jeudi 15 juillet 2021

Józef ELSNER – Symphonie en do majeur (1805) - Bogusław DAWIDOW (2007) – par Claude Toon

 


- Ahah Claude, symphonie promise, symphonie due !  Jósef Elsner était le professeur de Chopin et de son camarade de conservatoire Dobrzyński ?
- Eh oui Sonia, lors de la précédente chronique, beaucoup, moi le premier ont découvert la fougueuse 2ème symphonie de Dobrzyński …
- Et par ricochet, tu nous avais promis, vacances obligent, d'écouter une pimpante partition de son professeur un peu trop oublié lui aussi…
- Et je soulignais la richesse de la musique polonaise à toutes les époques, du classicisme à l'époque contemporaine. Au fait, tu as trouvé tes bikinis ?  
- Oui, mais rien de bien sexy ; de toute façon j'ai annulé le séjour naturiste ; Nema ne veut pas, elle a peur des coups de soleil aux…
- Ok, ok Sonia, ça ne nous regarde pas… Partez faire un trekking au Groenland avec des bikinis à cols roulés, hihi…


Jósef Elsner

Un pas en arrière. Lors de mon dernier papier, nous écoutions la symphonie en do mineur d'un compositeur au patronyme imprononçable Ignacy Feliks Dobrzyński (1807-1867). Ce compositeur qui avait usé les bancs du conservatoire de Varsovie en compagnie du célébrissime Chopin était resté fidèle à sa patrie écartelée par son voisin russe jusqu'à disparaitre des cartes de géographie en 1795, en attendant de retrouver son unité territoriale et culturelle grâce au traité de Versailles. En 1939, le martyre recommencera, la Pologne étant laminées par les hordes nazies puis celles de l'armée rouge.


Tout le monde connaît le destin de Chopin, le prince du piano moderne qui s'exilera pour la France et dont le nom est devenu synonyme de prouesse, de poésie voire de passion haut de gamme au piano.

Dobrzyński connaît une carrière plus traditionnelle, et même s'il voyage souvent en Europe, il demeure fidèle à sa terre natale, quel que soit le nom qu'on lui impose. Il composera dans tous les genres et j'avais partagé avec mes ch.è.e.r.e.s lect.eurs.rices la deuxième symphonie de 1834 qui n'avait pas à pâlir des compositions similaires de Haydn, Mozart dernière manière ou même Beethoven première manière 😊. Une œuvre charnière entre classicisme et romantisme nourrie de thèmes de danses : polonaise, mazurkas et d'autres au noms bizarres… Et puis, une chose en entraîne une autre, voici une œuvre de leur professeur, Jósef Elsner, moins ambitieuse mais qui montre que Chopin a bénéficié d'un excellent professeur.

- Heu Claude, c'est quoi ce truc : chèeres lecteursrices ?

- Ben, c'est l'écriture inclusive ou langage epicène (non sexiste) Sonia, pour assurer la parité homme-femme. On pense ainsi supprimer la primauté du masculin comme genre neutre ; pas au courant ?

- Oui vaguement, mais c'est vraiment se prendre la tête pour des idées extrémistes, on ferait mieux de s'occuper de l'égalité salariale et de l'échelle sociale pour tous… Les filles même féministes s'en fichent de l'inclusif… 

- Pas d'inquiétude, tous les auteurs, linguistes, journalistes sérieux et ton serviteur, rédacteur ont montré l'absurdité du concept dans la langue française ; exemple : on écrit ielles sont tombées de l'armoire ou eilles etc ? En début de mot, on retombe sur un problème de précédence du genre pour le premier phonème : le e pour la fille ou le i pour le garçon ! On tourne en rond. Un tract écrit en inclusif a fait hurler de rire les parisiens. Déjà que l'avenir proche le plus prévisible d'un tract est la poubelle 😊… En fait, cette révolution Orthographo-typographique était prévue pour les documents administratifs dans un premier temps ; bienvenue la galère pour les petits et grands des familles défavorisées qui rencontrent déjà des difficultés face à notre belle langue traditionnelle… L'Académie a enterré le gadget* ; revenons à de la musique, c'est plus cool…

*Nota : lien vers la "Lettre ouverte sur l’écriture" inclusive signée par Madame Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l'Académie française, et de Monsieur Marc Lambron, directeur de l’Académie française.

