Ca faisait quelques années que les frères Ron & Russel Mael, et Léos Carax, se tournaient autour. Les premiers, qui forment le groupe Sparks, rêvaient de composer un opéra rock. Ils avaient envoyé quelques chansons au cinéaste, un début d’histoire, des personnages, que Carax a mis de côté quelques temps, avant de trouver comment agencer le tout. Voilà donc le sixième long métrage de l’enfant terrible du cinéma français, six films en presque quarante ans.
On a bien fait d’attendre. ANNETTE est sans doute ce que j’ai vu de plus somptueux sur un écran de cinéma depuis bien longtemps. Imaginez un mix entre le DANCING IN THE DARK de Lars Von Trier (2000, avec Björk) pour l’aspect mélodrame chanté, et MULHOLLAND DRIVE de David Lynch pour les images envoûtantes de la Cité des Anges. Le film est gorgé des chansons pop des Sparks, les dialogues y sont chantés. Réellement, en direct, au tournage, pas enregistrés en studio et post-synchronisés ensuite, mises à part les parties opéra. Exercice ardu pour les comédiens, qui ne sont pas des professionnels du chant, Marion Cotillard (parfaite) exprimait la difficulté d’un tel dispositif, Carax n’étant pas le moins exigeant des réalisateurs… Adam Driver qui chante souvent en voix de tête a des faux airs du David Bowie des dernières années. Etonnant.
Au cinéma, si l’histoire est importante, ce qui fera la différence c’est comment on la raconte. Vous avez ici la démonstration en images. Car le synopsis est relativement simple. Un couple célèbre, Ann Desfranoux, cantatrice, et Henry McHenry, un comédien de stand-up trash et provocant. Ils viennent d’avoir un enfant, Annette, ce qui les propulse encore davantage à la une des médias people. Henry va toujours plus loin dans le mauvais goût, une provocation de trop et il se fait éreinter par la presse, huer par le public, sa carrière décline quand celle de sa femme est au firmament (la trame d’UNE ÉTOILE EST NÉE).
Je ne peux vous en dire davantage sans dévoiler les développements de l’intrigue.
Léos Carax est un fou de cinéma. Lé OSCAR ax. Ça en jette plus que Alex Dupont, son vrai nom. Il croit en ce cinéma primitif, le muet. Regardez comment Cotillard se protège du danger, avant-bras levés, comme Lillian Gish. Ce sont les images plus que les dialogues (ici les textes pop des Sparks) qui distillent sentiments et émotions. Et on va être servi ! Chaque cadrage, mouvement de caméra est un véritable enchantement. Son film tient du cinéma, de l’opéra, du cirque, du collage, ANNETTE est un cri d’amour au pouvoir de la caméra. Autant dans les mises en place complexes, que dans cette balade du couple, toute simple, magique, dans les collines californiennes baignées d’une douce lumière.
Ecran noir. Léos Carax prévient le spectateur de ne pas se manifester pendant la projection, puis on le voit en studio diriger un enregistrement du groupe Sparks, un plan séquence qui va réunir musiciens et protagonistes sortant du studio et venir chanter et danser dans les rues de Los Angeles, mettre leurs costumes de scène : le spectacle peut commencer. A noter qu’au générique de fin (restez jusqu’au bout, je suis d’ailleurs allé râler à la fin de la séance auprès du projectionniste qui avait rallumé les lumières trop tôt, m’enfin !) c’est l’ensemble de toute l’équipe du film qui défile sur une plage au coucher du soleil, au son des dernières notes de musique. Le spectacle est total.
La première apparition fugace d’Ann sur scène est d’une beauté sidérante, en robe blanche dans un décor de colonnes bleutées, verticales, que Carax oppose à la scène horizontale des shows de Henry. A un autre moment, Ann est sur scène, le décor du théâtre montre une ouverture avec une forêt, une photo pense-t-on, mais Ann y pénètre, et la scène se poursuit dans une véritable forêt, avant que la chanteuse ne regagne les planches. Léos Carax s’autorise tout, comme la séquence de dispute entre le couple sur un bateau pris dans la tempête, aussi violente que leurs tourments conjugaux, filmée en studio, avec surimpression de l’océan, sans une once de réalisme, mais comme l’aurait filmé Murnau ou Frank Borzage en leur temps. Dans ses remerciements, Carax cite King Vidor, cinéaste du muet célèbre pour ses fresques impressionnantes.
Annette
va se retrouver au cœur du film – la scène de l’accouchement en chanson est
géniale ! Une gamine pas comme les autres, dont on dit qu’elle a un pouvoir,
que Carax choisit de montrer sous un jour… heu… je vous laisse la surprise. Ca
désarçonne, on pourrait même trouver cela complètement débile, mais qui prend
tout son sens à la fin, la scène à la prison, où Annette se métamorphose, fillette
manipulée qui échappe enfin à son père toxique. Car le film brasse aussi ce
thème, comme la peopilisation des célébrités (les inserts de flashs TV grotesques qui
font office de transition), l’exploitation des enfants dans l’industrie
du spectacle, la dénonciation du harcèlement sexuel, donc des thèmes très contemporains finalement.
On pourrait trouver le film grandiloquent et boursoufflé de prétention. On n’en est jamais loin, mais pour moi Carax évite cet écueil. On ne va tout de même pas lui reprocher de savoir filmer ! Il y met tant de foi qu’on lui pardonne certaines outrances stylistiques. Le premier spectacle est presque filmé en temps réel, Henri harangue son public, méchamment, il est puant de prétention. Le personnage déteint sur le film lui même. Le dernier show d’Annette est un peu to much, on peut concéder une sensation de tassement, de répétition, mais la fin est si belle ! Réduit à 2h00 ANNETTE frisait le chef d’œuvre.
Adam Driver y est souvent époustouflant, ogre toxique, malfaisant, jaloux. Dans son deuxième one man show, il rejoue un rêve dans lequel il tue sa femme. Son arme : des chatouilles. Ce sketch qui scandalisera son public est inspiré d’une séquence vue plus tôt dans le film. Carax nous montre donc deux versions, l’originale, drôle et tendre, et ce que l’esprit dérangé d’Henri en fait devant son public. Petit bémol aussi à propos du quatrième personnage de l’histoire, plus fade, l’accompagnateur d’Ann sur scène, joué par Simon Helberg, acteur de télé, moins convaincant.
Deux options : on sort au bout de dix minutes en injuriant la caissière et tant pis si elle n’y est pour rien, ou on admire ce spectacle qui ne ressemble à pas grand-chose d’autre. Si on peut reprocher des petites choses ici et là, on doit admettre aussi que ANNETTE déborde d'idées et de qualités, et alors, on en prend plein les mirettes.
couleur - 2h20 - format 1:1.85
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