Patrick Verbeke nous a quitté le dimanche 22 août dernier, et personne n'en parle. Mais [ ... censuré de censuré de censuré ], Patrick était un ponte du Blues à la française, au même titre que Bill Deraime ou Benoît Blue Boy, Paul Personne, voire de Jack Bon. Car en effet, après des années sur la route et en studio, Verbeke s'était mis en tête d'adapter le Blues de ses mentors d'outre-Atlantique à la langue de Molière. Ceci dans le but de toucher plus facilement le public francophone, de faire rentrer en la rendant plus accessible, la musique Blues dans les chaumières de France et de Navarre. Ce qu'il fit avec modestie et abnégation, malgré l'absence éhonté de support décent.
Patrick Verbeke, ce normand au regard bleu glacial, était né le 13 avril 1949 à Caen, et sa passion musicale remonte aux années soixante. Lorsqu'il entend pour la première fois Eddy Mitchell et ses Chaussettes Noires et Johnny Halliday, avant la découverte de la Soul par Ray Charles et du Rhythm'nBlues et du Blues via les Rolling Stones. L'intérêt suscité par ces derniers l'incite à remonter à la source, au Blues d'après-guerre, puis à celui des pionniers.
Après avoir essayé de convaincre ses parents de lui offrir un kit de batterie, par commodité (petite maison - famille relativement nombreuse) il se retourne sur la guitare et se fait les dents sur Gene Vincent et Eddie Cochran. A seize ans, en 1965, il monte un premier groupe, Tomb Stones. Plus tard, conformément à l'air du temps, il rejoint un groupe communautaire, tourné vers le psychédélisme, l'Indescriptible Chaos Rampant. Il fait un passage au sein de l'Alan Jack Civilization, groupe français ayant réussi a laisser une trace discographique à travers un 33 tours remarqué (et recherché) entre Blues-psychédélique et Hard-blues. Il remonte à la source et devient un insatiable dénicheur de disques de Blues, alors compliqués à trouver. En 1969, dans la ferme d'Alan Jack il rencontre Benoît Billot qui va se faire connaître sous le pseudonyme de Benoit Blue Boy. De forts et indéfectibles liens d'amitié se créent entre eux, et ils ne tardent pas à partir sur la route, se produisant en duo dans les clubs les plus miteux; Jusqu'à ce que Benoît part aux USA. Epoque de vaches maigres. Verbeke revoit régulièrement son ami Benoit, qui revient toujours des Etats-Unis avec des 33 tours plein les valises, prêt à lui faire découvrir de nouveaux musiciens (dont la découverte de Roy Buchanan qui va le marquer au point de faire concurrence à Clapton dans son cœur) et lui conter ses aventures. Verbeke passe un temps à la Country en intégrant Tribu (qui ne parvient à enregistrer qu'un seul 45 tours sur un obscur petit label) Il ne lâche pas pour autant ses études, et obtient sa licence d'Anglais.
Tout en papillonnant de groupe en groupe, sans jamais se fixer, il commence à assurer assidûment des séances de studio plus lucratives. On le retrouve ainsi derrière Patrick Topaloff... Ainsi qu' Yves Montand, Valérie Lagrange, Joël Daydé, William Sheller. Mais le besoin de la scène le tiraillant, il monte le projet "Magnun" autour de Jean-Pierre Prevotat, l'ancien batteur de Triangle, Jacky Chalard, l'ex bassiste de Dynastie Crisis (groupe qui accompagna souvent Polnareff sur scène) et de Jo Leb au chant (des Variations). Divers musiciens passent dans cette formation naviguant entre Hard-rock et Blues-rock, principalement d'anciens compagnons, dont Alan Jack mais l'aventure prend fin avant qu'il y ait eu le moindre enregistrement. Mais il lui arrive aussi d'accompagner des bluesmen pour quelques dates françaises (dont Memphis slim).
