- Ahah Claude, symphonie promise, symphonie due ! Jósef Elsner
était le professeur de Chopin et de son camarade de conservatoire
Dobrzyński ?
- Eh oui Sonia, lors de la précédente chronique, beaucoup, moi le
premier ont découvert la fougueuse 2ème symphonie de
Dobrzyński …
- Et par ricochet, tu nous avais promis, vacances obligent, d'écouter
une pimpante partition de son professeur un peu trop oublié lui
aussi…
- Et je soulignais la richesse de la musique polonaise à toutes les
époques, du classicisme à l'époque contemporaine. Au fait, tu as trouvé
tes bikinis ?
- Oui, mais rien de bien sexy ; de toute façon j'ai annulé le séjour
naturiste ; Nema ne veut pas, elle a peur des coups de soleil aux…
- Ok, ok Sonia, ça ne nous regarde pas… Partez faire un trekking au
Groenland avec des bikinis à cols roulés, hihi…
Jósef Elsner |
Un pas en arrière. Lors de mon dernier papier, nous écoutions la symphonie en do mineur d'un compositeur au patronyme imprononçable Ignacy Feliks Dobrzyński (1807-1867). Ce compositeur qui avait usé les bancs du conservatoire de Varsovie en compagnie du célébrissime Chopin était resté fidèle à sa patrie écartelée par son voisin russe jusqu'à disparaitre des cartes de géographie en 1795, en attendant de retrouver son unité territoriale et culturelle grâce au traité de Versailles. En 1939, le martyre recommencera, la Pologne étant laminées par les hordes nazies puis celles de l'armée rouge.
Tout le monde connaît le destin de
Chopin, le prince du piano moderne qui s'exilera pour la France et dont le nom
est devenu synonyme de prouesse, de poésie voire de passion haut de gamme au
piano.
Dobrzyński connaît une carrière plus traditionnelle, et même s'il voyage souvent en Europe, il demeure fidèle à sa terre natale, quel que soit le nom qu'on lui impose. Il composera dans tous les genres et j'avais partagé avec mes ch.è.e.r.e.s lect.eurs.rices la deuxième symphonie de 1834 qui n'avait pas à pâlir des compositions similaires de Haydn, Mozart dernière manière ou même Beethoven première manière 😊. Une œuvre charnière entre classicisme et romantisme nourrie de thèmes de danses : polonaise, mazurkas et d'autres au noms bizarres… Et puis, une chose en entraîne une autre, voici une œuvre de leur professeur, Jósef Elsner, moins ambitieuse mais qui montre que Chopin a bénéficié d'un excellent professeur.
- Heu Claude, c'est quoi ce truc : ch•è•e•r•e•s lect•eurs•rices ?
- Ben, c'est l'écriture inclusive ou langage epicène (non sexiste) Sonia, pour assurer la parité homme-femme. On pense ainsi supprimer la primauté du masculin comme genre neutre ; pas au courant ?
- Oui… vaguement, mais c'est vraiment se prendre la tête pour des idées extrémistes, on ferait mieux de s'occuper de l'égalité salariale et de l'échelle sociale pour tous… Les filles même féministes s'en fichent de l'inclusif…
- Pas d'inquiétude, tous les auteurs, linguistes, journalistes sérieux et ton serviteur, rédacteur ont montré l'absurdité du concept dans la langue française ; exemple : on écrit i•e•ll•e•s sont tombé•e•s de l'armoire ou e•i•ll•e•s etc ? En début de mot, on retombe sur un problème de précédence du genre pour le premier phonème : le e pour la fille ou le i pour le garçon ! On tourne en rond. Un tract écrit en inclusif a fait hurler de rire les parisiens. Déjà que l'avenir proche le plus prévisible d'un tract est la poubelle 😊… En fait, cette révolution Orthographo-typographique était prévue pour les documents administratifs dans un premier temps ; bienvenue la galère pour les petits et grands des familles défavorisées qui rencontrent déjà des difficultés face à notre belle langue traditionnelle… L'Académie a enterré le gadget* ; revenons à de la musique, c'est plus cool…
*Nota :
lien
vers la "Lettre ouverte sur l’écriture" inclusive signée par
Madame Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l'Académie
française, et de Monsieur Marc Lambron, directeur de l’Académie
française.
