Si dans la vaste communauté du Hard-rock, il y a un patronyme qui fait fuir, qui hérisse le poil, qui fait l'objet de moqueries ou encore un sujet sur lequel toute la presse spécialisée est tombée à bras raccourcis, c'est bien celui de REO Speedwagon. Pire, dès l'aube des années 80, ce groupe était devenu l'archétype du Rock FM faisandé, obnubilé par la planche à billets.
Ainsi, bien difficile de déceler un seul disque de REO dans une discothèque, sinon chez les amateurs de Rock policé ou de variétés. Pourtant, avant de succomber au côté obscur, c'était un formidable groupe de Heavy-rock'n'roll, mu par la fièvre du boogie et du blues. Leur premier essai en témoigne. Une claque qui ne laisse absolument rien présager de son futur jonché de ballades convenues et de soft-rock mou du genou. Il faut dire qu'entre temps, il y a eu quelques remplacements qui ont eu une influence déterminante dans le changement de direction. Et puis, après des années sans grand succès (du moins, à l'échelle américaine), il est facile de se laisser tenter par des retombées sonnantes et trébuchantes, une certaine sécurité financière.
C'est que la naissance de ce quintet remonte à l'automne 1967, sous l'impulsion du claviériste Neal Doughty et du batteur Alan Gratzer. Doughty et Gratzer ont pris l'habitude de jouer ensemble depuis déjà un an ; depuis l'automne 1966 dans leur résidence universitaire de Champaign (Illinois). Rapidement, ils intègrent divers groupes mais se lassent et finissent par créer le leur, que Doughty baptise REO Speed Wagon, du nom d'un fameux petit camion de livraison créé en 1915 - probablement le premier pick-up (bien avant celui de Ford) - conçu par la REO Motor Car Company de Ransom Eli Olds (1). Un véhicule historique, qui fit longtemps la fierté des USA et qui a marqué son époque et qui est resté dans les mémoires. Le modèle a été décliné dans diverses configurations, pour s'adapter tant à la demande qu'aux besoins (des agriculteurs aux pompiers), jusque dans les années 40.
Le chanteur Terry Luttrell et le bassiste Gregg Philbin incorporent les rangs en 1968. Mais c'est surtout avec l'arrivée, fin 69, du guitariste Gary Richrath que les choses prennent une autre tournure. Ce dernier offre des morceaux de son cru et injecte une énergie qui pouvait faire jusqu'alors défaut au quintet. En quelques mois, la réputation scénique du nouveau REO Speedwagon s'étend comme une traînée de poudre dans tout l'Illinois, puis déborde sur le Missouri (notamment grâce au soutien d'une radio de St. Louis, connue et célébrée alors comme l'une des plus influentes pour le Rock) avant de gagner tout le Midwest. Epic Records s'empresse de faire signer un contrat au groupe et de l'envoyer illico en studio. Bien rôdée, la troupe n'éprouve aucune difficulté à retranscrire sur bande un répertoire qu'elle maîtrise déjà sur scène. Le résultat est un excellent disque de Heavy-rock, bien plus proche du Southern-rock que de la scène de Detroit. Un album qui, par certains cotés, préfigure "Too Wild to Tame" de The Boyzz, sorti en 1978 - chanteur excepté. Un autre groupe de l'Illinois (mais qui, lui, n'aura pas droit au succès).
Il suffit de quelques minutes pour être convaincu de la qualité de cet album éponyme. A commencer par la chaude bourrasque de heavy-rock'n'roll qu'est "Gypsy Woman's Passion", nanti d'un groove et d'une ferveur préfigurant le fameux "Rocker" de Thin Lizzy. A croire que les oreilles du trio Irlandais s'étaient posées sur cette galette. Richrath se fait particulièrement remarquer avec un jeu mordant et nerveux - le break où il est pratiquement en solo évoque le Werner Fritzschings de Cactus autant que le Mark Farner des grands moments -. Pourtant, humblement, il dira avoir longtemps travaillé son instrument avant de prétendre, seulement à partir de la décennie suivante, pouvoir jouer sur scène avec d'autres guitaristes. Il restera à jamais un fervent adepte de Gibson LesPaul, avec une large préférence pour les modèles Sunburst des années 50 (les "Burst"). Au point de les collectionner - il est bien connu que ces fameuses "Burst" des 50's ne sont pas toutes de qualités égales, certaines pouvant révéler des propriétés singulières -.
