mercredi 23 juin 2021

GODDO "... Who Cares... " (1978), by Bruno

 


     Connaissez-vous Goddo ? Cela peut être une petite île norvégienne, un village du Suriname, une région du Nigéria, mais en attendant Goddo, c'est surtout un groupe canadien qui eut son heure de gloire dans les 70's, avant qu'il n'y ait de mauvais choix (changement de label) et que la malchance s'en mêle (faillite du label).


 Goddo
est un trio canadien, originaire de Scarborough dans l'Ontario. C'est sous l'impulsion de Greg Godovitz, bassiste, chanteur, auteur et compositeur, que nait cette petite formation. On remarquera qu'à cette époque, les trios ont le vent en poupe au Canada, notamment dans l'Ontario, et nombre font partie des meilleures formations du pays. Dont Mahogany Rush, Pat Travers Band, Rush, Triumph et ... Goddo.  
C'est parce qu'il était en désaccord avec la direction musicale et qu'il avait désormais bien du mal à caser ses compositions, jugées trop marquées par le Rock, que Godovitz quitte Fludd. Un groupe dans lequel il joue depuis 1970, et qui est désormais obnubilé par le succès qui s'est présenté grâce à quelques singles orientés Pop. Parfois limite variété. Auparavant, dans les années 60, il jouait dans "Sherman & Peabody", aux côté de Gil Moore, futur Triumph et de Buzz Sherman, futur Moxy.

     Tout prend rapidement forme dès lors que, autant pour le fun que pour répondre à un besoin impératif de renouer avec le Rock, il enregistre un premier 45 tours en 1975, "Louie Louie" (tube inaltérable des Kingsmen), sous le patronyme de Godo (son surnom) avec des musiciens de studio. Le single passe sur les ondes régionales et ouvre une brèche dans laquelle Greg se jette sans hésitation. Il monte alors un groupe en s'alliant les services de Gino Scarpelli à la guitare - qui quitte Brutus avant l'enregistrement de leur unique disque (un patronyme bien mal choisi, ils auraient dû opter pour Mollusque ou Moelleux) -, et de Marty Morin à la batterie, officiant auparavant dans Truck (un intéressant groupe de Rock progressif  mêlant la Soul au jazz ; un seul album éponyme sorti en 1973, enregistré avant l'arrivé de Morin, avec d'excellents musiciens).

     Le trio part promptement à l'assaut des clubs, s'affûtant progressivement au fil des concerts. Godo devient Goddo, et la réputation scénique s'amplifie, permettant à la bande de jouer hors de l'Ontario, puis dans tout le Canada, jusqu'à déborder occasionnellement sur les USA. Marty Morin, qui vient de se marier, préfère quitter un groupe à l'avenir incertain pour la sûreté d'un emploi de conducteur de bus. Godovitz pour qui les liens liant les musiciens d'un groupe doivent aussi forts que ceux de l'amitié, est déçu et lui dédira, non sans humour, une chanson sarcastique : "Bus Driver Blues". Une pique à celui avec qu'il n'oubliera pas pour autant et avec qui il rejouera, lors d'une reformation tardive. Martin est remplacé par Doug Inglis, et la nouvelle et définitive mouture signe un contrat avec Polydor. Initialement, son choix s'était porté sur Bill Wade, le batteur de Moxy, considéré comme l'un des meilleurs de tout l'Ontario, parfois surnommé le "Bonham Canadien". D'autant que l'ami Buzz Sherman lui avait sifflé que Wade n'était pas certain de vouloir rester avec Moxy. Finalement, après quelques hésitations, Wade reste avec Moxy, qu'il quittera toutefois en 1978, avant le quatrième disque.


