- J'ignorais Claude que Respighi avait composé des musiques de film !!
Et puis Le film de King Vidor est de 1959 et le compositeur est mort en
1937…
- Exact Sonia, quelle culture, Luc sera contant… Les photos ne sont là
que pour illustrer ce papier ; ballet kitsch, film kitsch…
- Il avait des cheveux en 1959 le Yul Brynner ou il porte une moumoute ?
pffuuu… hihi… La tenue de Gina est grotesque…
- Aller savoir mon petit… Après l'extatique direction de Knappertsbusch,
on s'amuse un peu avec cette musique au style hollywoodien…
- Tu aimes bien Respighi bien connu pour le triptyque romain : les pins,
les fontaines, les fêtes… Là, une curiosité… rigolo…
- Tu suis bien l'affaire Sonia, et puis ça permet de parler du chef
nippon Eiji Oué déjà mentionné dans une discographie du Chant de la
terre de Mahler…
Gina Lollobrigida vs Yull Brynner (King Vidor) Tss tss Luc et Rockin', on se calme ! |
Dans le grandiose péplum
Salomon et la reine de Saba
tourné en 1958, je me demande comment
Gina Lollobrigida peut supporter ce soutif improbable et ridicule
bricolé à partir de la couronne d'une miss Arizona quelconque. Enfin quand
on s'appelle Lollo-quelque-chose
et que l'on touche un cachet faramineux, on assume… (Je ne voulais pas
laisser cette vanne pourrie à Luc).
Je pensais ne jamais avoir vu ce film, mais si, mais si comme on dit au
PSG… Je vous laisse savourer la bande-annonce. Je l'ai vu dans ma prime
jeunesse. Du King Vidor quand même, pas du Max Pecas. Mon
"bon sang mais c'est bien sûr" qui ravive ma mémoire : la scène ou l'armée A attendant au garde à
vous tourne ses boucliers lustrés au Mirror vers le soleil, éblouissant
ainsi les cavaliers et conducteurs des chars modèle Ben Hur
(armée B) qui s'abîment alors dans un fossé (disons un canyon). Une scène
horrifique qui nous relègue l'épisode effrayant des agonisants dans un
défilé du
Salammbô
de Flaubert dans la catégorie divertissement pour enfant 😊. (Ceux qui ont lu ce chef-d'œuvre apprécieront.) Voir à la fin de la
bande-annonce.
Tout cela pour dire que la musique était de
Mario Nascimbene, compositeur de B.O italien qui travailla avec
Roberto Rossellini, mais aussi composa les musiques de
Les
Vikings
et
Barabbas
de Richard Fleischer et celle de
Alexandre le Grand
de Robert Rossen en 1956 (Richard Burton porte la
jupette qu'il troquera à Colin Farell dans la version de 2004 de
Oliver Stone). Je me disperse.
Yul Brinner en Salomon |
- Dis Claude… Tu brodes un billet foutraque sur les péplums, la chasse
gardée de Luc, ou t'écris un papier "musique classique" ?
- Oui oui Sonia, place à Ottorino Respighi puisque tu me tires les
oreilles (excellente aussi celle-là
😊)
Revenons à nos moutons, la Bible est pleine d'histoires d'agneaux ; agnus
deiiiii. Le récit de la rencontre entre la
reine de Saba
et le roi Salomon fils du roi David a inspiré les musiciens,
les peintres, les cinéastes. Quid de la réalité historique et théologique
face à la légende car les hypothèses sont tellement nombreuses, que chaque
créateur pourra à loisir broder des synopsis ou rédiger des partitions
aux trames les plus extravagantes ; sans insister,
King Vidor ne s'en est pas privé !
Le royaume de Saba réunissait l'ex sud Yémen et le nord est de l'Ethiopie.
