Pour ces trois vendredis estivaux, je vous propose de la lecture, avec trois bouquins très différents, un récit historique de Jules Vallès, un roman contemporain de Delphine de Vigan, et un polar bien noir de Jim Thompson. 1, 2, 3... c'est parti ! Bon été.
Vous connaissez Jim Thompson. Ce n’est pas une question. Vous connaissez Jim Thompson, car c’est un des plus fameux auteurs de Série Noire, et parce qu’on en a déjà parlé ici, à propos de NUIT DE FUREUR et 1275 ÂMES son roman le plus célèbre, adapté par Bertrand Tavernier sous le titre COUP DE TORCHON.
Ecrivain et scénariste, raison pour laquelle il s’installe finalement à Hollywood en Californie, il a collaboré deux fois avec Stanley Kubrick, et a été adapté au cinéma : GUET-APENS de Sam Peckinpah, LES ARNAQUEURS de Stephan Frears, SERIE NOIRE d’Alain Corneau, THE KILLER INSIDE ME deux fois porté à l’écran, notamment par Michael Winterbottom, et donc COUP DE TORCHON.
Dans le même registre noir, cynique et désabusé, Jim Thompson récidive avec NOTHING MAN, écrit en 1954, et publié en France sous le titre MONSIEUR ZERO (mouais…) en 1966. Le monsieur en question est Clinton Brown, journaliste au Pacific City Courier. Professionnellement il est plutôt bon, humainement il est imbuvable. Car Clinton est un alcoolique invétéré. C’est hallucinant ce qu’il descend comme liquide avant le petit déjeuner. Il boit pour oublier, comme on dit, mais oublier quoi ? Son secret. Sa honte. On va mettre du temps à comprendre ce qui le rend aussi mauvais.
Il a
fait la guerre, perçoit une pension, mais son entourage ne comprend pas pourquoi.
Il semble sain d’esprit, n’a perdu ni bras ni jambes, donc quoi ?
Son ex-femme semble connaître son secret, et son retour inopiné à Pacific va enclencher
une routine meurtrière. Clinton se méfie de ce que cette radasse pourrait raconter contre
quelques billets, donc : « Monsieur Clinton Brown regrette d’avoir à
assassiner Ellen Tanner Brown ». Puisant son courage au fond de sa
bouteille, il étrangle sa femme dans un bungalow, puis y met le feu. A sa femme d'abord et donc au bungalow.
Le shérif chargé de l’enquête est son grand pote Lem Stuckey. Ce fait divers intéresse aussi le journal local, dirigé par Austin Lovelace, qui est le notable du coin, le gars puissant. Le rédacteur en chef s’appelle Dave Randall, le genre de type sur qui on s’essuie les pieds avant d’entrer. Tout ce beau monde se presse pour présenter des condoléances obséquieuses, mais tout de même, c’est fâcheux ce meurtre sordide dans notre bonne ville… Clinton Brown va tous se les mettre dans la poche, dirigeant presque l’enquête sur le crime qu’il a lui-même commis.
On retrouve l’ambiance de 1275 ÂMES, cette même façon pour le héros de raisonner, procéder. Il passe pour un abruti, et embobine son monde. Le roman est écrit à la première personne, c’est Brown qui raconte - quand il se souvient des évènements. Le talent de Brown est d’influencer les autres sans qu’ils ne s’en rendent compte, les persuadant que c’est pour l’intérêt commun alors qu’il ne sert que les siens. Il faut impérativement lancer les enquêteurs sur la piste d’un crime crapuleux, et nettoyer la ville de ses nuisibles, ses pourritures. Électoralement parlant, ça ne mange pas de pain. Si ça ne fonctionne pas, le plus simple sera de diriger les soupçons ailleurs, sur un innocent si possible, son collègue Tom Judge sera parfait dans le rôle du tordu sexuel.
Le plan aurait fonctionné sans l’arrivée intempestive de nouveaux personnages. Une madame Chasen, relation du couple Lovelace, que Brown est prié d’occuper quelques jours, lui faire visiter les environs. Sauf qu’elle s’accroche, cette conne, devient pénible, à fureter, à poser des questions. Pour la mettre à distance, rien de tel qu’un compliment : « Vous êtes stupide, vous louchez, je n’ai pas vu de cheveux comme les vôtres depuis que j’ai arrêté l’équitation, votre poitrine me fait penser à une baleine, je refuserais de m’en approcher même si le vent du nord me poussait dans votre direction ».
Autre menace, cette vielle bique de Constance Wakefield « Une de ces femmes
verticales qui vous évoque un tuyau de poêle, la chaleur en moins » une free-lance qui se met en tête d’éditer les poèmes écrits par Clinton
Brown que son ex-femme lui avait envoyés. Ca sent l’escroquerie, le chantage.
Plus le roman avance, plus ça se complique. C’est que Lem Stuckey est loin d’être le con de service que Clinton se plaît à décrire et à manipuler. Il mène une vraie enquête, fouillée, vérifie indices, pistes, alibis. Des rebondissements imprévus contrarient ses plans, Clinton, perd pieds au fil des chapitres.
Le héros désabusé et cynique nous apparaît finalement comme un raté, une déjection, un mec pas fréquentable, et donc impitoyable avec tous ceux qui l’entourent. On a envie, comme son pote Lem, de le comprendre, l’aimer, le secourir. Mais plus on lit, moins on prend cause pour lui. Là est la noirceur du roman, où veut nous emmener l’auteur. Les portraits des personnages sont tordants (j’en ai donné un aperçu) car le livre est aussi très drôle. Mention spéciale pour ce dîner chez Dave Randall dont la femme ne cuisine qu’avec de la mayonnaise, un plat de saucisses avariées, immonde, Clinton dira « je n’ai jamais mangé des gants en caoutchouc aussi bien préparés » !
Le style est fabuleux, ça claque, les répliques fusent, on en ressort comme groggy après une bonne cuite. Mais Jim Thompson ne nous met pas dans une situation confortable. Le récit à la première personne devrait faire du lecteur un intime du héros, dont on découvre au fil des pages, si drôle et allumé soit-il, qu’il un mec finalement détestable.
Ah cool, merci, je ne le connaissais pas celui-ci.
RépondreSupprimerJe viens de lire ton commentaire, et wow, ça donne carrément, carrément très envie. Même si c'est noir de chez noir (comme on sait, en tant que lecteur, quand on tombe sur Jim Thompson).
A plus,
Freddie.
Salut Freddie, merci d'être passé !
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