     En 1977, sort un premier disque plutôt franc du collier, anguleux. Il y a évidemment une forte résurgence du Bachman-Turner Overdrive, les stars du Heavy-rock de bûcheron au Canada, fierté nationale. Cependant là où le quatuor des frères Bachman s'enlise dans des paroles sérieuses et exemptes de tout ce qui pourrait aller à l'encontre de leurs convictions religieuses, Greg prend plaisir à inclure humour et satire dans ses chansons. Lui-même, à l'instar d'un Rick Nielsen, se contrefout du look inhérent aux Rock-stars d'alors. Il a coupé ses cheveux courts, sélectionné des lunettes qui lui mange le visage et opte parfois pour des costumes laminés jaune pétard ou léopard des plus douteux (l'un d'eux est 
fièrement exposé au Hard-rock Café de Toronto). Probablement une façon de démontrer que l'accoutrement n'est qu'un futile accessoire n'ayant aucun impact tangible sur la musique. Un contre pied à l'exemple américain. Et puis, Goddo se révèle être un combattant qui, s'il ne néglige pas la force brute, préfère souvent l'esquive, la feinte, la surprise.

     Certes, on pourrait reprocher à cet album - ainsi qu'aux suivants - une production trop maîtrisée, en totale opposition avec celle de leurs proches voisins américains du Michigan, du début de la décennie. C'est même assez propre, mais aucunement boursouflée par un excès de production et d'arrangements. C'est d'ailleurs ce que l'on retrouve sur une large majorité de la production Canadienne. A croire que les températures hivernales et les épais manteaux neigeux absorbant les sons ont impacté à jamais les studios de cette vaste contrée du Nord de l'Amérique.


   En 1978, Goddo dévoile un album bien plus audacieux, qui allie des refrains Pop à une orchestration robuste, absolument typée hard-rock. Rien de particulièrement nouveau, cependant la tonalité singulière du groupe en ferait une sortie de Bachman-Tuner-Overdrive tentant de marcher sur les traces de Queen. Sûr de lui-même, le trio prend même quelques risques mesurés. En effet, bien que d'apparence des plus classiques de prime abord, cette seconde galette est plutôt atypique dans le petit monde - en expansion - des Ardeuroqueurs. Cela toutes proportions gardées, rien à voir avec Queen, encore moins Klaus Nomi. Alors que la tradition veut que les disques de Hard-rock débute par une pièce d'artillerie lourde, un truc percutant et saisissant, - depuis "Gun", "Vincebus Eruptum", "On Time", "In Rock", "Lucifer Friend's" - Goddo ouvre le rideau sur une pièce des plus sobres et calmes. "Tough Time" n'est autre qu'un adagio, juste brodé par un arpège de guitare et des lignes de violoncelle mélancolique, sur lequel tranche un chant virulent. Pour la petite histoire, ne sachant pas écrire la musique, Greg joue en slide avec une bouteille de whisky qui traînait dans le coin, afin de démontrer au violoncelliste Peter Schenkman - 1er violoncelliste de l'orchestre philarmonique de Toronto -  ce qu'il recherche. Le résultat est saisissant (1). L'enchaînement avec "Cock On" - titre qui avait été refusé par son groupe précédent, Fludd - contraste fortement en plongeant directement en plein Hard-rock de bûcheron des forêts de la Couronne. Un dragster de l'espace (version BD de Flash Gordon) contournant les astéroïdes par de larges tournants dans une pluie d'étincelles photoniques. Un des morceaux préférés de Greg. 


   "You Can Never Go Back Anymore" fait marche arrière et renoue avec l'atmosphère acoustique du premier titre. Même si cette fois-ci, Gino et Doug se joignent à Greg, toujours dans le dénuement, pour s'épancher dans la mélancolie. Un harmonica - de Dr John Bjarnason de l'obscur Whiskey Howl - creuse cette amertume, sans tomber dans la morosité. "La frustration s'est mise en travers de mon chemin. Alors que mes amitiés ont commencé à s'égarer... mes rêves se sont écrasés sur le sol, et j'ai perdu ma foi ; et quoi, maintenant ? Tu ne peux revenir en arrière". Le rageur "Drop Dead (That's Who)", lui, ne fait pas de détail, monte dans les tours et, toutes guitares dehors, dérape dans un Heavy-metal pré-NWOBHM. Tant bien même quelques rares interventions au piano s'échinent à enquiller le trio sur des rails plus Rock'n'roll. "Sweet Thing" traite d'un sujet apprécié par le sieur Godovitz : la concupiscence avec souvent un décorum de métaphores et de double-sens salaces. Ici, ode aux groupies pas farouches pour un sou, sur un up-tempo certes heavy mais dégageant une vibration sensuelle. "Tu aimes le fait que je sois dans  un groupe, tu es consciente que je suis un coup d'un soir ; ça ne dérange pas une fille comme toi... Tu es ma douce, douce chose, tu ne mords jamais mais tu piques toujours".