Quelque temps avant que Status Quo s'adonne définitivement au boogie piledriver (marteau-pilon) sur trois accords, REO envoi un "157 Riverside Avenue" qui aurait fait la joie de Parfitt et Rossi. Le piano honky-tonk virevoltant de Doughty en prime. Un classique du groupe, une scie de son répertoire scénique, même lors de leur descente vers le Rock FMinée, prétexte à quelques torrides chorus de guitare et de piano. Même Philbin en profite pour y aller de son petit solo. Une chanson en l'honneur d'un club de Westport (Connecticut) que le groupe a découvert lors des séances d'enregistrement du présent album. "Anti-Establishment Man" n'est pas loin de suivre la même voie. Peut-être plus proche de deux autres adeptes du heavy-boogie british tels que Stretch et Savoy Brown. Un savoureux contraste entre la guitare largement saturée (Gary utilisait une Dallas BC183 Fuzz Face branchée dans un Marshall Plexi) et le piano. "Dépenser tout cet argent dans une guerre stupide au Vietnam, quand nous en avons besoin à la maison"
"Lay Me Down" cherche à se frotter aux grandes formations Soul et Blues à la manière de Leon Russell, de Delaney & Bonnie et du Grease Band de Joe Cocker. D'où le renfort de choristes. Toutefois, Richrath ne s'en laisse pas conter, préférant continuer à envoyer du lourd (pas trop tout de même). Mais question "lourd", il a de quoi épancher sa soif avec le trépidant "Sophisticated Lady" qui anticipe l'âpreté du Nazareth de "Razamanaz" et d'une certaine manière Blackfoot, Luttrell préfigurant ici la tonalité et les accents de Rickie Medlocke. Le tout surplombé par l'aura de Deep Purple, sensation renforcée par un hargneux solo d'orgue. La voix de Luttrell paraît souvent être sur le fil du rasoir, prête à défaillir, comme légèrement éraillée et rendue fébrile par un verre de trop. Mais finalement, s'accroche, et parvient à relever la tête. [d'ailleurs, en représentation, lors des passages instrumentaux, tel un poivrot, dans un équilibre précaire, Luttrel s'agrippe au pied du micro, les fesses en arrières, jambes écartées...hips 🍷]
Instant de douceur avec "Five Men Were Killed Today" qui glisse (slide...) vers les ballades Country-rock. Cependant, le sujet n'a rien de romanesque puisqu'il évoque les morts de la guerre du Vietnam. Sans s'étendre cependant, les paroles se réduisant à une mince peau de chagrin. Il ne faudrait pas risquer de fâcher une partie du public. "Prison Woman" retourne prestement à des choses plus simples et réjouissantes sous l'égide du boogie. "Ne plaisante pas avec les femmes de prison"
REO termine son album sur un "Dead At Last", qui contraste avec tout ce qui le précède, en s'invitant dans le carré des groupes anglais unissant sans discrimination le Heavy-rock et le Rock progressif, comme s'ils n'étaient qu'une seule et même entité. Ici, il y a une résonnance avec des combos tels que Uriah-Heep, Freedom et Toe Fat. Le pont liant deux instrumentaux se pare même d'une flûte traversière. Luttrell y est presque méconnaissable, s'apparentant alors plus aux chanteurs anglais des groupes susnommés. Le coda, un chouia inutilement allongé, vire au baba-cool avec ses "freedoms" répétés par des chœurs entre la comédie musicale ("Hair") et l'extase idolâtre.
Malheureusement, REO Speedwagon ne réitèrera pas avec le Heavy-boogie-rock de cet album, même si le second, "REO / Two", a encore quelques belles résurgences. C'est d'ailleurs le seul album du groupe dont chaque chanson est composée par l'ensemble des musiciens. C'est aussi le seul disque avec Luttrell, qui était en conflit avec Richrath, ne voulant pas prendre le risque de chanter des paroles à connotation politique (c'est pourtant vraiment très léger - extra light 2 % -). La collaboration tournera court le soir où, sur scène, Luttrell refusera de continuer à chanter, perdant ainsi l'intégralité de leur cachet. Sur le retour, dans le van, le ton monte. Exaspéré, les poches vides, Richrath aurait fait arrêté le véhicule pour finir la conversation d'une manière plus virile, et radicale. Luttrell aurait pris la poudre d'escampette dans un champ de maïs et le groupe l'aurait abandonné là. Ce que dément ce dernier, affirmant qu'au contraire, il ne voulait pas chanter les chansons d'amour de Gary, et souhaitait que l'on traite de problèmes environnementaux. On retrouvera Luttrell dans un groupe de Rock-progressif largement influencé par Yes, Starcastle.
La suite de REO Speedwagon est une longue et lente descente vers le Rock mainstream fait pour la radio et la musique d'ambiance, sans réel éclat, sans épices. A l'inverse, le succès sera croissant avec des sommets dans les années 80. La formation est conviée à participer au Live Aid et une rue de Champaign porte désormais son nom. Le groupe existe toujours, et se produisait encore en 2018, avec pour seul membre original l'un des fondateurs, Neal Doughty.
(1) Ransom Eli Olds est le premier concepteur des lignes de montage dans l'industrie automobile, avant Henry Ford. Il est également le fondateur, en 1897, de la célèbre firme Oldsmobile.
🎼🎶☓
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