne, un brouhaha symphonique de circonstance mais très lisible en réalité et contrôlé avec rigueur et effervescence par Eiji Ōue. [20:28] La furie orchestrale s'interrompt pour laisser place à une psalmodie chorale sur un fond onirique assuré des cordes. Une coda joyeuse achève la suite. THE END

 

Les enregistrements de cette suite sont rares. Celui dirigé par Geoffrey Simon à la tête du Philharmonia au programme de l'anthologie citée dans une chronique précédente est de très bon aloi (Clic).



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