mercredi 31 mars 2021

The COSMIC TRIP ADVISORS "Wrong Again, Albert..." + "Same, Same... But Different" (2020), by Cosmic Bruno


     The Cosmic Trip Advisors... Voilà bien un patronyme qui semble tout droit sorti d'un recueil dédié à la musique psychédélique des années soixante. Mais que nenni, il s'agit d'un sextet tout à fait actuel. Même si les visages de ses membres trahissent quelques années au compteur ; le poil grisonnant, blanchi même pour certains, pourrait faire craindre que le groupe ne soit qu'une réunion de vieux et d'inconsolables nostalgiques s'évertuant à ressusciter tel quel le son de leurs héros décédés. Il n'en est rien. Et puis, il paraitrait que c'est dans les vieux pots que l'on fait les meilleures soupes.


   The Cosmic Trip Advisors
ne déboule donc ni d'une faille de l'espace temps (quoique... et si...), ni de San Francisco, mais de la lointaine Ecosse, du Comté de West Lothian (proche d'Edimbourg). La patrie de Susan Boyle. Sans se complaire dans une forme quelconque de revival musical, le sextet dégage néanmoins un caractère que l'on peut objectivement attribuer à la sphère d'un Heavy-rock millésimé 70's. De la même façon que celle de leurs compatriotes de la perfide Albion, Born Healer, ainsi que celle des Suédois de Sienna Roots et des Norvégiens de Pristine. Voire, dans une certaine mesure - pour mentionner une référence connue de tous -, de Blues PillsOn retrouve aussi des affinités avec les Biterrois de Red Beans & Pepper Sauce, l'ingrédient funk en moins. Tout comme pour ces groupes talentueux, si le terreau de The Cosmic Trip Advisors semble tiré des 70's, la troupe développe néanmoins sa propre identité. Bien sûr, forcément, il rejaillit deci-delà quelques réminiscences marquées, forgées par des influences marquantes, mais ce n'est jamais prédominant. Loin de là.

     Cette équipe écossaise semble être avant tout l'aboutissement du long cheminement d'un homme. Celui de Mark Thorburn, l'unique auteur-compositeur du présent album. Un parcours long et laborieux, jonché de pertes de temps et d'erreurs de jugement. A force de naviguer entre divers groupes sans grand espoir de lendemain radieux, il aurait pu depuis longtemps raccrocher sa guitare et sa plume. Mais au lieu d'avoir enfermé à jamais ses rêves au plus profond de lui-même, Thorburn, pugnace, s'est accroché. Au moment où tous ses anciens comparses ont raccroché, lui en profite pour enregistrer un disque sous son propre nom, et où il est le seul maître-œuvre. Ce disque,  "Dancing Backwards", représente un refuge où se sont entassées une douzaine de chansons, dont la majorité avaient été rejetées par les chanteurs de ses précédents groupes. Un premier et bien sympathique essai, essentiellement marqué par les sixties et l'aube des seventies, avec un son tourné vers l'analogique, et une belle énergie digne des Small Faces en mode live, parfois des combos passablement énervés du Punk-rock. Hélas, cette auto-production aurait mérité un chanteur plus compétent, plus nuancé et vigoureux, absorbé par les paroles des chansons. Un chanteur avec de la personnalité et de la gnaque.  


      Une lacune comblée par Lesley "LesBomb" McGonnal. Une chanteuse dotée d'une puissance naturelle qui paraît parfois se canaliser pour éviter d'écraser l'orchestre. En cela, et bien que sa tessiture et son style d'expression s'apparenteraient plutôt au Blues(-rock), Lesley évoque Lynn Carey. Elle serait un peu la version écossaise de la shooteuse New-Yorkaise de Heavy-Blues-rock, Sari Schorr. Autour de la fringante et énergique Leslie, Thorburn rassemble une troupe de musiciens aguerris de la région, dont l'organiste Peter Hampton, déjà présent sur son précédent effort en solitaire. 

