- Le retour de Mozart Claude, et une symphonie, la 25ème cette
semaine, une œuvre de jeunesse pleine de bonne humeur ?
- Mozart a 18 ans, plus un gamin, pas encore dans les difficultés de la
trentaine… Mais de la bonne humeur… pas vraiment, plutôt nerveuse voire
inquiète…
- Ah bon, je te fais confiance, je sens une chronique enflammée. Tu as
choisi la version d'un chef italien je crois… Il n'assurait pas le concert
du nouvel an à Vienne ?
- En effet Riccardo Muti était invité par la Philharmonie de Vienne cette
année, hélas devant une salle vide à cause de la pandémie.
- Tu en parles pour la première fois, ce n'est pas un chef plutôt d'opéra
?
- 79 ans, une carrière d'exception… En effet beaucoup d'opéras notamment à
la Scala, mais un maestro très éclectique actuellement patron du
symphonique de Chicago…
Mozart vers 1770-1773 |
La
25ème symphonie
de
Mozart
écrite par un adolescent est bien trompeuse. À cet âge, et par rapport à sa
production habituelle, on s'attend à une musique légère même si de grande
classe, innovante, et témoignant de la joie de vivre et du plaisir d'être
reconnu comme un génie de la musique tant comme interprète que comme
compositeur… Que nenni,
Mozart
reste un cabotin et pourtant nombreux sont les musicologues qui entendent
dans cette symphonie écrite en tonalité mineure l'expression d'une morosité
voire d'une détresse…
Mon cœur balance quant aux raisons profondes de cette perception d'un
ouvrage au climat tragique. Est-ce la confession de la rage et de la
mélancolie d'un musicien vieilli précocement par le rythme de travail
insensé, auquel son génie et surtout son père l'ont soumis dès la plus
tendre enfance ? Ou alors, comme d'autres compositeurs ou écrivains,
Mozart
jeune adulte s'intéresse-t-il au courant de pensée
Sturm und Drang (tempête et passion) de la seconde moitié du XVIIIème siècle dit des lumières,
idéologie exacerbant la révolte des intellectuels envers une société figée
dans les règles monarchiques et académiques, surtout à Vienne ? La vigueur
tumultueuse du premier mouvement et la langueur tristounette de l'andante plaident en faveur d'une combinaison des deux postulats, à mon humble avis.
Faire le bilan de presque 15 ans de carrière, du quotidien de Mozart
et de sa passion pour les innovations pourra, je pense, nous apporter une réponse. La
25ème symphonie
écrite en décembre 1773 conclut une année particulièrement féconde
donc épuisante pour le jeune homme. Je n'ai jamais compris la tendance à
sous-titrer inconsciemment cette symphonie de "Tragique". Survoltée et tourmentée ? Oui, bien entendu. Mais de là à parler de
"tragédie"… Que dirait-on alors des
adagios mortifères et glaçants des
6ème
"Tragique" et
9ème symphonies
de
Mahler
ou encore du final réellement "pathétique" de l'ultime
6ème
Symphonie
de
Tchaïkovski
?
La composition d'un ouvrage aussi âpre en cette période créatrice plutôt
euphorique surprend. Totalement euphorique ? À voir… Toute l'enfance et
l'adolescence de
Mozart sont marqués par d'incessants voyages comme virtuose et apprenti
compositeur. Course de ville en ville jusqu'à une forme d'épuisement qui
nuira à son développement et impactera grandement sa santé à l'âge adulte.
1772, Mozart
bourlingue en Italie, souvent à Rome. En 1770, il s'était montré
capable de transcrire pour clavier en peu de temps le
Misere
d'Allegri
de mémoire. Le génie musical s'exprime ainsi et le tempérament frondeur du
garçon tout autant, toute transcription de l'œuvre vocale "sacrée" étant
interdite par le Vatican au risque d'excommunication ! En mars 1772,
suite à la mort de son protecteur, le
prince-archevêque de Salzbourg, Sigismund von Schrattenbach,
Hieronymus von Colloredo-Mansfeld hérite du poste et du job et va
remettre les pendules à l'heure côté planning.
Hieronymus von Colloredo-Mansfeld |
Le prince-archevêque Colloredo est un homme cultivé mais d'esprit janséniste. Il décide de rémunérer Mozart; un second salaire bienvenu pour la famille. Envers du décor : terminées les pérégrinations incessantes à parcourir l'Europe, le musicien salarié se voit imposer de composer uniquement (ou presque) des ouvrages religieux et, pire, suivre des règles précises sur le fond et la forme… les messes brèves composées à l'époque montrent que le carcan musical et l'obligation de résidence à Salzbourg ne sont pas du goût de Mozart. On sent à l'écoute (enregistrements rares) que ce travail permet plus un perfectionnement de la technique orchestrale et vocale que la révélation d'un mysticisme ardent et papiste chez le futur franc-maçon. Les relations entre Colloredo et Mozart ne feront que s'envenimer jusqu'au départ de Salzbourg de ce dernier en 1776. Commence le début des vaches maigres, du conflit avec son père à propos de ses conquêtes féminines, en un mot de sa vie d'homme, les galères comprises.
