Pour ces trois vendredis estivaux, je vous propose de la lecture, avec trois bouquins très différents, un récit historique de Jules Vallès, un roman contemporain de Delphine de Vigan, et un polar bien noir de Jim Thompson. 1, 2, 3... c'est parti ! Bon été.
Ce roman de Delphine de Vigan explore la face obscure des émissions de télé-réalité et des réseaux sociaux, si tant est qu’il y ait une face plus claire. L’intrigue commence en 2001, Mélanie Claux, adolescente, regarde à la télé le dernier direct de l’émission Loft Story sur TF1, première du nom dont la blonde Loana est sortie vainqueur, celle qui doit sa notoriété pour s’être tapée Jean Edouard dans une piscine. C’est en tout cas ce qui s’était dit à l’époque, je n’étais pas sous l’eau pour confirmer (bien que le point de vue eût été agréable).
Clara Roussel, de la même génération, regarde aussi la finale du Loft. L’auteur va brosser l’itinéraire de ces deux femmes, jusqu’à leur point de rencontre, 18 ans plus tard. Mélanie, qui s’était essayée à la télé via un casting, foiré, humiliée, est aujourd’hui mère de famille. Clara est devenue policière à la brigade criminelle, plus exactement procédurière, une fonction plus axée sur l’administratif, que le terrain.
Mélanie Claux, fascinée par Loana, les paillettes, la célébrité, a créé la chaîne Youtube Happy Récré, où elle filme le quotidien de ses deux enfants, Sammy et Kimmy, d’abord de façon amateur et anecdotique, et au fil des années, le succès venant et les sponsors avec, de manière plus professionnelle. Les deux gamins, qui ne demandaient rien à personne, sont devenus des influenceurs que les marques s’arrachent, ils testent en direct des pâtes à tartiner, poupées, jeux vidéo, panoplies de princesse, la dernière paire de Nike flashy… Mélanie est devenue une chef d’entreprise qui génère de solides revenus, de quoi faire des jaloux, des aigris. Ce beau monde rose-bonbon s'effondre quand Kimmy est enlevée. Clara Roussel entre alors en scène.
Le livre est ponctué par les procès-verbaux d’interrogatoires de la police, qui rendent compte très précisément, presque cliniquement, de la progression de l’enquête. L’aspect policier est assez documenté et juste, comme tous les éléments qui ont trait à l’industrie des réseaux sociaux, notamment les gains - une loi du 19 octobre 2020 encadre désormais l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur Internet.
Le roman s’attache à deux femmes au profil contraire, Mélanie est son obsession de l’image, de l’audience, elle tient aussi une story sur Instagram. Clara est au contraire réservée, très professionnelle, qui refuse de se mettre en avant, une travailleuse de l’ombre, acharnée. Pourtant toutes les deux ont un point commun : elles ne semblent pas être sorties de l’enfance. Mélanie par ses attitudes d’adolescente, son langage, ses tenues, ses vernis à ongles paillette, et Clara par sa taille, petite, menue, reluquée de dos par quelques pervers pensant avoir affaire à une gosse, et découvrant en fait une adulte.
LES ENFANTS SONT ROIS est une plongée dans une époque où l’important est d’être vu, suivi, liké, la recherche de l’audience. Un personnage comme Mélanie, dépitée de n’être pas devenue une star de la télé-réalité, a compris qu’elle pouvait s’imposer dans ses propres productions sur les réseaux sociaux, en exploitant ses mômes, les exposant à la vue de millions de followers, quitte à les détruire à petits feux. Ce que révélera la dernière partie du roman qui se passe en 2030, des situations à peine anticipées, une maison truffée de caméras où Mélanie se met en scène, du réveil au coucher. Mélanie Claux n’a plus besoin de TF1 ou d’un décor à la Plaine Saint Denis pour vivre dans son Loft.
Delphine de Vigan observe ce monde terrifiant avec une certaine acuité. Le roman est bien construit, le suspens quant à l’enlèvement de la gamine est bien dosé, les enquêteurs ont du mal à cerner le profil criminel du kidnappeur. La rançon versée sur le compte bancaire d’une association pour l’enfance, en un clic, filmé et diffusé en direct sur Instagram, est j’avoue une belle idée ! Mais on n’est tout de même pas dans un thriller survolté.
Le roman est bien écrit, sans que le style ne soit fulgurant, j’imaginais de la part de l’auteur – que je n’avais jamais lu - une prose plus recherchée, moins lisse. La forme est semblable au fond, au propos. Une fois le livre refermé - on prend du plaisir à le lire - je me dis que l’auteur n’a pas grand-chose de nouveau à dire sur ce sujet assez rebattu par les médias. On a l’impression que LES ENFANTS SONT ROIS a été écrit 10 ans trop tard. La qualité d’un romancier est parfois d’anticiper sur son époque, extrapoler les mœurs de ses contemporains, comme Michel Houellebecq dans « Les Particules élémentaire » ou « Soumission », ouvrages polémiques qui avaient faits débats.
Ici de Vigan semble prendre le train en marche, elle n’anticipe pas le phénomène, il est déjà là. Elle n’utilise pas ce matériau sociétal pour imaginer un monde effrayant, elle ne pousse pas le curseur jusqu’à la dystopie. Je me souviens d’un livre de JC Ballard « Super Cannes » qui m’avait frappé à l’époque, en 2000, par la noirceur du tableau dressé d’un monde en apparence idyllique. On imagine ce qu’un Maurice G. Dantec ou une Virginie Despentes auraient pu écrire sur une telle trame. Chez Delphine de Vigan, la face noire des réseaux sociaux tient davantage du gris clair.
345 pages / Gallimard
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