vendredi 14 mai 2021

RED RIDING, LA TRILOGIE (2009) par Luc B.

 

Si votre weekend avait bien commencé, désolé de l’assombrir avec cette RED RIDING TRILOGY qui nous ouvre les portes sur un Yorkshire thatchérien qui sent fort le renfermé. Ce qu’on y découvre n’est pas joli-joli. A l’origine de ces téléfilms, produits et diffusés par la chaîne britannique Channel 4 puis sortis en salle de cinéma en catimini (les trois d'un coup) il y a les romans de David Peace.

Peace a en réalité écrit quatre romans entre 2002 et 2005 : LE QUATUOR DU YORKSHIRE. Allusion à son maître à écrire James Ellroy, auteur du légendaire QUATUOR DE LOS ANGELES*. Les thématiques, la noirceur et le style littéraire étant très proches. Budget télé oblige, les quatre bouquins ne donneront que trois films, les titres étant baptisés selon l’époque où ils se déroulent, RED RIDING 74, 80 et 83, ne manque que le 77. Ridley Scott était intéressé pour en faire un remake américain, pas de nouvelles à ce jour…

L’adaptation à l’écran est l’œuvre de Tony Grisoni, mais trois réalisateurs prennent en charge chaque épisode, utilisant des supports différents, 16, 35 mm ou la vidéo, à chaque fois une image volontairement granuleuse qui en rajoute dans le glauque, tirée au format scope. Les mêmes acteurs/personnages y apparaissent, enfin… ceux qui ne meurent pas, car ça dézingue à tours de bras.

La trilogie a comme décor la grisaille mortifère du Yorkshire, région située au nord de l’Angleterre, et plus précisément la petite ville minière de Fitzwilliam, touchée de plein fouet par la crise économique sous le règne de la dame de fer Miss Maggy Thatcher. Le thème central est la corruption policière. A ce niveau de dégueulasserie, c’est du grand art. Comme le dira le super-intendant Bill Molloy : « Ici c’est le Nord, on fait ce qu’on veut ». Ça résume bien le concept.

RED RIDING 74 (réal Julian Jarrold) a comme personnage principal le journaliste Eddie Dunford, un idéaliste qui rêvait d’une carrière d’écrivain et s’est ramassé dans les grandes largeurs, contraint de revenir la queue basse comme pigiste au journal local. Son rédac chef l’envoie couvrir une conférence de presse de la police, à propos d’une gamine disparue. Dunford creuse le sujet en bon fouille-merde, persuadé qu’on a affaire au même pervers qui a déjà assassiné deux autres jeunes filles.

Des investigations peu appréciées en haut lieu, et par le super-intendant Molloy, une vraie gueule de crapule avec sa peau vérolée, d’autant qu'Eddie va aussi chercher des noises au promoteur immobilier John Dawson, qui s’est mis dans la poche toute la région à coup d’enveloppes bien garnies. Sa baraque à l'architecture moderne, en forme de cygne, tranche avec les lotissements pouilleux sur lesquels veille ce bon révérend Laws, joué par Peter Mullan vu chez Ken Loach

Sur fond de King Crimson, cette tête brûlée d’Eddie Dunford, veste de cuir et chemise pelle à tarte certifiée d’origine, rouflaquettes ad-hoc, éclusant les pintes de bières dans des pubs enfumés, va prendre un billet direct pour l’enfer. L’excellent acteur Andrew Garfield donne au personnage la fougue et l’insolence qu’il faut, véritable punchingball humain dans la grande tradition des enquêteurs privés, insulté, battu, torturé par un duo de flics ripoux, rien ne lui sera épargné.

Il y a ce plan curieux quand Dunford rend visite à Paula Garland, la mère d'une victime, jouée par Rebecca Hall, vue chez Woody Allen. Dans le même cadre, on a l'amorce de la voiture du journaliste, la petite maison en brique rouge, et au loin, derrière, une colline où on distingue une silhouette qui marche. Détail pas anodin. La tuerie finale au Karachi Bar rappelle l’épilogue sanglante de TAXI DRIVER. On nous laisse avec beaucoup de questions sans réponse... 