En 1773, malgré les nouvelles contraintes, vont voir le jour les
messes et pièces dévotes d'intérêt modeste certes, mais aussi six quatuors
(n° 8 à 13), genre majeur chez
Mozart, un
quintette, quelques
concertos
(n°2
pour
violon,
n°5
pour
piano
et celui pour
basson) et surtout, en octobre il écrit fiévreusement une série de
quatre symphonies
(N° 23
à
26,
la
n°22
datant de mars), premier groupe des 9
symphonies
dites "salzbourgeoises" achevées en 1774. Une année tout à fait constructive où il a
rencontré
Joseph Haydn
qui, en dehors de l'enseignement que le maître lui apporte, devient un
soutien, un ami et un admirateur (avec réciprocité).
Par ailleurs, approchant de ses dix-huit ans, Mozart se passionne comme évoqué plus haut pour le mouvement Sturm und Drang qui fascine tous les jeunes créateurs autrichiens, le romantisme puisera ses racines dans cette idéologie. Question légitime, que vient faire la symphonie du jour dans un groupe de partitions qui semble prolonger la liste sans fin des divertimentos ? Hormis la symphonies N° 25, le plan reste constant : une dizaine de minutes, trois mouvements – pas de menuet – très plaisantes mais guère métaphysiques.
Ne serait-ce point une provocation préromantique dans cette Autriche frivôle qui ne pense que
divertissement facile ? Une demi-heure ou moins en fonction des reprises,
quatre mouvements, une imagination folle et pas vraiment un climat enjoué…
("Tant que les Autrichiens auront leur bière brune et leurs petites
saucisses, ils ne se révolteront jamais" Citation vacharde en 1794 de
Beethoven séduit par la révolution française, le Directoire et le Consulat.)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
- Hummm, Sonia ? tu peux m'expliquer la présence de ces jolies nouilles
dans l'iconographie de ce billet consacré à Mozart si je ne m'abuse ?
- Ben Claude, tu m'as demandé d'illustrer ton papier et Nema m'a dit que
cette symphonie était célèbre depuis une publicité Barilla de 1989, d'où
cette belle présentation et la vidéo du clip…
- Très drôle ! Mozart écrit une musique quasi tragique en sol
mineur, c'est fort rare, et toi tu assaisonnes l'affaire à coup de pâtes,
désespérant. Tu penses à quoi pour la sauce ?
- Bah, Riccardo Muti est né à Naples, donc de la sauce napolitaine,
hihi…
- SONIA !!!!! Ça ne me fait pas rire, laisse-moi travailler le sujet,
pffff… Nema va m'entendre…
Désolé chers lecteurs pour cet intermède pizzaiolo, mais il semble évident
qu'étant gamine Nema a dû voir cette publicité TV et a piégé Sonia qui elle
n'était pas née… En 1989, mes collègues de bureau me taquinaient avec la
"symphonie Barilla"… pas très
culturelle cette vanne, mais pas méchante. Et puis il est vrai que la course
de l'athlétique et sexy rat d'hôtel sur les toits après son larcin, rythmée
par le thème introductif dramatique et tranchant de
Mozart
est une chouette idée… Ces emprunts à but mercantile ne me gênent en rien.
Il est sympa de constater qu'ainsi des thèmes musicaux classiques ou autres
marquent durablement l'inconscient collectif, une marque du génie de leurs
auteurs… Rappelons-nous la
valse Jazz N°2
de
Chostakovitch
pour vanter les produits financiers CNP…
Reprenons après cet appartement… Pardons cet aparté ! Où ai-je la tête avec les bévues de Sonia ?
- Hihi Claude, tu avais écrit une coquille…
- Ô Sonia, juste une petite coquille… Autrement dit une coquillette
hihi haha hihi haha. On se
marre avec pas grand-chose dans le Deblocnot…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Riccardo Muti (né en 1941) |
XXXX |
Une bizarrerie dans la rubrique musique classique de votre Blog. On ne
compte plus les papiers sur des gravures du chef Milanais
Claudio Abbado
disparu en 2014 à 80 ans, ou même
Riccardo Chailly
lui aussi milanais de 67 ans, et pas un mot sur son quasi contemporain
napolitain
Riccardo Muti
! Pourtant le maestro a été particulièrement prolixe au disque chez
plusieurs labels phares… Pourtant on le rencontre dans des discographies
alternatives, ne serait-ce que la semaine passée dans la
Faust Symphonie
de
Liszt… 13 chroniques & RIP pour Claudio Abbado, 4 pour
Riccardo Chailly
(Index).
Deux a priori perdurent sur cet artiste. Un,
Riccardo Muti
c'est
Verdi, point !? Deux, côté caractère, l'homme serait dictatorial voire
désagréable comme les grands anciens :
Toscanini,
Klemperer,
Reiner,
Mravinsky, sans parler de l'imbu
Celibidache, etc. il serait bon de nuancer ce jugement.
En examinant la carrière de
Riccardo Muti on met en doute le présupposé tenace que
Muti
serait un spécialiste de Verdi, passant sans temps dans les fosses d'opéra.
