jeudi 13 mai 2021

THE BEACH BOYS "Pet sounds" (1966) par Benjamin

Nous sommes en 1965 et la pop est au sommet de sa popularité. Elle permet à la génération du baby-boom d’enterrer le souvenir de la seconde guerre mondiale, tout en oubliant la troisième, qui semble pouvoir survenir à tout moment. A l’heure où le rock a conquis le monde, la rivalité entre deux groupes occupe tous les esprits. Je ne parle pas de l’éternel cliché Beatles / Stones, coup de publicité génial que tout le monde a pris trop au sérieux.

Les Stones et les Beatles n’ont jamais été rivaux, ils se concertaient d’ailleurs pour éviter de sortir leurs albums en même temps. Ils représentaient plutôt les deux faces du rock anglais, les Stones symbolisant sa réinvention du blues ricain, pendant que les Beatles portaient le drapeau du progressisme anglais. Et puis, jusque 1966, les Beatles étaient au-dessus de toute concurrence. Depuis leur arrivée aux Etats Unis, en 1964, ils colonisent les charts américains sans qu’aucun groupe local ne puisse les renvoyer au pays. Seule exception, les Beach Boys ont su conquérir le cœur d’une jeunesse hédoniste. Sur toutes les radios du pays du rock’n’roll, leurs hommages à la chaleur du soleil californien et à la beauté des gourgandines locales tournent en boucle. Mélange de doo wop et de rhythm’n’blues, le tout servi par des chœurs à faire rougir le groupe de Paul McCartney, leur surf music est le big bang qui donnera naissance au California sound.

La grande question des sixties n’est donc pas : Etes-vous plutôt Stones ou Beatles ? Mais êtes-vous plutôt Beatles ou Beach Boys ? 1965 est aussi l’année où les Beatles enclenchent une évolution majeure pour la pop. Le groupe vient alors de sortir « Rubber Soul », disque où ils commencent à écrire des mélodies plus aventureuses, et font entrer des instruments tels que le sitar et clavecin dans leur rock avant-gardiste. Mais surtout, un soin particulier est apporté à chaque titre de l’album, dont les chansons défilent avec une fluidité incroyable pour l’époque.

Dans son studio, Brian Wilson écoute le dernier exploit de ses rivaux avec admiration. Il comprend vite que le duo Lennon McCartney vient de monter le niveau d’un cran. Pour rester au sommet, il ne suffit plus de créer une mélodie entêtante, il faut désormais construire une œuvre. Ce virage tombe bien, Brian Wilson vient justement d’arrêter les tournées. Effrayé par les voyages en avion, le petit gros du groupe ne pouvait plus décoller. Disposant de chanteurs assez doués pour se passer de sa voix, les autres membres acceptent qu’il se contente de composer les chansons.

Isolé dans son studio, notre Mozart pop écrit 13 partitions, qu’il fait jouer par une série de soixante musiciens. Ses textes ont grandi en même temps que sa musique, leur mélancolie exprime désormais le difficile passage de l’enfance à l’âge adulte. Pour emballer sa pop introspective et symphonique, Brian Wilson reproduit les échos grandiloquents inventés par Phil Spector. Dans cette grotte merveilleuse, une puissante frappe de batterie nous ouvre les portes d’une pop exigeante, d’une musique populaire élevée au rang d’art majeur.

« La pop est la musique classique du 20e siècle » disait Paul McCartney, il ne pouvait pas deviner que ses rivaux seraient les premiers à lui donner raison. Pour alléger un peu la gravité de son œuvre, Brian Wilson la ponctue de bruitages divers, mirages sonores symbolisant des souvenirs en train de s’effacer. Bruit de sonnette, cris d’animaux, tous ces sons forment les rivages déjà lointains de l’enfance. McCartney lui-même écoutait en boucle ce « Pet Sounds » ému aux larmes par sa poésie symphonique. Parmi tous les joyaux du disque, McCartney retiendra surtout « God only know » qui reste selon lui la plus grande chanson pop de tous les temps.

Tout est parfait sur « Pet sounds » de la grâce de sa pop baroque à la beauté poignante de ses chœurs somptueux. Chaque titre est un diamant taillé avec la finesse du plus grand joaillier de la musique, une grotte d’Ali Baba où les ritournelles s’épanouissent dans des échos divins. Cet exploit est d’autant plus exceptionnel, que même son auteur ne parviendra jamais à le reproduire. A sa sortie, « Pet sounds » ne se vend pas, les américains n’étant pas prêts à abandonner leur insouciance pour cette symphonie introspective. Brian Wilson n’accepte pas cet échec, et tente de dépasser son chef d’œuvre incompris. Les heures qu’il passe en studio le rendent à moitié fou, et son génie étouffe sous ses ambitions démesurées. Son label met finalement fin à son calvaire en publiant les quelques bandes utilisables sous le titre « Smile ».

Les amateurs de pop ne cesseront d’écouter cette œuvre inachevée, cherchant dans ce brouillon quelques traces du génie de son auteur. La version définitive, Brian Wilson la sortira finalement en 2004, sans ses garçons de plage. Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur des attentes, prouvant ainsi que Brian avait mis toute son énergie dans « Pet sounds ». Entre temps, les Beatles se seront inspirés de sa pièce montée pour bâtir le monumental « Sergent Pepper », disque qui les place définitivement au-dessus de toute concurrence. L’histoire retiendra finalement que le rock est devenu mature grâce à la symphonie d’un petit gros génial. Encore aujourd’hui, « Pet Sounds » est un disque dont la beauté fascine, une perfection qui semble dépasser le cadre de la pop.

Les vieilles formules sont une prison étroite, dont le rock post « Pet sound » ne cessera de s’échapper. 


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