J’avais prévu de vous parler de l’excellent BIENVENUE A GATTACA, mais changement de programme. Comme dirait Gérard Holtz, place au direct...
Car on va parler de MÉDECIN DE NUIT, pas une rétrospective de la série TV 80’s avec des pin-pon partout, mais d'un sacré bon petit Film Noir. On en voit peu en France, celui-là est donc à signaler. Le Film Noir permet de parler de faits sociétaux, sans tomber dans le piège du film-dossier. Un film à la fois documenté, qui explore un milieu, ici le trafic d’ordonnances, mêlé à une intrigue haletante proche du polar.
Le scénario est un modèle de concision. Ca dure 1h20, l’intrigue se déroule sur une nuit, avec une poignée de personnages dont les itinéraires sont intimement entremêlés. C’est un huis-clos urbain, qui suit Mickaël, un médecin en maraude qui travaille dans sa voiture, le terminal de carte bleue rangé dans la boite à gants, où il reçoit des toxicos à la recherche de Subutex, un médoc qui traite la dépendance à l’héroïne.
Voilà pour le premier aspect du film, une vie nocturne, solitaire, au chevet des plus démunis, « un acte politique » comme le dira Mickaël à l’inspectrice de l’assurance maladie qui l’a dans le collimateur. Mickaël est un philanthrope et c’est ce qui le perdra. Sa vie privée vacille, sa femme Sacha lui lance un ultimatum, si tu ressors cette nuit, inutile de remettre les pieds ici. Sa femme, il l’aime, il l’adore, comme ses deux gamines, il l’appelle toutes les cinq minutes pour lui dire.
Deuxième aspect : s’il aime sa femme, il brûle aussi Sofia, une jolie préparatrice en pharmacie, à qui il promet l’amour fou sous les tropiques. Mickaël promet tout à tout le monde. Sa grande phrase est « ça va s’arranger, je vais trouver une solution ». Sofia est maquée au cousin de Mickaël, Dimitri, le pharmacien. Ce même Dimitri qui a embarqué Mickaël depuis quelques mois dans un trafic de Subutex, troisième aspect, une arnaque à la Sécu (une pilule est revendue 200 euros au marché noir) pour le compte d’Ossip, un mafieux géorgien. Mickaël lui annonce vouloir tout arrêter, cette nuit est la dernière.
Donc voilà un type qui va s’enfoncer dans une merde bien noire, uniquement parce qu’il aime les gens, leur veut du bien, sa femme, sa maîtresse, son cousin endetté, ses paumés accros à la seringue qu’on laisse crever dans les rues.
Mickaël est joué par Vincent Macaigne, qui jusqu’ici traînait un peu toujours le même type de personnage, lunaire, ballot, le bon pote. Ici, avec sa silhouette stylisée, vêtu de noir, cheveux lissés (le réalisateur dit s’être inspiré de Batman veillant sur Gotham City, pas faux !) il montre autant de fêlures, de doute, que de force et de détermination. S’il reçoit des coups, il sait en donner aussi. Le flingue n’est pas loin, dans le coffre de sa bagnole.
Il me rappelle le personnage de Coluche dans TCHAO PANTIN, y compris dans la dégaine, la démarche lourde, fatiguée, et comme le pompiste ex-flic marqué par le deuil, Mickaël est un homme qui a choisi la nuit, prêt à sauver le monde quitte à se fritter à plus méchant que lui.
Les deux films ont un univers commun, la nuit, la solitude, les bars, les quartiers populaires, les recoins sombres, les enseignes qui se reflètent sur les pavés luisants de pluie. L’impression de huis-clos est suggéré par une caméra qui reste accrochée aux basques du bon docteur, elle ne s’élève jamais, pas de mouvement amples ou calculés, pas d'horizon (sauf le lever de soleil final) elle ne nous laisse jamais respirer. Pas de scène d'exposition, on entre immédiatement dans le film, premier plan, première ordonnance, c’est tendu dès la première minute.
Les rares moments paisibles pour Mickaël sont les visites à domicile, on en voit plusieurs, la nuit on soigne les angoisses, le stress plus que les gastro. Mickaël prend le temps d’écouter, de regarder les photos de famille, remarque une partition sur un piano chez une femme qui lui dit : « Vous n’avez pas l’air bien docteur, asseyez-vous, je vais vous jouer un morceau calme… » Très jolie scène, petit moment suspendu avant de reprendre sa tournée rythmée par les appels de Karim le dispatcheur, et l’angoisse de croiser le chemin des sbires d’Ossip lancés à ses trousses.
On pense à des films américains typés Nouvel Hollywood, le MEAN STREETS de Scorsese, LE FLAMBEUR de Karel Reisz avec James Caan en prof de lettres accros au jeu, les polars de James Gray. Outre le décor urbain, nocturne, l'autre grande figure du Film Noir, c’est la femme mystérieuse, diablement attirante, la sirène dont on ne sait si elle participe à la rédemption du héros, ou l’amène à sa perte. Sofia est interprétée par l’exquise Sara Giraudeau (décidément, après LE DISCOURS…) troublante, ambiguë, que sait-elle des affaires louches de Dimitri ? Joué par Pio Marmaï, aussi à l'aise dans la comédie que le drame, le chaleureux et jovial cousin empêtré dans son trafic et lui aussi maléfique, un aimant à emmerdes, qui profite de son lien avec Mickaël pour tirer toujours plus sur la corde.
Je disais un petit film au sens où on est finalement proche de la série B, intrigue compacte, tout en tension, le fait que l’histoire se déroule sur quelques heures ne permet aucune digression, ce qui rend cette aventure d’un soir plus étouffante.
couleur - 1h22 - scope 1:2.35
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