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Bogusław Dawidow |
Józef Elsner
voit le jour en Silésie en 1769, soit un an avant
Beethoven. 1769, l'année ou
Haydn
âgé de 37 ans s'installe au château d'Esterháza rénové par le prince
Nicolas Ier Joseph Esterházy qui va devenir son protecteur jusqu'en
1795. Les Esterházy soutiennent depuis longtemps le musicien
mais là, le compositeur n'occupe plus une place, disons uniquement
fonctionnelle. Un quart de siècle va permettre à
Haydn
de passer de la notoriété à la gloire, un prince de la musique de Vienne puis
de toute l'Europe. C'est la période qui verra naître une soixantaine de
symphonies
(sur 104) dont les douze dernières,
les londoniennes, préfigurent le romantisme, du moins par la richesse de leur écriture et
l'orchestration qui devient la référence symphonique pour presque un siècle…
Ajoutons
quatuors
et
sonates
par dizaines, la productivité du maître qui compose à la plume tout en
assurant des tournées dans toute l'Europe laisse rêveur… En fin de carrière,
il se tournera vers la composition d'œuvres religieuses comme les
six grandes messes
et surtout les deux oratorios que sont
La Création
et
Les saisons.
Pourquoi commencer une biographie de
Józef Elsner
par ces rappels sur celle de
Haydn
? Il est impensable d'imaginer à l'écoute de la
symphonie en do majeur
que le pédagogue autrichien aussi influant n'ait pas guidé
Elsner
dans ses choix esthétiques… À propos de la gravure des
trois quatuors
de jeunesse
opus 1
de
Elsner, Jens F. Laurson parle du
Haydn-polonais ! Ma théorie tient a
priori la route.
Wojciech Bogusławski (1757-1829) |
En découvrant les origines et la jeunesse de
Józef Elsner, rien ne prédisposait le jeune homme à devenir un compositeur
"étiqueté" polonais et de surcroit professeur d'un géant du clavier, à
savoir
Frédéric Chopin. La Silésie n'est pas réellement un pays mais une région réunissant le
sud-ouest de la Pologne, le nord-est de la Bohème-Moravie (actuelle
république tchèque) et le sud-est de la Prusse ; chaque partie parlant sa
langue. Elsner est natif de la province allemande. Quant à la Pologne de l'époque,
elle n'existe plus, la Russie l'ayant annexée, mais la langue et la
culture spécifiques restent très vivaces. Le père de
Józef répète sans cesse "qu'en Pologne, il n'y a aucune destinée intéressante pour son
fils". De son côté, l'apprentissage de la langue polonaise obligatoire à
l'école ne passionne guère le gamin. L'étude de la musique l'intéresse
plus, il fait partie d'une chorale de jésuites, et s'essaye à la
composition mais n'envisage en rien d'en faire un métier…
Il commence des études théologiques à l'Université de Wrocław sous la
pression de son père, puis se dirige un temps vers la médecine en
envisageant de partir pour Vienne à cette Fin. Sa mauvaise santé aura
raison de ce projet, il doit se réorienter (comme on dit de nos jours).
Entre 1789 et 1791 va s'éveiller sa passion musicale qui à l'évidence
sommeillait en lui ; il obtient un poste de violoniste dans l'orchestre de
l'opéra de Brno en Moravie. On remarque son talent et… nouveau départ pour
Lviv pour occuper le poste de chef d'orchestre du théâtre local.
Elsner
y joue des
symphonies de
Mozart
et de
Haydn
(hé hé, J'en était sûr, après l'écoute de la symphonie en ut majeur puis
en me tuyautant et écrivant ces lignes au fil de l'eau 😊). Il y dirige aussi ses premières œuvres dont
trois symphonies
dont les manuscrits sont perdus et deux opéras (Die seltenen Brüder,
Der verkleidete Sultan) sur des livrets allemands. Sa carrière va s'envoler.
Chopin vers 1836 |
Il rencontre
Wojciech Bogusławski, le père du théâtre polonais et auteur de livrets d'opéras en polonais… En
1795
Elsner
maîtrise enfin la langue polonaise, capacité importante dans la région qui
connaîtra les guerres napoléoniennes, puis en 1812 une partition et
l'appropriation du territoire par les russes…
Elsner
restera fidèle pourtant à la terre de ses ancêtres et s'intéressera aux
musiques folkloriques polonaises… D'autres intellectuels de langue allemande
préféreront l'exil, notamment en France.
(Clic)
Les activités de
Elsner
seront très variées. Il crée un
conservatoire de musique au sein de
l'université de Varsovie.
