Voilà un très joli bouquin, écrit par Jonathan Coe, romancier et biographe. Que je confonds toujours avec Sebastian Coe, le coureur de demi-fond anglais, qui à part leur talent dans leur discipline respective, n’ont en commun que leur nationalité et les trois lettres de leurs noms.
Jonathan Coe s’est fait connaître avec TESTAMENT A L’ANGLAISE (1994) une satire des années Thatcher, il a une quinzaine de bouquins à son registre, dont deux biographies de James Stewart (concise et excellente) et d’Humphrey Bogart (pas lue, j’attends que Pat me l’offre à mon anniv’). On lui doit aussi LA VIE TRÈS PRIVÉE DE MONSIEUR SIM (2010) qui sera adapté chez nous par Michel Leclerc, avec Jean Pierre Bacri.
Avec BILLY WILDER ET MOI, l’auteur croise ses deux passions, le roman et le cinéma. L’héroïne s’appelle Calista, elle compose des musiques de films, vit à Londres avec son mari et ses deux filles, Fran et Ariane. Qui va quitter le giron familial pour partir à Sydney. Ce qui met sa mère dans tous ses états, elle se console en mangeant du Brie, sa passion, la suite nous dira pourquoi.
Fran console sa mère en lui disant : « quand toi tu es partie, ta mère n’en avait pas fait tout un plat ». Une phrase qui fait ressurgir des souvenirs… flash-back.
En 1976, le jeune Calista quitte sa Grèce natale pour un road trip aux USA, où elle sympathise avec Gill, une jeune anglaise. Arrivées à Los Angeles, Gill l’invite à l’accompagner à un dîner, où elle doit rejoindre un vieil ami de son père. L’ami en question, attablé dans son propre restaurant, est un certain Billy Wilder, un cinéaste renommé dont Calista n’a jamais entendu parler. Elle ira apprendre par cœur une encyclopédie du cinéma, et en ressortira des passages entiers pour donner le change !
La naïveté et la franchise de Calista tapent dans l’œil du vieux réalisateur, qui se souviendra d’elle lorsque l’année suivante il installera ses équipes en Grèce, pour le tournage de ce qui sera son dernier film, FEDORA. Ayant besoin d’une interprète, Calista est intégrée à l’équipe…
(photo : tournage de « Fedora ») C’est donc à travers le regard d’une jeune femme, que Jonathan Coe va s’immiscer dans un tournage hollywoodien, le dernier film d’un maître, l’auteur de films tels qu’ASSURANCE SUR LA MORT, BOULEVARD DU CRÉPUSCULE, CERTAINS L’AIMENT CHAUD, SABRINA, LA GARCONNIERE, LA VIE PRIVÉE DE SHERLOCK HOLMES… C’est un récit initiatique, Calista découvre le monde, celui des adultes, des affaires, des amours, elle découvrira aussi sa vocation de compositrice, et son amour du Brie. Lors de la dernière scène de « Fedora » tournée près de Paris, le chauffeur de Billy Wilder insiste pour qu’il rende visite à son cousin qui produit ce fromage, près de Meaux. Une dégustation est organisée dans une cour de ferme, arrosée de Pinot Gris.
Billy Wilder était un fin connaisseur de la cuisine française (il y a vécu après son départ d’Allemagne, et avant son arrivée à Hollywood) il y a deux scènes de restaurant dans le livre où il s’en prend à Al Pacino (à l’époque concubin de Marthe Keller, l’actrice de « Fedora ») qui quelques soit le pays ou le talent du chef, ne commande que des burgers.
« Fedora » est un (très beau) film sur une star déchue, réalisé à une époque où Billy Wilder lui-même ne faisait plus la une des magazines, c’est l’époque du Nouvel Hollywood, la génération des Scorsese, Spielberg, que Wilder appelle « les barbus », à qui on donne des millions pour tourner un scénario qui tient sur un post-it. Ironie du sort, le seul bouquin que Wilder aurait eu envie d’adapter à la fin de sa vie est « La Liste de Schindler » dont les droits ont finalement été acheté par…
Avec Calista comme guide, on entre dans l’intimité de Wilder et son scénariste Iz Diamond (photo ci-contre : les deux compères), qui sur les tournages était chargé de veiller à ce que chaque dialogue soit joué à la virgule près. William Holden, qui a tourné quatre fois avec Wilder, voyant la pauvre Marthe Keller subir les foudres de son metteur en scène pour avoir osé changer un mot d'une réplique, lui dira : « Wilder est un putain d’enfoiré de fils de pute, mais à chaque fois qu’il m’a engagé, j’ai été nommé aux Oscars ! ».
