mercredi 24 mars 2021

KROKUS "Metal Rendez-Vous" (1980), by Brunus

 



     Lorsque l'on évoque le groupe helvète Krokus,  ce sont généralement les albums reprenant sans vergogne l'héritage AC/DC qui viennent à l'esprit. Un peu moins ceux qui ont cherché à séduire le marché américain en tentant de se fondre dans le Glam US 80's ou "Hair-metal". Mais rarement ce qui est sorti avant 1981. Si les trois premiers disques souffrent d'une production faiblarde et d'une orientation incertaine, le quatrième, lui, mérite toute notre attention. 


     Depuis cinq ans les Suisses s'échinent à développer leur Hard-rock teinté de Progressif, au timbre poussiéreux et parfois vieillot. Cinq ans et trois albums à leur actif et toujours pas moyen d'acquérir la moindre reconnaissance hors de leurs frontières. Pourtant, dès leur premier opus éponyme, le plus ouvertement Progressif, les deux membres fondateurs Tommy Kiefer et Chris Von Rohr font déjà preuve de belles prouesses musicales. Tant dans la composition que dans l'interprétation. Déjà, Krokus laissait entrevoir des qualités suffisantes pour qu'il puisse accéder objectivement à l'international. Les deux suivants, "To You All" et "Painkiller" (ce dernier aux multiples pochettes et autrement nommé "Pay It Metal"), bien que semblant hésiter entre un Heavy-rock progressif et un Hard-rock canaille, laissent parfois émerger un potentiel qui n'attend qu'un déclic, une étincelle particulière, pour réveiller le dragon. 

     Cette étincelle se conjugue avec l'arrivée de Marc Storace. Un Italo-Britannique (né à Sliema, Malte), qui s'est forgé les cordes vocales en reprenant le répertoire des Rolling Stones, Led Zeppelin, Beatles, Who, Cream et Deep Purple. Lorsqu'il intègre Krokus en 1980, il a déjà à son actif plusieurs albums de Rock-progressif avec Tea. Un groupe Suisse plutôt compétent, dont une poignée d'albums a été chapeautée par Dieter Dierks. Il a aussi été sollicité par le management de Rainbow pour passer une audition en vue du remplacement de Ronnie James Dio ; cependant, de crainte que la charge ne soit trop lourde pour ses épaules, il préfère abréger les séances d'essai.

     C'est donc pour le groupe Krokus, effectivement plus modeste par rapport à la grosse machine de Blackmore, qu'il abandonne une nouvelle fois l'Angleterre pour retrouver la Suisse qu'il connait bien et où il a obtenu une certaine notoriété grâce à son passé avec Tea.


   Cependant, ce n'est pas l'arrivée de Marc Storace en elle-même qui entraîne la troupe à emprunter une nouvelle voie bitumée, puisque les principaux compositeurs restent les mêmes. A savoir le guitariste Fernando Von Arb et le co-fondateur Chris Von Rohr. Par contre ce dernier, précédemment au chant, conscient qu'il fallait un nouveau timbre de voix et un chant plus puissant pour accéder à une nouvelle dimension nettement plus métallique, a fait le choix de laisser sa place au micro. Multi-instrumentiste, il chante et joue de la batterie et des claviers sur le premier essai ; puis il lâche la batterie et ensuite les claviers. Pour finir, avec le recrutement de Storace, il prend la basse et se contente de faire le choriste. Il faut saluer l'humilité de cet homme qui, bien que fondateur et auteur-compositeur principal, a toujours mis son ego de côté pour rester avant tout au service de la musique de son groupe. Il y a tellement de chanteurs limités, passables ou carrément mauvais qui, dans la musique populaire, s'accroche à leur poste de chanteur comme des arapèdes au rocher, sans se soucier de pénaliser alors peu ou prou leur groupe. (1) 

     C'est donc un Krokus transformé, qui a mué pour entamer la décennie sous de nouvelles couleurs aux reflets métalliques. Une décennie qui sera celle de l'avènement du Hard-rock sous toutes ses formes. Pour le meilleur (?) et pour le pire. Pour ce quatrième chapitre, il semblerait que la paire de compositeurs a subi un stage commando à base d'écoute continue de Hard-rock et de Heavy-Metal post-80's. Celui qui a commencé à éclore sur une bonne partie de la planète à partir de l'an 1978, virant ses oripeaux Blues pour se vêtir de carapaces et d'armures (au sens propre pour certains... ). Ce sont leurs proches voisins, les Teutons de Scorpions qui marquent au fer rouge cet album. Celui de "Taken by Force" et de "Lovedrive". Une filiation que l'on retrouve même dans l'aspect vestimentaire (qui sera d'ailleurs allégrement pompé par la grande majorité des groupes européens). Certes, la voix abrasive de Storace ne manque pas d'évoquer AC/DC, notamment sur les chansons penchant, légèrement, vers le Rock 'n'roll. Toutefois, on pourrait aussi bien mettre en avant quelques similitudes avec Nazareth. Du moins pour le présent album. Un Nazareth dans sa version live, car depuis quelque temps, sur disque, les Ecossais ont dilué leur Hard-rock cru et rêche. D'autant que Storace est de la même branche que Dan McCafferty, tant dans le timbre que physiquement.


 Cependant, il est indéniable que les futures productions s'engouffreront profondément dans la mouvance des Australiens, s'efforçant de réaliser des chansons à la "AC/DC", mieux que les "kangourous écossais", juste au moment où ils étaient en perte de notoriété. Bien des années avant Airburne. 