Chopin
deviendra son élève en 1826 tout comme
Ignacy Feliks Dobrzyński dont nous écoutions la pétulante
symphonie n°2
il y a peu. Les deux hommes resteront amis et échangeront une correspondance
régulière. Dès 1814, comme de nombreux intellectuels et artistes de
cette époque des Lumières,
Elsner
rejoint la franc – maçonnerie (imitant ainsi
Mozart
et Haydn). Bien que la dictature russe ferme le conservatoire, tout comme
l'université, en représailles de la grande révolte de 1830 (voir
article précèdent), l'homme reste influant et malin, il dirige une "formation vocale supérieure" à l'école de chant du
Théâtre Wielki. Il écrit des thèses
musicales et… bien entendu, il compose : 30
opéras, autant de
messes
et un nombre incalculable de
cantates
et de
motets, huit symphonies
dont hélas six ne semblent pas nous être parvenues, diverses
pièces orchestrales
et de
chambre… Bref un catalogue de poids dont une grande parte devrait être exhumée
!
Elsner
aurait dit "Je n'ai jamais eu l'intention de devenir polonais et d'y faire une
carrière artistique", comme quoi !!! Il meurt très célèbre à Varsovie en 1854, un
monument et un musée lui seront dédiés.
Nota : merci à Nema pour la traduction du livret du CD en anglais de
"derrière les fagots". Pour les curieux des petits détails, lire un article
très riche de Wikipédia en polonais non accessible par une recherche en
français ; le traducteur est très efficace sur Chrome.
(Pl.Wiki)
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Philharmonie d'Opole |
Quelques mots sur l'orchestre et son chef.
Bogusław Dawidow
est né en 1953 et a suivi ses études en Pologne puis se perfectionne auprès
de
Leonard Bernstein. Très peu connu en France, ce maestro ne limite pas l'exercice de son
métier dans son pays mais intervient dans toutes les grandes salles mondiales. Certains
critiques comparent son style de direction à celui de Bernstein (logique)
mais plus inattendu de prime abord à celui de
Evgeny Mravinsky, génial et tyrannique patron de la
Philharmonie de Leningrad. Quoique l'écoute du jour justifie ce parallèle par la lisibilité du
phrasé orchestral obtenu des musiciens…
L'Orchestre symphonique philharmonique d'Opole
a été fondé en 1952.
Actuellement, il se produit dans une belle salle moderne nommée…
Philharmonie d'Opole
Józefa Elsnera ce qui ne
surprendra personne…
La discographie disponible en France est maigre. Signalons un
enregistrement des Concertos pour violon n° 1 & 2 de
Szymanowski. La violoniste
Alena Baeva
est accompagnée par l'Orchestre Symphonique Philarmonique d'Opole dirigé par
Boguslaw Dawidow.
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Mes lecteurs les plus fidèles sont habitués à lire une analyse à la fois
formelle et émotionnelle des œuvres présentées. Et bien pas aujourd'hui. La
symphonie en Ut de
Józef Elsner
possède indéniablement un charme et une simplicité de composition de bon
aloi qui rend assez superflu cet exercice musicologique. L'orchestre est
d'évidence celui de Haydn dernière manière : 2/2/2/2, cors, trompettes,
timbales et cordes. L'ouvrage est assez bref et comporte les quatre
mouvements traditionnels hérités de la forme classique :
1 : Adagio -
Allegro [00:00]
2 : Andante
[10:25]
3 : Menuetto. Allegro - Trio - da capo
[17:21]
4 : Rondo. [Allegro moderato [20:56]
Quelques remarques. Comme il est d'usage pour les Londoniennes de Haydn, l'adagio introductif se veut grandiose voire hautain. L'allegro sera plus brillant, et même guilleret, comme la plus grande partie de la partition. Les thèmes ne sont pas immortels comme chez Beethoven, mais on rencontre chez Elsner une grande finesse dans l'orchestration, surtout par le jeu du chat et de la souris entre les pupitres, caractéristique bien mise en avant par Boguslaw Dawidow. (Ne parlait-on pas au sujet de ce chef de la rigueur d'un Mravinsky ?). L'andante propose dans son développement un "divertimento" empreint de félicité et réservé aux bois concertants [11:40], écriture fantasque dont le phrasé chorégraphique élégant conforte cette impression générale de fluidité dans le discours. Le Rondo final ne néglige pas des accents patriotiques typiques de l'époque.
Très belle prise de son et report YouTube soigné (les vents).
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