Le livre, très joliment écrit, épouse différentes formes, le récit romanesque classique, mais aussi une longue lettre (entre Calista et sa mère) et toute une partie rédigée comme un scénario, pour évoquer l’époque où Wilder travaillait à Londres, juste après-guerre, chargé du montage des bobines de films sur la découverte des camps de concentration. Il les visionnait des dizaines de fois espérant y voir parmi les cadavres, celui de sa mère.
Les notes à la fin du livre indiquent que Jonathan Coe a construit son récit avec beaucoup de documentation, avec l’aide du fils de Iz Diamond, les souvenirs de Marthe Keller ou de Volker Schlöndorff (qui assistait au tournage de « Fedora »). Ce qui répond à la question : mais comment Coe peut-il connaître tout ça ?
C’est évidement un avantage d’avoir vu le film « Fedora », mais le contraire n’est pas forcément un inconvénient. Le livre brasse plusieurs thèmes, la jeunesse, la vieillesse, la célébrité, les remords, et permet de découvrir en filigrane le brillant parcours de Billy Wilder, et donner envie de (re)voir tous ses films.
Gallimard, 305 pages
Pour savoir qui est Sebastian Coe, il faut être âgé de ...pff, au moins ..., voire plus ...
RépondreSupprimerSi lorsque tu causeras d'un bouquin de Perec, ti cites Marie-Jo Pérec, je signale ton cas à l'Amicale des Vieilles Gloires Sportives Oubliées ...
J'étais très jeune, encore nourrisson, je regardais l'athlé par dessus les épaules de mon grand frère, c'est pour ça.
RépondreSupprimerJ'attendrai qu'il sorte en poche celui-là... Et puis, j'ai une pile qui s'entasse avec ou sans thé (mauvais jeu de mot; on fait avec les moyens du bord). Luc, t'as entendu parler de ce bouquin signé Emmanuel Bourdeau : Gravité sur Billy Wilder ? Je l'ai chopé d'occas, mais je ne l'ai pas encore avalé. Du coup, je vais lire plus attentivement ton commentaire que je n'ai que parcouru. Lester est passé, cool ! Et s'il cause d'un bouquin de Chandler, Luc devras monter sur le ring pour y affronter un certain Michael Chandler ! P... ,les gars vous me manquez ! Les échanges et tout le reste ! Je suis en train de ma tâter pour répertorier tous mes coms d'amazon sur mon petit blog. Ah, enfin, Lester, je pensais à toi l'autre jour : j'écoutais du Neil Young et d'autres joyeusetés des années 70 mais je tarde à pondre quoi que ce soit pour le moment, je me traîne avec un com sur Neil Young (Everybody Knows this is Nowhere) et le fameux (Pronounced 'Lĕh-'nérd'Skin-'nérd), deux albums que j'adore particulièrement... J'attends que ça mûrisse avec les mots... Je n'ai pas envie de répéter ce qui a été dit. J'aimerais trouver l'inspiration. Elle viendra. A coup sûr.
RépondreSupprimerBises à vous les gars.
FreddieFreeJazz
Fedora est l'un de mes films préférés de Wilder. Cela dit, avec ce genre de bouquin, je crains toujours le truc trop cuit, ou prêt-cuit, le truc qui caresse le public dans le sens du poil... Mais bon, c'est quand même du Joe Coe, il sait écrire le gars ! Et là, ça doit tenir la distance, sur plus de 1500 miles... ;)
RépondreSupprimerfreddiefreejazz
"Fedora" est un film qui la première fois m'a laissé de marbre, un peu fait chier. La seconde fois, j'en ai découvert toute la richesse et la beauté. Holden est superbe, comme toujours (vu l'autre jour "Stalag 17"). Freddie, ce livre est un roman, qui prend pour prétexte le tournage de "Fedora", mais comme je le raconte, la documentation est telle, qu'il est aussi un témoignage ultra précis sur de tournage. Je ne peux que te le conseiller.
RépondreSupprimerA venir, un article sur un des meilleurs bouquins que j'ai lu parlant de cinéma, "The big goodbye" concernant le "Chinatown" de Polanski.
Ah oui, le bouquin de Sam Wasson. Je l'avais commandé en VO et il m'était arrivé tout abîmé... par deux fois... M'a l'air très bien, en effet.. ça a fait un gros tabac aux States. Il me faut lire aussi ce qu'il a écrit sur Tiffany's Breakfast et la vie de la sublime Audrey Hepburn... Il est sur la pile, celui-ci... ;)
RépondreSupprimerMerci, je veillerai donc à me le procurer ! Un grand merci à toi, Luc.
freddie
Chouette billet, merci. J'ai lu "Numéro 11" du même auteur, mais il m'a un peu "échappé" : il faudra que je le relise, quand mon cerveau sera moins lent.
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