Finalement, à l'aube des années 80, après la courte aventure Bistrock, (deux 45 tours à la clef, "connus" pour la sympathique adaptation du "Sultan of Swing" transformé en "L'Ecole du Rock'n'Roll", et celle du "Cocaine" devenu "Coquine"), il décide de se lancer en solo et un premier album sort en 1981. "Blues in my Soul", distribué par le label de Marc Zemati, Underdog Records, est très bien reçu par la presse, Best et Rock & Folk. Une première version du disque est chantée en anglais, et une seconde, parue un peu plus tard, l'est en français. Un parti pris pour essayer de toucher plus aisément le public francophone, et l'amener ainsi à s'intéresser au Blues. Ainsi, Verbeke rejoint le camp des Bill Deraime et Benoit Blue Boy - ce dernier lui donne d'ailleurs un coup de main pour la réalisation de son premier disque -. Les paroles de Verbeke sont ancrées dans le quotidien du prolétariat et de la classe moyenne, qu'il dépeint avec humour, jouant avec les mots et l'argot. Sa voix usée, élimée, idéale à l'idiome, lui donne déjà des airs de vieil ours sortant de son hibernation. Identifiable entre mille, elle marque les esprits. Au niveau des guitares, ses débuts sont franchement marqués par l'électrique. Adepte de la Fender Telecaster, passant parfois à la Strato, son style est marqué par le Clapton laid-back et "less is more", avec une pincée de Steve Miller et une pointe de Roy Buchanan - probablement encouragé par la tonalité de la Telecaster -. En l'hommage de ce dernier, Verbeke composera un bel instrumental, "Roy's Gone" (sur "Blues & Ladies"), qui démontre au passage toute la finesse et l'expressivité dont il est capable. Progressivement, la guitare à résonateur (Dobro) et les acoustiques vont prendre de plus en plus de place. A noter que pour les acoustiques, Verbeke va faire confiance à des luthiers du cru.
Avec l'album suivant, "Tais-toi et rame", en 1982, il rencontre un certain succès, notamment grâce la chanson laid-back "Descend de ta planète" (récupération de "Take Me to the Pilot" de Keith Foirsey - composé par Giorgo Moroder) largement diffusé par les radios. Toutefois, ce second opus est parfois jugé commercial. C'est peut-être pour cette raison que le suivant, "Bec Vert", rend hommage à Muddy Waters. L'un de ses mentors, décédé quelques mois (le 4 avril 1983) avant la réalisation du disque. Cette troisième galette est bien accueillie par la presse, cependant Verbeke finit par se retrouver sans label, lorsque Underdog Records met la clef sous la porte en 1986.
En 1990, toujours dans l'optique de faire connaître et apprécier le Blues, il organise une exposition intitulée "Balade au pays du Blues". Avec visite guidée en chansons, adaptée aux plus jeunes. La même année, il se produit au Beale Street Blues Festival de Memphis. Une prestation appréciée et qui va plus tard l'amener à se produire régulièrement outre-Atlantique, notamment en Louisiane et aussi au Canada.
Année faste puisqu'il reprend le chemin des studio et réalise son quatrième disque, "School Boy Blues". Mais c'est l'album suivant qui, enfin, fait un malheur grâce à une chanson pleine de bonnes vibrations qui squatte les ondes radios, "De Quoi J'vais Plaindre". "Blues & Ladies", dans lequel on retrouve un certain Luther Allison, mais aussi que Bill Deraime (magnifique duo sur "Eh Bill" où ce dernier joue le gars défaitiste et déprimé auquel Patrick tente de remonter le moral), Spencer Bohren et Claude Langlois (vieux compagnon de route, à la pedal-steel et au Dobro), restera la plus belle réussite commerciale du Normand. Hélas, il passe la suite de la décennie dans un brouillard tout relatif, dû des contrats à court terme dans divers petits labels à la distribution modeste. Des petites perles comme "Funky Français" peuvent, hélas, s'avérer difficiles à dénicher. Il lui faut attendre le début du siècle suivant, et la signature avec Dixiefrog pour que l'on puisse à nouveau trouver aisément ses disques chez les disquaires.
A partir de 1994, il commence à se produire avec son fils, Steve, chanteur et excellent harmoniciste. Ils finiront par réaliser un disque ensemble, tardivement, en 2011, "La P'tite Ceinture". En 1994 toujours, il écrit, avec Jean-Emile Néaumet, "Un gentleman guitariste", une biographie sur Eric Clapton. Autre grosse influence.