     Après avoir constitué et rôdé le répertoire pendant une demi-douzaine de mois dans les clubs d'Ecosse, la troupe entre en studio et enregistre rapidement onze morceaux. Dont trois ont été repêchés de "Dancing Backwards" : "Firecracker Blues", "Sleaze Doest It" et "Had To Have It". En seulement deux jours, le sextet a réalisé un généreux album de Classic-rock largement assaisonné de Blues ardent et de Soul fébrile. The Cosmic Trip Advisors se définit lui-même comme un groupe de Rock'n'Roll avec un cœur de Soul. Une brièveté qui ne transparait pas, au contraire, même une écoute minutieuse dévoile une musique chiadée et accomplie - tout en restant foncièrement organique -. Onze titres enregistrés et pas un de plus resté dans les tiroirs ; non sans humour, les Ecossais déclarent qu'ils n'ont enregistré que les chansons qu'ils savent jouer. Ca respire la sincérité à plein nez. La troupe n'est pas là dans une quelconque optique commerciale - ce n'est pas demain la veille que des extraits de cet album passeront à la radio ou la télé -, ni même pour flatter leur ego. En effet, bien que les chansons soient le fruit d'un seul homme, la musique qui en résulte est bien celle d'un groupe à part entière. Où personne n'est particulièrement flatté par le mixage, encore moins désavantagé. D'ailleurs, les soli - piquants et savoureux -sont concis et se fondent dans l'humeur et le climat des chansons. 

     Le contenant est aussi réussi que le contenu. En effet, la pochette de "Wrong Again, Albert... " est l'une des plus belles et des plus sympathiques de l'année 2019. Une peinture à l'huile représentant une jeune fille ; une entité cosmique qui s'apprête à goûter délicatement quelques planètes (du système solaire ?) qu'elle a piquées de ses longs doigts fins. Vision psychédélique de l'infiniment petit et de l'infiniment grand. Une belle et originale illustration qui incite à acquérir la version 33 tours pour la dévorer des yeux en grand format. L'illustration intérieure au trait marqué par la BD fantastique et les comics des 60's-70's, vaut également le détour. Manifestement, le groupe a à cœur de bien faire les choses, de présenter autre chose qu'un simple produit. Quelque chose que l'on a plaisir à scruter, comme les pochettes d'antan. 


     Bien que seulement disponible sur Bandcamp, l'album fait progressivement parler de lui, parvenant timidement à s'immiscer sur le continent, et entraînant le pressage d'une nouvelle fournée de galettes. Mais en 2020, crise sanitaire oblige, The Cosmic Trip Advisors, en chômage technique, s'ennuie ferme. C'est l'occasion de faire son auto-critique et de trouver quelques menus défauts à son disque. Et puisque que le monde du spectacle a été plongé de force dans un sommeil à durée indéterminée, c'est l'occasion de remettre l'ouvrage sur le métier. Ainsi, la formation réenregistre intégralement la totalité de l'album. Dans le même ordre, en une seule journée, en mode 100% live. Et sans aucune retouche, sans aucun overdub. Ces gars là ne sont pas des rigolos, ils savent jouer et maîtrisent leur répertoire. 


    Mais quel est l'intérêt ? Au niveau créatif, il y a en a bien peu, les morceaux ne divergeant que légèrement. Cependant, cette redite présente un Cosmic Trip Advisors plus mordant, plus "raw", plus vivant. Comme si l'on avait agrémenté la sauce de quelques épices, ou plutôt arrosée d'un bon whisky (il fut un temps où le Lowland comptait jusqu'à une vingtaine de distilleries). Il y a un petit plus qui amène le groupe à franchir un pallier. Précédemment, il était séduisant, désormais il est captivant et palpitant. Etonnamment, le son paraît plus équilibré. Bien sûr, la guitare s'est parée d'une coloration plus velue et abrasive (on a discrètement poussé le gain, ou alors subtilisé la pédale d'overdrive par une fuzz modérée), et les soli se sont encanaillés, mais surtout c'est au niveau du chant que le bénéfice est le plus évident. Lesley a laissé derrière elle les derniers sursauts d'incertitude, de doute. Elle se fond totalement dans la musique, s'y abandonne. Elle n'a désormais plus aucune réticence à feuler et à griffer. Comme un felis silvestris grampia, ou à jouer de séduction comme une Babbah sith, juste avant de mordre. Ainsi, s'il ne "devait en rester qu'un", ce serait "Same, Same... but Different".