   Sans complexe et sans trébucher, "There Goes My Baby" s'en va taquiner un Funk moite et lascif, proche de Rare Earth.; le côté Motown en moins, d'autant que Greg déclame ses paroles comme s'il était en meeting politique. Avec des paroles creuses.

   Greg est aussi un romantique, n'hésitant pas à écrire une chanson dédiée à Carole Pope, la chanteuse de Rough Trade. Un combo canadien (de Toronto) œuvrant alors dans une forme de Blue-eyed Soul (proche du Vinegar Joe de Robert Palmer et d'Elkie Brooks), avant de dériver vers la Pop et la New-wave avec un succès plus retentissant. Cependant, pas de petits violons pour déclamer son émoi, mais bien de la grosse guitare et batterie. "Oh Carole (Kiss My Whip)" est un rugissement concupiscent, un râle de mâle en rut "Je voudrais juste dire à Carole Pope of Rough Trade : "Hé, bébé, embrasse mon fouet, Haa... aah. Cuir noire, cravache, ça va me faire tortiller jusqu'à ton sommet. J'ai un autre genre de fantasme. Ralentis Carole, embrasse mon fouet..." Un véritable poète charmeur, celui-là. On ne sait pas si la principale intéressée a succombée, ou au moins, aurait été troublée par ce chant de sirène. 😁

   Dernière incursion dans l'intimisme avec "Once Again". Une vieille composition de Greg. Une de plus rejetée par les insipides Fludd. Bien que se considérant comme un bien piètre pianiste, Greg prend le risque d'interpréter seul cette chanson - traitant du doute et de la solitude - qui lui tient à cœur. Un saxophone jazzy (smooth) prend la relève du chant, telle une colombe prenant son envol dans un couchant ocre et orangé. Cela aurait fait un superbe final mais c'est "Too Much Carousing" qui tire le rideau dans un dernier sursaut absolument Hard-rock. Ici dans une veine franchement US, bien proche de Kiss. Avec un furieux break qui emprunte une route bitumée de Rock'n'roll à la Brownsville Station et à la Nugent.

   Un grand disque des 70's. Un classique oublié, sauf des Canadiens qui n'ont pas manqué de remplir les salles lorsque la petite bande s'est reformée en 2001, pour faire revivre un répertoire des plus intéressants. Sachant qu'au pays de l'érable, Greg Godovitz est considéré comme un grand artiste. Ce qu'on a aucun mal à croire à l'écoute de cet album où il a pratiquement tout composé. Et puis, l'homme ne s'est jamais vraiment arrêté, composant pour autrui, y-compris pour la télévision, jouant avec divers artistes Canadiens, juste pour le plaisir, sans envisager un semblant de partenariat pour quelques concerts juteux. Il s'est aussi fait producteur, généralement pour donner une chance à de jeunes musiciens (de Hard-rock comme de Country-rock).

  1. Tough Times  (G.Godovitz) ..... 2:23
  2. Cock On    (G.Godovitz) .....  4:02
  3. You Can Never Go Back Anymore   (G.Godovitz)  .....  3:45
  4. Drop Dead (That's Who)   (G.Godovitz, G. Scarpelli)  .....  2:41
  5. Sweet Thing   (G.Godovitz)   .....   3:42
  6. People in the News (interlude)
  7. There Goes My Baby   (G.Godovitz, G. Scarpelli, D. Inglis) .....  6:32
  8. Oh Carole (Kiss My Whip)   (G.Godovitz) .....  3:46
  9. Once Again   (G.Godovitz)   .....  4:03
  10. Too Much Carousing   (G.Godovitz)   ....  4:26

Greg GODOVITZ : Basse, chants, piano, guitare électrique et acoustique
Gino SCARPELLI : Stratocaster, basse, guitare acoustique et percussions

Doug INGLIS : Batterie, chants et percussions

(1) Plus tard, Greg jouera avec un certain Eric Shenckman, dans le Jerome Godboo Band, qui n'est autre que le fils du violoncelliste. Et le guitariste et co-fondateur des Spin Doctors.



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