Entre l'Ancien et le Nouveau Testament, le Coran, le Talmud, les traditions
éthiopiennes, coptes, etc. les mythes se bousculent et se contredisent, un
bel euphémisme ! Quelques versets, une sourate et diverses légendes
rendent quasiment impossible la reconstitution des faits et gestes entre
Belkis et Salomon. Je vous invite à lire l'article sur
Wikipédia, documenté et bien écrit, qui fait le point sur tous ces mystères
(Wiki). Quant à Belkis, ou Balkis ou Baalkis, est-ce le
prénom de la reine de l'époque ou une appellation générique ? Peu importe…
Salomon (-970 à – 931 avant JC) devint roi d'Israël à douze ans et
conserve de nos jours la réputation d'un homme d'une grande sagesse… Le
royaume d'Israël s'étendait à peu près comme l'État éponyme actuel plus une
partie de la Jordanie. À la fin du règne de Salomon, le royaume
hébreu se disloque dans les discordes et la corruption ; alors hein : la
sagesse de Salomon au fil du temps, pipeau !!!
Ottorino Respighi (1879-1936) |
Nos deux personnages principaux se seraient donc rencontrés lors d'un
congrès religieux (ça c'est de moi)
se "rapprochant" suffisamment pour avoir un fils nommé Ménélik qui
deviendra le premier empereur d'Ethiopie… La reine adepte de la religion
pharaonique se convertira au judaïsme (suivant la Bible) ou à l'Islam
(suivant le Coran) mais que fait Boudha (question de Nema M. ?). Oui
Sonia, très filandreuse cette affaire, mais les histoires de sexe font
toujours recette, ce qui explique que l'on parle encore de ces bagatelles
royales de nos jours. (Salomon aurait eu 300 femmes et 700
concubines ; waouh !)
Depuis la fin du XVIIIème siècle, les musiciens se sont
passionnés pour l'Orient, ses mirages, ses légendes, la magie, la torpeur
favorable à l'érotisme… La symphonie en forme de long poème symphonique
Shéhérazade
de
Rimski-Korsakov, promoteur des orchestrations luxuriantes, en est l'exemple le plus
connu.
Ottorino Respighi
fut l'élève de ce compositeur et pédagogue russe qui lui transmit son goût
pour les orchestrations orgiaques (carrément).
Belkis reine de Saba, un ballet et sa suite au climat pour le moins exotique ne doivent donc
pas apparaître comme une surprise chez l'auteur du très coloré triptyque
romain
(Clic). Une biographie succincte du compositeur italien est à lire dans cet
article de 2012. Dans l'index, trois autres chroniques permettent de
découvrir l'étendu du talent de
Respighi
dans l'univers orchestral, de l'orchestration chambriste hommage au
baroque à l'harmonisation la plus débridée
(Index).
Belkis reine de Saba
sera sa dernière composition, un ballet un peu oublié, mais une suite de
1932 pittoresque avec un orchestre à l'effectif délirant. Les
gravures sont peu nombreuses. J'ai choisi celle d'Eiji Ōue
avec l'Orchestre du Minnesota, un disque au programme original…
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Eiji Ōue |
Le chef japonais Eiji Ōue est né en 1956 à Hiroshima. Il débute ses études musicales au Japon avec Hideo Saito. En 1978, son compatriote Seiji Ozawa déjà très célèbre et déjà directeur depuis 1973 de l'orchestre symphonique de Boston (poste qu'il a occupé près de trente ans) l'invite à se perfectionner en participant aux masters class et concerts du festival de Tanglewood. Puis, le jeune chef part pour Los Angeles se perfectionner auprès de Leonard Bernstein qui devient son mentor.
