NOMADLAND nous arrive précédé d’une sacrée réputation, des lauriers tressés dans tous les festivals, et trois oscars, film, réalisation, actrice. Que politiquement, après le mandat Trump (même si l’histoire se situe avant) ce film ait ravi tous les suffrages, on peut le comprendre, mais à l’écran, on reste sur notre faim.
Il y avait pourtant tout pour me plaire, les grands espaces américains, images contemplatives, les laissés pour compte, une grande actrice. Qui malgré son talent, joue un peu sur le même registre pendant 1h45. Et puis sur un film pareil, j’imaginais déjà une ou deux chansons de Springsteen issues de « Tom Joad » ou « Nebraska ». Rien, peau d’balle ! Mais quelques moments musicaux country blues heureusement.
Fern est veuve, elle a bossé toute sa vie à Empire, dans le Nevada, dans une usine de plâtre. En 2011, elle met toutes ses économies et toute sa vie dans un vieux van, et trace la route. Elle fait partie de ces nomades, qui se regroupent parfois en camp comme les gens du voyage. Pour se refaire financièrement, elle bosse dans un entrepôt Amazon, car « c’est tranquille, sympa, et ça paie bien ».
Voilà un premier aspect sur lequel j’ai tiqué. Amazon… entreprise sympa qui paie bien, dans un film censé dénoncer le capitalisme forcené, coupable de jeter à la rue des millions d’américains noyés sous les crédits, ça la fout mal. Pas une once de discours revendicatif, politique, la flexibilité de l'emploi chez Jeff Bezos étant même salutaire, car elle permet à Fern de remplir les caisses avant de repartir. Le film n’est pourtant pas une production Amazon, mais le fait d’avoir eu l’autorisation (visiblement) de tourner dans un véritable entrepôt explique sans doute cela…
Il y a un texte introductif qui explique que quelques temps après la fermeture de l'usine, la bourgade s'est vidée de ses habitants, le code postal d'Empire a été effacé, retiré du bottin. Constat terrible. On s'attend donc à un film pointant les carences du système américain, sauf que ces nomades sont vus comme les descendants des pionniers, comme les cowboys du farwest sans cesse sur les pistes. NOMADLAND apparaît finalement davantage comme une ode à cette liberté individuelle chevillée au corps des américains. Le spectateur français reste dubitatif...
C’est un road-movie, fait de longs voyages, de traversées de paysages somptueux, de moments paisibles comme lorsque Fern se baigne nue ou croise la route d’un bison. Un film de rencontres aussi, et surtout. Être sans domicile ne veut pas dire sans maison. Mais une petite maison sur roues. Rassemblés ensemble, ces vans, camping-car, caravanes, forment des villages, où d’année en année on croise les mêmes voisins. Deux personnages féminins, Swankie et Linda May, sont interprétées par les véritables protagonistes, des amateurs donc, qui injectent beaucoup d’humanité à la performance.
Il y a aussi Dave (joué par David Strathairn vu dans GOOD NIGHT AND GOOD LUCK, ou la série des JASON BOURNE) qui se verrait planter sa tente avec Fern, il lui tourne autour, elle ne se laisse pas prendre au lasso, trop éprise de sa liberté de mouvement. David finira vivre chez son fils, sous un vrai toit. Quand sa sœur l’héberge quelques jours, Fern préfère dormir dans son van plutôt que dans un bon lit.
Le film démarre sur un rythme assez rapide. Chloé Zhao est aussi créditée du montage, elle coupe les plans au plus court, ne gardant que l’essentiel d’un mouvement, d’un geste, d’une action. La narration est donc assez vive, on ne s’attarde jamais vraiment, Fern fait mille boulots, trie les betteraves ou récure les chiottes, cuit des burgers ou emballe des paquets. Il n’y a pas vraiment d’histoire en sens romanesque du terme, mais une succession de scènes, de rencontres. Car Fern aussi, dans sa nouvelle vie, ne sait pas vraiment où aller, et passe d’un campement à un parking de station-service.
Le film forme une boucle : Fern finit où elle avait débuté, et on sait qu'elle repartira, tant qu'Amazon lui permettra de faire le plein. Le dernier tiers parait un peu longuet. Ca stagne davantage. Ce film, ce destin, cette femme, ne m’a pas ému ni bouleversé. Lorsque son van menace de rendre l’âme, qu’il lui faut 2800 dollars pour le réparer, cela aurait dû être une déflagration pour Fern. A l’écran, c’est juste un ennui mécanique passager, presque anecdotique.
Les plans récurrents sur le regard de Frances McDormand contemplant le vide ou l’horizon, commencent à ne plus signifier grand-chose. La réalisatrice avoue son admiration pour INTO THE WILD de Sean Penn, ou les films de Terrence Malik. Il n’y a ni la rugosité ou l’âpreté du premier, l’aspect sanguin, ni la violence sous-jacente et le contemplatif lyrique (et mystique) du second, y compris dans la mise en scène, au-delà des soleils couchants qui inondent les plans. Le film m’apparaît finalement assez lisse dans la forme.
NOMADLAND n'est pas un film misérabiliste, il y a de la joie chez ces monades (Fern, le regard malicieux, le sourire en coin), des peines, des rires, et la bienveillance des autres, les sédentaires. On ne peut pas nier la beauté des images, ni
l’interprétation des comédiens, amateurs ou professionnels. Mais bizarrement,
ça manque d’âme, de vie, de fureur. Comme si ces personnages s’étaient
finalement résignés, la réalisatrice pose sur eux un regard comme apaisé, mais distant.
On imagine ce que le John Ford des RAISINS DE LA COLÈRE, couplé à un Ken Loach,
auraient fait de cette histoire d’exclus du système, qui semblent finalement très bien s'en passer, du système.
couleur - 1h45 - scope 1:2.35
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