Parallèlement, il n'abandonne pas son travail de passeur avec un nouveau palier consistant cette fois-ci à enregistrer du Blues qui soit à la portée des enfants - et forcément plus chaste 😁. "Willie et Louise", conte "Bluesical", tisse en vingt-deux pièces l'histoire des douze-mesures en commençant par le Country-blues d'avant-guerre jusqu'au durcissement électrique et quelques branches issues de ce majestueux patrimoine américain. Cela tout en expliquant l'histoire et les difficultés dramatiques de la communauté Afro-américaine. Rien à voir avec les soupes de Disney.
Pendant quatre années, il anime une émission pour Europe 1 où il ne quitte pas sa guitare, ne cessant de s'exprimer avec et à travers elle tout au long de la diffusion. L'émission, baptisée du nom de son succès, "De Quoi J'vais Plaindre", est une franche réussite, parvenant même à attirer ceux qui ne sont pas spécialement au fait de la culture Blues. Outre la musique évidemment dédiée au Blues, des musiciens sont conviés à partager leurs impressions et à taper le bœuf. Et si jamais ils se pointent les mains dans les poches, Verbeke garde toujours une gratte ou un harmonica à porter de main. Suite à ce succès radiophonique, à la demande de la revue Soul Bag, il va coucher sur le papier quelques anecdotes et impressions liées à l'émission et ses invités. A l'époque de la cinquième chaîne, la 5, il anime aussi "La 5ème rencontre".
En 2004, toujours sur Dixiefrog (un label que l'on peut aujourd'hui considérer comme historique, qui n'a jamais cessé, depuis plus de trente ans, de promouvoir le Blues et le Blues-rock en France), il réalise "Echos d'Acadie", fruit de ses voyages dans ses terres Canadiennes témoignant encore, du métissage de diverses cultures que l'on retrouve dans les musiques de ce vaste territoire. De l'Afrique et de l'Europe bien sûr, mais aussi de la culture amérindienne trop souvent occultée, voire parfois méprisée, aux Etats-Unis.
Toujours dans la droite ligne de son sacerdoce, proposant le Blues comme une thérapie salvatrice, il s'investit dans une école musicale, nommée "Luther Allison Blues School", dans le label Magic Blues, fondé pour faire la promotion des groupes francophones de Blues. Puis dans "Blue TV" sur CanalWeb.net.
En 2011, il réalise son dernier album, "La P'tite Ceinture", avec son fils, Steve. A qui le père a transmis le virus du Blues. Des problèmes de santé l'obligent à s'économiser, et donc à réduire ses concerts et son engagement pour la découverte et la pérennisation du Blues.
Déjà bien diminué depuis quelques temps, en raison d'une longue maladie, il peinait à jouer certains chorus et soli de guitare, et sa voix se cassait, mais il essayait de continuer tant bien que mal, essayant dès que possible de se produire sur le net ou, plus rarement, sur les planches. Pour la reprise de son PV Show sur YouTube, avec malice il introduit son émission par un "Non, et bien non, je ne suis pas mort... De justesse, hein. Ha, c'est vrai qu'avec toutes ces emmerdes en c'moment". Les hospitalisations devenaient plus fréquentes. Jusqu'à ce dimanche 22 août 2021.
Au même titre que Bill Deraime, Jack Bon et Benoit Blue Boy, voire de Paul Personne, Patrick Verbeke demeure une grande figure du Blues à la française. Un bonhomme chaleureux, intègre, qui, d'après ses proches, resta disponible même lors des moments difficiles. Un auteur-compositeur interprète qui préférait parler de musique et de son histoire (intarissable en la matière), plutôt que de lui-même. Un trait de caractère assez rare. Son long parcours, ses cinquante années de carrière, ses multiples rencontres, ses excursions à la découverte de la musique et de ses interprètes, ses qualités de conteur, auraient eu de quoi faire une sympathique et intéressante biographie. Mais Patrick Verbeke préférait discourir sur les autres, se mettre en retrait pour mieux les mettre en valeur. Patrick Verbeke était un monsieur. Un grand et authentique artiste.
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BEN MERDE ALORS!!!!!!!!!!!!!!!!!! UN MEC SI GENTIL ET SI HEUREUX DE VIVRE LE BLUES!!!!!!!!!!!!VIVE EMOTION D4APPRENDRE LA TRES TRITE NOUVELLE PAR R and F.WILLIAM.
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