     Fernando Von Arb et Tommy Kiefer ont copieusement musclé leur gratte avec une distorsion aussi épineuse qu'un plein cageot d'oursins ; ça tonne comme une Boss DS-1 au gain poussé au trois-quarts (juste avant que cela ne dégénère en bourdonnement d'abeilles), et aux médiums généreux terrassant les fréquences graves. Les rythmiques sont faites d'une cuirasse à l'épreuve des balles, mais parviennent néanmoins à conserver une relative souplesse. Si les riffs maintiennent encore un attachement au Hard-rock, leur tonalité embrasse le Heavy-metal. Soit du Heavy-metal accrocheur brassant du Hard-rock tranchant et bourre-pif. Comme "Beside Radio" qui marie Nazareth à Scorpions, "Come On", cavalcade de Metal-British ponctuée de "Ooooh" typés Uriah Heep, "Shy Kids",  "Lady Double Dealer" (sans aucun rapport avec le titre de Deep-Purple, même si la slide repique des licks de Tommy Bolin), et "No Way", un tourbillon hypnotique de Heavy autiste où la rythmique donne le tournis, paraissant s'accélérer comme un roller-coaster fou. Et puis "Back-Seat Rock'n'Roll" qui clôture l'album et qui annonce la couleur prononcée d'AC/DC qui va fortement imprégner les prochains disques.

   Mais ce qui fait avant tout le charme de cette galette, ce sont les quelques chansons qui se démarquent par leur singularité (par rapport à la NWOBHM), qui osent emprunter des chemins de traverse.  A commencer par "Streamer", un heavy-slow-blues pour "cœur de rocker", plombé comme un cuirassé mais néanmoins transi d'émotions. Certes, Scorpions recouvre de son ombre tout le morceau. Sur l'intro, on retrouve même un soupçon de psychédélisme propre aux Teutons arachnides de l'époque Ulrich Roth. Et sur le solo, Storace vocalise comme le ferait Klaus Meine. Scorpions encore avec "Tokyo Nights", un Reggae blindé qui n'est pas sans évoquer le superbe "Is There Anybody There ?". Bien que les Suisses tentent ici de donner quelques impulsions asiates et cognent ici plus durement. Ou encore "Fire", qui manque de s'étouffer par son classicisme redondant, heureusement sauvé par une majestueuse seconde partie, où, perdue dans des vapeurs mauves, la guitare de Von Arb appelle, interroge. Comme une supplication transcrit par un effet de violoning, qui se mue en colère dans un riff gras, et finalement exprime une exaltante libération par un solo lumineux. Et puis bien sûr, il y a "Heatstrokes". Efficace entame qui exploite les poncifs du Heavy et de ses guitares bravaches (Von Arb retranscrit à lui seul une joute de guitaristes rivalisant d'effets faciles et tape-à-l'œil, usés jusqu'à la corde). Malgré sa structure plutôt classique, ce morceau ne manque pas de peps qui séduit les foules. Même la Grande-Bretagne, pourtant bien pourvue depuis toujours en groupes de Heavy-metal, s'y laisse prendre. Elle accueille d'ailleurs  chaleureusement le groupe en son royaume, jusqu'à lui réserver une place au sacro saint festival de Reading. 

     Du début à la fin, "Metal Rendez-Vous" irradie d'un bel engouement et d'une énergie communicative. C'est l'album qui abat les frontières helvètes, permettant à cette Garde suisse de partir à l'assaut de l'Europe et d'ouvrir pour des groupes parmi les meilleurs d'outre-Atlantique. Le disque parvient même à s'infiltrer dans les charts américains. Malheureusement, la troupe trébuche l'année suivante avec un album en apparence bâclé - tout de même porteur de quelques classiques -. Il se redresse en 1982 avec le robuste "One Vice At a Time", qui va faire l'unanimité dans le "petit monde du Métôl", permettant à Krokus de passer en première division.


Side A
  1. "Heatstrokes"    -    4:00
  2. "Bedside Radio"    -    3:22
  3. "Come On"    -    4:29
  4. "Streamer"    -    6:44
  5. "Shy Kid"    -    2:33
Side B
  1. "Tokyo Nights"    -    5:54
  2. "Lady Double Dealer"    -    3:13
  3. "Fire"    -    6:07
  4. "No Way"    -    4:02
  5. "Back-Seat Rock 'n' Roll"    -    3:15

(1) Chris Von Rohr prendra aussi plus tard la casquette de producteur pour des compatriotes. Principalement pour Gothard, avec sept albums. Il a aussi écrit deux livres 



🎼🎵🐮

🎼🌹

2 commentaires:

  1. Un "Must-Have" comme on dit maintenant.
    J'avais pris cela en pleine poire et ce fut mon disque de chevet pendant de longs mois.
    Storace est un cador et les albums avec TEA ne sont pas à négliger.
    HARDWARE m' déçu (Déjà trop ACDC), j'ai abandonné et y suis revenu depuis 4/5 ans pour le plaisir et ma nostalgie.

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    1. Jamais rien écouté de ce Tea, mais apparemment, c'est un groupe assez apprécié par les amateurs de Heavy-rock progressif 70's.

      "Hardware" et "One Vice At a Time" faisaient déjà du Airbourne, avant Airbourne. Vingt-cinq ans plus tôt. 😉

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