Le maestro est un homme discret, sa discographie orientée vers des musiques
modernes (Copland,
Stravinsky,
Kabalevsky, etc.) est mal distribuée, c'est dommage. Pourtant en 1999, il
enregistre avec la mezzo américaine
Michelle DeYoung
une version du
Chant de la Terre
de
Mahler
qui remet en cause une discographie que l'on croyait définitive depuis
Ferrier-Walter,
Ludwig-Klemperer, et quelques autres gravures de
Kubelik
et
Horenstein… Un enregistrement avec l'orchestre du Minnesota qu'il conduit de 1995 à 2002 avant de poursuivre sa carrière
à
Osaka
de 2003 à 2014. Il travaille aussi avec l'Orchestre de Hanovre. La consécration pour un maestro oriental viendra sous forme d'une
invitation à diriger
Tristan et Isolde
à Bayreuth en 2005.
L'Orchestre du Minnesota (ex Orchestre de Minneapolis fondé en 1905) est une formation US de prestige dont le niveau de qualité a été
maintenu par des chefs historiques entre 1931 et 1995 : Eugène Ormandy, Dimitri Mitropoulos, Antal Dorati, Stanislaw Skrowaczewski, Neville Marriner, Edo de Waart, n'en jetez plus !! Le finlandais Osmo Vänskä a succédé à Eiji Ōue en 2003
et son contrat se terminera (ou pas) en 2022. La plupart de ces chefs ont été cités voire objets d'une ou plusieurs
chroniques dans le blog…
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Salomon rencontre Belkis (1452-1466) |
Les musiques postromantiques ou les Bandes Originales de film illustrant
les péplums m'amusent. La démesure des effectifs symphoniques, les
trompettes de 3m de long, les cymbales alors qu'à l'époque le travail
primitif du cuivre se limitait à des bijoux ou petites sculptures, les
grosses caisses et surtout : des océans de violons et de contrebasses 😊.
Les fouilles archéologiques nous présentent des scènes authentiques de
musiciens utilisant des lyres, cithares, flûtes à anche double (ancêtre du
hautbois) ou flûte de pan. Plus tardivement, étrusques et romains
inventeront le buccin, un cor très rudimentaire sans pistons ni clés, qui
s'enroule autour du corps du soldat (l'ancêtre de l'hélicon de Bobby
Lapointe 😉). Et le charme de ces musiques généreuses et outrancières
hollywoodiennes vient de ces anachronismes ; à l'époque, aucun groupe
instrumental ne risquait de briser les vitres qui n'était pas encore en
usage de toute façon. On n'imagine pas une petite lyre désaccordée comme
fond sonore en cinémascope au Gaumont Palace…
Écouter la suite du ballet de
Ottorino Respighi
ne déroutera pas les amateurs d'envolées lyriques et cuivrées chères à
Alfred Newman
(David et Bethsabée de
Henry King ou Les gladiateurs de
Delmer Daves),
Alex North
(Spartacus de
Stanley Kubrick et Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz), et le spécialiste du genre : Miklós Rózsa
(Quo Vadis de Mervin Le Roy,
Ben Hur de William Wyler,
Le roi des rois de Nicholas Ray,
et Sodome et Gomorrhe de
Robert Aldrich et Sergio Leone) Sans compter les
outsiders.
Pas étonnant que le ballet n'attire guère les compagnies de ballet moderne…
J'explique. En 1931,
Respighi
voit grand et cède à la mode des spectacles orientalistes. Il imagine sa
partition pour l'immense scène de La Scala. Lors de la création du ballet de
80 minutes, 1000 artistes sont sollicités, environ 800 danseurs sans compter
un orchestre quelque peu rutilant et des choristes… la partition s'inspire
de mélodies typiques des chants hébraïques et arabes. La chorégraphie est
confiée à Léonide Massine (danseur et chorégraphe assidu des ballets
russes – 1896-1979) et qui avait déjà travaillé avec
Respighi
pour la
boutique fantasque. On compte 600 costumes… J'ai trouvée une photo de la scène !
Scène de La Scala à la création en 1932 |
Parler de "le grand jeu" est un euphémisme. Problème, en musique
symphonique, oratorios et autres ballets, le gigantisme est synonyme
d'exécutions rarissimes pour des raisons d'encombrement et de budget, et de
citer la
8ème symphonie des "mille"
de
Mahler
(Clic)
ou encore les
Gurre-Lieder de
Schoenberg… 23 janvier 1932, c'est la première et c'est un succès
international. Deux ans plus tard,
Respighi
écrit une suite que nous allons écouter et qui permet d'assurer un minimum
de notoriété à l'entreprise pharaonique (si je puis me permettre ce
contresens.)