Car les trois films s’entremêlent, se chevauchent, se complètent. Le seul lien est l’inspecteur Maurice Jobson, qui dans RED RIDING 80 (réal James Marsh) a pris du galon et enquête sur l’éventreur du Yorkshire. Personnage réel, Peter Sutcliffe avait tué 13 femmes entre 1975-80. Emprisonné à vie, il est mort récemment de la Covid-19. L'intendant Bill Molloy dépassé par les évènements et la pression des médias, doit céder son fauteuil. L’inspecteur Hunter est diligenté de Manchester pour reprendre le dossier, mais aussi enquêter sur les dysfonctionnements de la police. Il va avoir du boulot. Le film s'attache moins à l'enquête (comme le film ZODIAC) qu'aux petits arrangements, conséquences d'une enquête bâclée.

Hunter traîne ses yeux tristes et son sourire narquois, costard impeccable et la raie bien coiffée. Lui aussi va se heurter à une hiérarchie putassière, d'autant qu'on lui colle comme agent de liaison Bob Craven, le flic ripoux et sadique du premier épisode. Hunter demandera à Craven : « Jusqu’où va la gangrène ? ».

Le révérend Laws, qu'on soupçonne pas très net sous sa soutane (la réplique « Laisse-moi t’apprendre comment m’aimer » laisse peu de place à l'imagination) et son jeune protégé, le micheton BJ sont toujours de la partie. BJ était témoin de la tuerie au Karachi Bar, qui évoque le micmac de L.A. CONFIDENTIAL d'Ellroy. Et toujours ce décor de désolation, lande rugueuse, pluie sans fin, parkings en parpaings, univers froid et graphique qui rappelle les images de LA LOI DU MILIEU (1971) l'excellent polar british de Mike Hodges avec Michael Caine. Et puis cette route en ligne droite entre les cheminées fumantes d’une centrale nucléaire, comme seule issue de l'anti-chambre du diable.

RED RIDING 83 (réal Anand Tucker) revient par flash-back sur le 74, éclairant le pacte de corruption entre les pontes de la police et le promoteur John Dawson. Il y a une autre disparition de gamine, une autre conférence de presse, et un Maurice Jobson pas très à l'aise dans ses bottes. Et si 10 ans plus tôt on s’était planté de coupable ? Après le journaliste et le flic, c'est un avocat qui mène l'enquête, le rondouillard John Piggott natif de Fitzwilliam. Il accepte de défendre le suspect, Michael, un simple d'esprit. Piggott aime le R’n’B des 60’s, d’où une bonne bande son impeccable.

A l’origine on a donc affaire à des téléfilms. Le budget ne permet pas des envolées ou développements cinématographiques. On filme au plus près des évènements, accentuant l'entre-soi, la claustrophobie. Sans le 77, on ressent cette petite frustration de ne pas avoir la suite exacte du 74 dont l'épilogue est pourtant haletante. Par contre, ça contraint les auteurs à rester sur l'essentiel, ne pas s'éparpiller, concision du récit, dégraissé sur l’os. Le temps long (plus de 4h45 sur l'ensemble) permet de développer une intrigue complexe et tentaculaire d’une noirceur abyssale.

Le fait de confier la réalisation à trois metteurs en scène est une bonne idée, l'ensemble est homogène, le premier volet est sans doute le plus prenant grâce à Eddie Dumbar qui apporte sa fraîcheur et sa jeunesse, pas encore marqué de désillusion, la réalisation y est plus musclée, les lumières tranchantes (très belle scène au camp gitan). Il faut rester attentif, concentré, on reçoit beaucoup d'informations à digérer. Si des pistes sont refermées à l'issue de cette trilogie, les auteurs laissent planer des doutes, il reste des zones d'ombre.

Interprétée par la crème des comédiens anglais, Sean Bean, Peter Mullan, le jeune Robert Sheehan dans le rôle de BJ est particulièrement bon, on reconnait Michelle Dockery et Jim Carter de DONTOWN ABBEY, l'atmosphère pluvieuse, perverse et sordide vous colle aux basques comme de la boue sous les semelles.

Accrochez-vous, c’est glauque, éprouvant, noir et violent.

* Le Dahlia noir, Le Grand Nulle part, L.A. Confidential, White Jazz.


couleur  -  1h42 / 1h33 / 1h40  -  format scope 1:2:35 

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