     Cette  "version live" - sans public - débute sur de larges accords d'orgue, bien écrasés, à la manière de Ken Hensley. Si l'influence d'Hensley paraît avoir marqué Peter Hampton, par la suite, parfois, ce serait plutôt du côté de chez Ray Manzarek qu'il puiserait son inspiration. Probablement les fois où c'est le Fender Rhodes qui est à l'honneur. Certes, un Manzarek qui aurait bouffé du lion. Particulièrement sur "I Got It Going On", qui pourrait être une version des Doors embrigadés par la scène de Détroit. Les claviers d'Hampton éclaboussent sans cesse le groupe de tonalités 70's. Omniprésents, une fois lancés, ils ont souvent l'outrecuidance de bousculer ces majestés les guitares. En prenant soin de privilégier des sonorités organiques, ils créent un ciment qui donne à la troupe une solidité sur laquelle peuvent s'appuyer autant le chant ardent de Lesley que les quelques échappées des grattes. Une forte présence donc, mais qui ne muselle aucunement les guitares. Avec pour leader et auteur-compositeur un guitariste, le contraire aurait été surprenant. Il suffit d'écouter "Oh My My My" et son gros riff de Hard-blues pour comprendre qu'il n'y a pas de conflit de territoire. Sur le rugueux boogie de "Ledz Boogie" (Ledz comme Led Zep ?), où les guitares de Thorburn et d'Ian Tait exultent, entraînant même dans leur sillage Lesley qui rudoie ses cordes vocales, les claviers se font alors caméléons en se parant des couleurs de ces dames. 


 Guitares à l'honneur encore sur 
"Firecracker Blues", un Blues, comme son titre l'indique mais à la sauce Hard 70's, qui débute sans complexe sur "Come Together". Egalement sur "Tongue Tied" qui, après une longue introduction épurée, avec arpèges chevrotants - typique du Fender Vibrolux -, libère des guitares sautillant comme des Trows un soir de sabbat. Ou encore avec "Sleazy Does It", une sorte de Steppenwolf au féminin.

   The Cosmic Trip Advisors n'est pas qu'une grosse et habile machine à concasser du Heavy-rock gorgé de Soul. Le groupe a aussi la matière pour créer des moments plus paisibles. Notamment avec "Feeling Low", ballade appuyée, encapsulée par un orgue gospellisant, qui essaye de tempérer l'ardeur des gratteux. Du coup, il y va de son petit solo. "Je me suis fait largué... mais au moins j'en ai tiré une bonne chanson".

   Et surtout "Such Is Life", qui est la preuve que Lesley et Thorburn peuvent à eux seuls captiver l'auditeur. Sans filet, avec juste une voix - qui semble trahir alors une relative fragilité, avec une pointe de juvénilité - et une gratte acoustique (qui résonne alors comme un Jimmy Page au meilleur de sa forme, avec bottleneck à l'auriculaire pour agrémenter ses arpèges de quelques glissements cuivrés). Pureté évoquant l'atmosphère bucolique des plaines des Lowlands, où le silence est perturbé par le clapotis d'un étroit ruisseau cristallin et vif, et par une brise fraîche se faufilant dans la bruyère et faisant frissonner les bouleaux. Voire "Bottle In Me", un Hard-blues mélancolique, où la douleur de la solitude et du renfermement sur soi l'étreint jusqu'à ce qu'il exprime sa souffrance dans une catharsis électrique salvatrice.

     Une galette sans faute de goût. Qui résiste au temps. A rapprocher des Born Healer, Vinegar Joe, Sienna Root (dernière mouture), Pristine, Red Beans & Pepper Sauce, Dirty Street et Blues Pills. Sans synthétiseurs, ni sample, boîte à rythmes, ni autres trucs de laboratoire. Bref, du 100% bio.



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