mercredi 15 septembre 2021

HEAVY FEATHER "Mountain of Sugar" (2021), by Bruno

 

     Décidément, la scène scandinave doit être l'une des plus active en Europe. Outre sa forte contribution à toute la sphère Metal, Doom et Black-metal, en plus d'avoir toujours été une terre d'accueil pour les vieilles gloires, depuis quelques années, elle n'a de cesse d'enfanter des groupes plongeant profondément leurs racines dans ce riche et inépuisable terreau hérité des années 70 - débutant deux trois ans avant la décennie. Sorte de terra preta musicale. Au point où l'on pourrait presque parler d'une New Wave of Scandinavian Heavy-Rock (revival) - initiée par des groupes tels que Blues Pills, Kamtchatka, Graveyard, Lykantropi, Siena Root, The Vintage Caravan, Pristine, voire le virage effectué par Spiritual Beggars et Opeth, ou encore Acid's Trip. Une musique parfois baptisée Roots Rock en raison évidemment de ses influences et sources, mais aussi pour le recours à du matériel d'obédience "vintage". Une préférence marquée par l'orgue Hammond - ou du moins ses sonorités - et la Fuzz. Heavy Feathers est de ceux-là. Un quatuor suédois dont les principales influences revendiquées sont Cream, Free, Black Sabbath  et... Lynyrd Skynyrd. Sachant que le guitariste, Matte Gustafsson, serait une véritable encyclopédie du British-blues. Ce denier n'ayant guère laissé de marque sur leur musique. Toutefois, le but d'Heavy Feather n'est pas de perpétuer à la lettre une tradition, mais bien de maintenir la flamme en la faisant évoluer. 



   Ce combo suédois a déjà réalisé un très bon disque en 2019, "Debris & Rubble", qui présente une approche relativement sobre, exempte de surenchère technique et démonstrative, sans artifices de production. Un album de Heavy-rock bio, sans gluten ni sodium rajoutés 😁. Un disque qui sent bon l'intégrité et la sincérité. Ce nouvel essai n'a pas dévié d'un pouce de sa direction. En dépit du temps qui les sépare, ces deux disques auraient pu sortir à un ou deux mois d'intervalle. Toutefois, dans l'ensemble, "Mountain of Sugar" est tout de même marqué par des compositions plus abouties, plus resserrées. Plus durs aussi, plus sombres, plus âpres, bref plus hard. C'est un peu comme si la guitare était passée de P90 (micro) à du Humbucker. D'une Gibson SG ou Firebird à une LesPaul. Hélas, cette avancée s'est au passage un peu détachée de l'harmonica. Une erreur, car lorsque la chanteuse Lisa Lystam s'époumone dans le ruine babines, elle insuffle une saveur bluesy des plus délicieuses. Contrastant judicieusement avec une orchestration flirtant avec les premiers Black Sabbath et Mountain. C'était du miel pour les esgourdes. Néanmoins, ce pas en arrière n'empêche pas cette dernière réalisation de se faire apprécier.  Entre Hard-blues et Heavy-rock 70's, d'une structure d'apparence relativement simple, mais de bon aloi. Même la production travaille pour faire remonter le temps à l'auditeur, avec une patine veloutée, comme passée au travers d'un fin voile favorisant plutôt les graves. 

     L'album s'ouvre sur un morceau des plus classiques. Bon, énergique, faisant son office. Bien que sans éclat particulier, "30 Days" est néanmoins une bonne carte de visite, dévoilant sans ambages la direction musicale purement début 70's du combo. "Bright in my Mind" enchaîne rapidement, pratiquement sur le même tempo. Toutefois, la teneur est d'un meilleur cru. Morceau plus élaboré, fortement lié à Blues Pills - avec basse galopante -, illuminé par un break aux vagues parfums de western-spaghetti. "Love Will Come Easy" perpétue la bonne parole du Hard-blues, sur n tempo plus lent, presque sudiste. Taquins, les gars utilisent un kazoo pour doubler un chorus.

 

   Etonnamment, la chanson éponyme se présente comme le maillon faible de l'album, avec son rythme primaire, roboratif et appuyé à la Queen of the Stone Age que les rares traits d'harmonica sauvent in extremis du naufrage. Pur instant de Hard-blues avec "Too Many Times" qui envoie de la grosse slide bluesy, épaissie par une fuzz vintage, mariant le style de rythmique pesante d'un Mountain avec le type syncopé de Free, et l'approche "bûcheron" de Bachman Turner Overdriv. En fait, cela aurait pu être une reprise de Blackfoot.