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Bogusław Dawidow

Józef Elsner voit le jour en Silésie en 1769, soit un an avant Beethoven. 1769, l'année ou Haydn âgé de 37 ans s'installe au château d'Esterháza rénové par le prince Nicolas Ier Joseph Esterházy qui va devenir son protecteur jusqu'en 1795. Les Esterházy soutiennent depuis longtemps le musicien mais là, le compositeur n'occupe plus une place, disons uniquement fonctionnelle. Un quart de siècle va permettre à Haydn de passer de la notoriété à la gloire, un prince de la musique de Vienne puis de toute l'Europe. C'est la période qui verra naître une soixantaine de symphonies (sur 104) dont les douze dernières, les londoniennes, préfigurent le romantisme, du moins par la richesse de leur écriture et l'orchestration qui devient la référence symphonique pour presque un siècle… Ajoutons quatuors et sonates par dizaines, la productivité du maître qui compose à la plume tout en assurant des tournées dans toute l'Europe laisse rêveur… En fin de carrière, il se tournera vers la composition d'œuvres religieuses comme les six grandes messes et surtout les deux oratorios que sont La Création et Les saisons.

Pourquoi commencer une biographie de Józef Elsner par ces rappels sur celle de Haydn ? Il est impensable d'imaginer à l'écoute de la symphonie en do majeur que le pédagogue autrichien aussi influant n'ait pas guidé Elsner dans ses choix esthétiques… À propos de la gravure des trois quatuors de jeunesse opus 1 de Elsner, Jens F. Laurson parle du Haydn-polonais ! Ma théorie tient a priori la route.


Wojciech Bogusławski (1757-1829)

En découvrant les origines et la jeunesse de Józef Elsner, rien ne prédisposait le jeune homme à devenir un compositeur "étiqueté" polonais et de surcroit professeur d'un géant du clavier, à savoir Frédéric Chopin. La Silésie n'est pas réellement un pays mais une région réunissant le sud-ouest de la Pologne, le nord-est de la Bohème-Moravie (actuelle république tchèque) et le sud-est de la Prusse ; chaque partie parlant sa langue. Elsner est natif de la province allemande. Quant à la Pologne de l'époque, elle n'existe plus, la Russie l'ayant annexée, mais la langue et la culture spécifiques restent très vivaces. Le père de Józef répète sans cesse "qu'en Pologne, il n'y a aucune destinée intéressante pour son fils". De son côté, l'apprentissage de la langue polonaise obligatoire à l'école ne passionne guère le gamin. L'étude de la musique l'intéresse plus, il fait partie d'une chorale de jésuites, et s'essaye à la composition mais n'envisage en rien d'en faire un métier…

Il commence des études théologiques à l'Université de Wrocław sous la pression de son père, puis se dirige un temps vers la médecine en envisageant de partir pour Vienne à cette Fin. Sa mauvaise santé aura raison de ce projet, il doit se réorienter (comme on dit de nos jours). Entre 1789 et 1791 va s'éveiller sa passion musicale qui à l'évidence sommeillait en lui ; il obtient un poste de violoniste dans l'orchestre de l'opéra de Brno en Moravie. On remarque son talent et… nouveau départ pour Lviv pour occuper le poste de chef d'orchestre du théâtre local. Elsner y joue des symphonies de Mozart et de Haydn (hé hé, J'en était sûr, après l'écoute de la symphonie en ut majeur puis en me tuyautant et écrivant ces lignes au fil de l'eau 😊). Il y dirige aussi ses premières œuvres dont trois symphonies dont les manuscrits sont perdus et deux opéras (Die seltenen Brüder, Der verkleidete Sultan) sur des livrets allemands. Sa carrière va s'envoler.