Orchestration pour la suite (partition) : picolo, 2 flûtes, 2 hautbois, cor anglais, clarinette picolo, 2
clarinettes, clarinette basse, 2 bassons et contrebasson, 4 cors, 4
trompettes, 4 trombones, plusieurs tambours : basque, arabe, militaire,
tambourin, grosse caisse, triangle, cymbales, tam-tam, xylophone, cloches,
célesta, piano, harpes et cordes… Ça jette !
La suite comporte quatre mouvements et se veut moins narrative
qu'évocatrice voire expressionniste que le ballet.
~~~~~~~~~~~~~~~~~
La belle Belkis en noir et blanc |
1 – Le rêve de Salomon : Le
premier mouvement se divise en quatre sections. Flûte, clarinette et cordes
entonnent une douce mélopée suggérant la sensualité régnant dans le harem
(surpeuplé) du roi. La sonorité charnelle du hautbois assure une reprise.
Respighi
justifie sa réputation d'orchestrateur inventif. Et malgré tout, il semble
que le roi souffre de solitude affective… La mélodie mélancolique s'insinue
dans le groupe très varié des bois… [2:33] Une marche des cordes graves
scandée par le triangle dépeint l'énergie du roi successeur de David, la
magnificence de la cour de Jérusalem. [5:17] Un envoutant solo du
violoncelle illuminé d'arpèges de harpe interroge sur l'éventualité d'un
rêve érotique de Salomon, [6:13] rêve atteignant une folle étreinte
exacerbée par l'envolée des cordes. [7:44] le mouvement s'achève par une
drolatique procession opposant percussions métalliques, sonnerie de cuivre,
pizzicati…
2 – La danse de Belkis à l'aube
: [8:58] Belkis se lève et s'étire au son d'une musique enchanteresse : un
léger tambour arabe accompagne flûte, cordes en sourdines, des arpèges de
célesta. Une musique délicate qui se déhanche. Le mouvement gagne en
puissance symbolisant ainsi une foule de sentiments : la volonté d'une reine
dirigeant l'un des plus riches royaumes d'Orient ou encore son attirance
fougueuse de femme séductrice. Là encore, l'orchestration est d'une variété
inouïe, un kaléidoscope de couleurs sonores.
3 – danse guerrière : [15:54]
Opéra et ballet sont propices aux conflits. Ce court mouvement évoque cet
incontournable du genre : la guerre. Contre qui ? mystère… La musique accuse
une moindre imagination, mais ne dure deux minutes… [16:25] On entend une
"danse des tambours" et ses trémolos de flûtes, danse extraite de la grande
scène de célébration du ballet. Ben-Hur n'est pas loin et il rame…
4 – Danse orgiaque : [18:44] Ah
les fêtes débridées et luxuriantes de l'antiquité. On pouvait penser que
Rome était l'unique capitale des orgies, des flots de vins, des danseuses du
ventre, des câlins frénétiques… Ben non ! Les hébreux semblent y avoir
goûter d'après
Respighi. L'influence de
Rimski-Korsakov
est patente. La musique se déchaîne, un brouhaha symphonique de circonstance
mais très lisible en réalité et contrôlé avec rigueur et effervescence par
Eiji Ōue. [20:28] La furie orchestrale s'interrompt pour laisser place à une
psalmodie chorale sur un fond onirique assuré des cordes. Une coda joyeuse
achève la suite. THE END
Les enregistrements de cette suite sont rares. Celui dirigé par
Geoffrey Simon
à la tête du
Philharmonia
au programme de l'anthologie citée dans une chronique précédente est de très
bon aloi
(Clic).
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