     Avec "Let It Shine", le combo révèle un énorme potentiel émotionnel. Sombre rêverie, instant de paix introspective, où les chœurs en clôture de refrains - puis en support - parviennent à évoquer innocemment la mélancolie de la musique de "Edward Scissorhands" par Danny Elfman. Certes, de façon plus abstraite. Un simple  morceau modeste, assez (trop) court, exempt de break et de solo.  "où est tu allé ? J'espère que tu trouveras un peu de paix là où tut te sentiras libéré de tes peurs"

     Avec "Come We Can Go", le groupe s'envole, part en orbite pour une jam mémorable entre Grace Slick et Grand Funk Railroad. La gratte déborde de fuzz proche de la rupture, la basse roucoule, pendant que le batteur ,Öla Goransson, déballe à grand renfort de cowbell ("more cowbell !") des avalanches de patterns. Öla qui accompagne, à temps perdu, la chanteuse-harmoniciste de Country-rock, Stacie Collins (avant l'annulation des spectacles).

     Autre surprise avec le meilleur moment de l'album qui pourrait bien être la seule chanson où Lisa se met en retrait. En effet, "Sometimes I Feel" est chanté par le guitariste-compositeur Matte Gustafsson. Cette chanson ressuscite magistralement l'esprit de Mountain. D'ailleurs, le grain de la Fuzz et l'accent chantant du solo portent indéniablement l'empreinte de feu Leslie West. Une lourde référence qui ressort bien des fois sur le jeu du guitariste. Tandis que son chant rappelle le Clapton de Cream et de Blind Faith. Malgré tout le talent et la verve de Lisa, on en vient à regretter que Gustafsson n'ait pas remis ça. D'autant que cela permet à Lisa de ressortir son harmonica (même si cela se résume à une brève phrase).



   Peut-être que finalement, l'ombre de Lynyrd Skynyrd est bien présente sur le quartet. Du moins si l'on se réfère à "Lovely, Lovely, Lovely". Toutefois un Lynyrd qui aurait fusionné avec Mountain, avec ce gros riff binaire et pataud soutenu par une cowbell ("more cowbell"), et surtout ce final, juste avant le coda, où les guitares rugissent comme de chevaux en rut. Un pré-final pas loin non plus des joutes débridées de Cream.

   "Rubble & Débris" - du titre du précédent opus - par contre, est allé farfouiller du côté de chez Deep Purple mark II pour pondre ses deux riffs principaux. En l'occurrence, c'est surtout "Space Truckin'" qui a été à peine refondu pour servir de matériau. Carrément. En tout cas, le chant de Lisa excuse l'emprunt, et la vivacité de la batterie ravirait Ian Paice. Et la basse, Roger Glover. Voire, sur le break, Geezer Butler ou Pappalardi. L'album se referme sur "Asking In Need" sur des couleurs plus sixties ; teintes tamisées et flottantes, se faufilant entre les hautes herbes sèches de l'été, dans le sillage d'une jeune innocente, humant l'air de la liberté, courant pieds nus, son corps gracile couvert d'une longue et fine robe fleurie. (Midsummer ou Midsommar ?). Ou simplement écho d'un Jefferson Airplane chapeauté par Leon Russell.

     Le format court a été largement privilégié, avec onze morceaux pour seulement 37 minutes de durée totale. En conséquence, les chansons vont à l'essentiel, et personne ne vient faire son numéro de soliste en crise existentielle. Gustafsson prévoit par contre de les étirer librement, et à l'envie, sur scène. Néanmoins, "Let It Shine" et "Asking In Need" auraient mérité une large durée, d'autant que ce dernier finit par un fade out. Comme si on lui avait coupé le sifflet, au moment où le groupe se laissait aller, porté, hypnotisé par leur propre musique.  


   Lisa Lystam
est une autre de ces passionnées qui s'est jetée corps et âme dans la musique, se dépensant sans compter, pourvu qu'elle puisse arpenter les planches et les salles de studio. Ainsi, parallèlement à Heavy Feather, elle partage son temps avec un groupe de Blues-rock, - tendance Hard-blues 70's - humblement nommé le Lysa Lystam Family Band. Elle ne s'écarte pas vraiment du chemin qu'elle a choisi d'emprunter. Et on la retrouve aussi, sur le dernier et très bon disque de Siena Root, "The Secret Of Our Time", en duo avec une autre chanteuse, et aux cotés de... Matte Gustafsson. Matte que l'on retrouve aussi sur le troisième disque du Lisa Lystam Family Band (inséparable ? c'est louche... ). On ne s'étonnera pas des similitudes qui peuvent surgir, entre Heavy Feather et Sienna Root, sachant  que Matte a intégré ce dernier en 2013/2014.

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