Chopin vers 1836

Il rencontre Wojciech Bogusławski, le père du théâtre polonais et auteur de livrets d'opéras en polonais… En 1795 Elsner maîtrise enfin la langue polonaise, capacité importante dans la région qui connaîtra les guerres napoléoniennes, puis en 1812 une partition et l'appropriation du territoire par les russes… Elsner restera fidèle pourtant à la terre de ses ancêtres et s'intéressera aux musiques folkloriques polonaises… D'autres intellectuels de langue allemande préféreront l'exil, notamment en France. (Clic)

Les activités de Elsner seront très variées. Il crée un conservatoire de musique au sein de l'université de Varsovie. Chopin deviendra son élève en 1826 tout comme Ignacy Feliks Dobrzyński dont nous écoutions la pétulante symphonie n°2 il y a peu. Les deux hommes resteront amis et échangeront une correspondance régulière. Dès 1814, comme de nombreux intellectuels et artistes de cette époque des Lumières, Elsner rejoint la franc – maçonnerie (imitant ainsi Mozart et Haydn). Bien que la dictature russe ferme le conservatoire, tout comme l'université, en représailles de la grande révolte de 1830 (voir article précèdent), l'homme reste influant et malin, il dirige une "formation vocale supérieure" ​​à l'école de chant du Théâtre Wielki. Il écrit des thèses musicales et… bien entendu, il compose : 30 opéras, autant de messes et un nombre incalculable de cantates et de motets, huit symphonies dont hélas six ne semblent pas nous être parvenues, diverses pièces orchestrales et de chambre… Bref un catalogue de poids dont une grande parte devrait être exhumée !

Elsner aurait dit "Je n'ai jamais eu l'intention de devenir polonais et d'y faire une carrière artistique", comme quoi !!! Il meurt très célèbre à Varsovie en 1854, un monument et un musée lui seront dédiés.

Nota : merci à Nema pour la traduction du livret du CD en anglais de "derrière les fagots". Pour les curieux des petits détails, lire un article très riche de Wikipédia en polonais non accessible par une recherche en français ; le traducteur est très efficace sur Chrome. (Pl.Wiki) 

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Philharmonie d'Opole

Quelques mots sur l'orchestre et son chef. Bogusław Dawidow est né en 1953 et a suivi ses études en Pologne puis se perfectionne auprès de Leonard Bernstein. Très peu connu en France, ce maestro ne limite pas l'exercice de son métier dans son pays mais intervient dans toutes les grandes salles mondiales. Certains critiques comparent son style de direction à celui de Bernstein (logique) mais plus inattendu de prime abord à celui de Evgeny Mravinsky, génial et tyrannique patron de la Philharmonie de Leningrad. Quoique l'écoute du jour justifie ce parallèle par la lisibilité du phrasé orchestral obtenu des musiciens…

L'Orchestre symphonique philharmonique d'Opole a été fondé en 1952. Actuellement, il se produit dans une belle salle moderne nommée… Philharmonie d'Opole Józefa Elsnera ce qui ne surprendra personne…

La discographie disponible en France est maigre. Signalons un enregistrement des Concertos pour violon n° 1 & 2 de Szymanowski. La violoniste Alena Baeva est accompagnée par l'Orchestre Symphonique Philarmonique d'Opole dirigé par Boguslaw Dawidow.

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Mes lecteurs les plus fidèles sont habitués à lire une analyse à la fois formelle et émotionnelle des œuvres présentées. Et bien pas aujourd'hui. La symphonie en Ut de Józef Elsner possède indéniablement un charme et une simplicité de composition de bon aloi qui rend assez superflu cet exercice musicologique. L'orchestre est d'évidence celui de Haydn dernière manière : 2/2/2/2, cors, trompettes, timbales et cordes. L'ouvrage est assez bref et comporte les quatre mouvements traditionnels hérités de la forme classique :

1 : Adagio - Allegro [00:00]
2 : Andante [10:25]
3 : Menuetto. Allegro - Trio - da capo [17:21]
4 : Rondo. [Allegro moderato [20:56]

Quelques remarques. Comme il est d'usage pour les Londoniennes de Haydn, l'adagio introductif se veut grandiose voire hautain. L'allegro sera plus brillant, et même guilleret, comme la plus grande partie de la partition. Les thèmes ne sont pas immortels comme chez Beethoven, mais on rencontre chez Elsner une grande finesse dans l'orchestration, surtout par le jeu du chat et de la souris entre les pupitres, caractéristique bien mise en avant par Boguslaw Dawidow. (Ne parlait-on pas au sujet de ce chef de la rigueur d'un Mravinsky ?). L'andante propose dans son développement un "divertimento" empreint de félicité et réservé aux bois concertants [11:40], écriture fantasque dont le phrasé chorégraphique élégant conforte cette impression générale de fluidité dans le discours. Le Rondo final ne néglige pas des accents patriotiques typiques de l'époque.

Très belle prise de son et report YouTube soigné (les vents).




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