Cela fait des heures que Neil Young perce, fixe, abat des cloisons, en érige d’autre. L’homme sent à peine sa fatigue. Il a 26 ans, l’âge où un homme est au sommet de puissance virile. Il faut dire aussi que notre canadien est dans une très bonne période. Tout a commencé quelques jours plus tôt, alors qu’un de ses rares moments d’ennui l’incita à regarder le film « Journal d’une femme mariée ». Il tomba immédiatement sous le charme de Carrie Snogress, l’actrice principale. Plus d’un homme aurait perçu un coup de foudre aussi incongru comme un simple délire dû à la fatigue, pas notre canadien. Tout homme qui ne va pas au bout de ses idées est un Jean foutre, il parvint donc rapidement à contacter l’actrice en question.
Quelques jours plus tard, Carrie vint vivre dans son ranch, ce qui ne fit qu’encourager Neil dans son travail acharné. Il pensait avoir atteint une certaine maturité, était convaincu que ce ranch allait devenir le lieu sacré où il fondera une famille. Malheureusement, si sa volonté fut de fer, son corps n’était pas fait du même acier. Une douleur atroce immobilisa son dos, qu’il ne put allonger qu’au prix de souffrances à la limite du supportable. Le diagnostic de son médecin fut sans appel, Neil devait désormais porter un corset et éviter au maximum les efforts physiques. Contraint au repos, il s’imprégna du calme de son ranch, prit le temps d’apprécier la douceur de la vie à la campagne.
C’est dans ce cadre que furent écrites les chansons composant « Harvest », que le Loner n’enregistra pas avec le Crazy Horse. Découvrant un succès qu’ils n’ont jamais connu, les compagnons de Dany Whitten sont en pleine déchéance toxicomane. Neil Young a donc pris ses distance avec le groupe qui l’accompagnait sur plusieurs de ses grands disques peu après la sortie de « After the gold rush ». Quelques jours après ce divorce, il fut invité à Nashville, pour participer à l’émission de Johnny Cash. Pour l’accompagner, il choisit une bande de musiciens locaux triés sur le volet, qu’il renomma les Stray Gator. C’est avec ce groupe qu’il enregistre « Harvest », qui sort en 1972.
Tiré de ce disque, « Heart of gold » passe en boucle sur une bonne partie des radios américaines, au point que tous les enfants nés cette année-là doivent avoir son refrain gravé dans un coin de leur mémoire. « Harvest » est au country rock ce que « Sgt Pepper » est à la pop, un monument inattaquable, une certaine vision de la perfection musicale. Ce disque est tout simplement beau, démesurément beau, d’une beauté qui apaise même les esprits les plus perturbés.
Pour ouvrir ce monument bucolique, « Out of the week end » est porté par un rythme qui vous masse tendrement les tympans, la guitare slide ayant la chaleur du soleil californien. A intervalle régulier, l’harmonica fredonne son blues rêveur, qui clôt le titre sur un souffle digne des grandes mélodies de Bob Dylan. « Harvest » (la chanson) poursuit cette country rassurante, le groupe jouant avec la lenteur charismatique d’une bande de Mariachi endormie par une chaleur désertique. Puis vient « Man need a maid », long crescendo lyrique où l’orchestre symphonique de Londres transcende le lyrisme romantique de Neil Young.
De la légèreté de « Heart of gold » à la gravité nostalgique de « Old man », de la douceur inquiète de « The needle and the damage done » à l’allégresse de « A man need a maid », « Harvest » maintient cette douceur apaisante qui ne peut que charmer. « Harvest » est un paradis perdu, une bulle de bonheur dans un monde troublé, c’est aussi le sommet d’un certain renouveau country. Des ex Jefferson Airplane de Hot Tuna aux Grateful Dead, de Bob Dylan aux Byrds, tous ont sorti le rock de ses rêves psychédéliques à grands coups de swing country.
Une fois de plus, c’est Neil Young qui ferme cette porte, cette formule ne pouvant plus dépasser une telle perfection. « Harvest » est LE disque qui va définir Neil Young, alors qu’il va longtemps s’acharner à ne pas le reproduire. Si une autre maison de disque lui propose un meilleur contrat, c’est en espérant que le Loner poursuivra dans cette direction aussi lucrative que brillante. Mais un artiste sincère ne peut produire deux fois le même album, surtout un disque aussi personnel que « Harvest ». Cet album a été inspiré par un bonheur qui ne reviendra jamais de cette façon, c’est l’œuvre d’un homme qui veut que sa joie rayonne sur le monde. Or, ce ciel dégagé n’allait pas tarder à s’assombrir.
J'avais fais une chronique sur "Harvest" il y a deux ans, mais la tienne complète bien et apporte un peut plus de lumière dans les détails ! (y)
RépondreSupprimerhttps://rock-in-progress.blogspot.com/search/label/Le%20Mag%27?m=0
SupprimerJe m'en suis rendu compte après l'avoir envoyé désolé.
RépondreSupprimerMerci pour tes encouragements.
J ai écrit aussi un dossier sur le loner qui est disponible dans l'onglet le Mag de mon site.
Excellent blog !!! Il va occuper mes lectures pendant les longues soirées d'hiver !!!
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