1971-1980 : Philharmonia Orchestra (succède à Otto
Klemperer)
1980-1986 : Orchestre de Philadelphie (succède à Eugène
Ormandy)
1986-2005 : Scala de Milan (succède à Claudio
Abbado)
2008-2022 : Orchestre symphonique de Chicago (succède à
Bernard Haitink)
Sans compter des invitations très fréquentes à la philharmonie de Vienne
qui n'a pas de chef attitré et sera sollicité six fois, dont cette année
et depuis 1993, pour diriger les concerts du Nouvel an.
On pourrait poursuivre en citant d'autres orchestres ou opéras prestigieux
:
Covent garden, Le
Met, etc.
Riccardo Muti et Ildar Abdrazakov en 2015 durant les répétitions d'Ernani de Verdi à Salzbourg |
Né en 1941
Muti
étudie à Milan dès 8 ans le violon puis le piano à 13 ans. À Naples, il sera
diplômé de philosophie et apprend la direction d'orchestre. Il remporté le
premier prix du Concours
Guido Cantelli
en 1967 à 25 ans. Devenu dans la foulée chef de l'Orchestre du Mai musical florentin, une carrière d'exception l'attend, la liste ci-dessus le montre sans
hésitation. Si
Verdi
est son péché mignon, il a enregistré avec brio douze des hits du
compositeur italien, il se distingue aussi dans les interprétations du
répertoire lyrique italien :
Donizetti,
Bellini,
Puccini, et d'autres moins connus comme
Leoncavallo. Pour l'opéra allemand, par contre aucun
Wagner
ou autres à ma connaissance. Côté musique symphonique, il aborde là aussi
avec talent la plupart des compositeurs classiques et romantiques de
Mozart
à
Bruckner
et les post romantiques comme
Respighi
ou
Richard Strauss.
Et c'est là qu'apparaît la différence avec le boulimique
Abbado, son confrère de la même génération, dont l'inventaire de concerts et de
disques s'étendait du baroque à la musique contemporaine voire
expérimentale, un musicien entretenant des liens étroits avec l'avant-garde
:
Nono,
Boulez… Nota :
Riccardo Muti a enregistré plusieurs disques de musique de films de
Nino Rota, l'ami fidèle de Fellini ?
En 2005, l'exigence et la qualité sont des valeurs dépassées pour la
Scala aux dires des syndicats.
Riccardo Muti et Carlo Fontana, le directeur, doivent démissionner écœurés. Un
soir de grève surprise en 1995, Muti avait assuré un récital de piano, sympa mais ça gonfle. Le trompettiste
Sandro Malatesta
estime la programmation passéiste (pas faux) et organise les grèves,
d'autres suivront ! Le diplomate
Daniel Barenboïm
assure l'intérim de 2005 à 2015 puis le chaleureux
Riccardo Chailly
tente depuis 2015 de redonner les ors perdus à la salle mythique.
Riccardo Muti
est revenu en 2017 à la Scala, mais prudent, avec le
symphonique de Chicago 😊
un triomphe.
Dernière interrogation.
Riccardo Muti
a-t-il le caractère sévère qu'on lui prête. Il y répond très bien lui-même
dans une interview que je vous invite à lire
(Clic)
déclarant "Je marie l’humour et la discipline, c’est mon caractère". Je partage ce choix. Je ne pense pas qu'un maestro ait à négocier outre
mesure avec les musiciens les lignes directrices de l'interprétation.
Quelques idées, oui, pourquoi pas ? Mais pour une exécution cohérente, un
seul décideur doit s'imposer.
Toscanini
et
Celibidache
étaient odieux, en effet.
Riccardo Muti
doit vitupérer de manière volubile comme tout napolitain, mais les blagues
entre les notes ne sont pas absentes. Et puis un célèbre ronchon,
Fritz Reiner
avait fait fuir 90 % des musiciens du
symphonique de Chicago
tandis que ces dix dernières années, trois orchestres américains haut de
gamme se sont bousculés pour recruter
Riccardo Muti, dont la
philharmonie de New-York. Sur Wikipédia vous trouverez une liste non exhaustive de sa discographie,
elle est démente !
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Haydn vers 40 ans |
En cette fin d'année pendant laquelle
Mozart
a dû se plier aux exigences du prince et des goûts des autrichiens pour le
divertissement, rien n'interdit de penser que le jeune homme ait souhaité
innover et donc entendu ou du moins consulté les partitions des
quatre symphonies
écrites par
Haydn
dans le cadre du mouvement
Sturm und Drang
où l'expression d'une musique plus psychologique prend le pas sur la musique
pure plus distrayante (voir plus haut).
Le compositeur viennois qui a atteint la quarantaine et complète la formation de Wolfgang
lui aurait-il fait étudier ses symphonies parmi les pus abouties d'un
catalogue qui en comprend 104, et notamment les plus bouleversantes : no
49
en fa mineur "La Passion" (1768), no
26
en ré mineur "Les Lamentations" (1769), no
44
en mi mineur "Funèbre" (1772) et l'étrange no
45
en fa dièse mineur "Les Adieux" (1772).
On note que toutes sont en tonalité mineure comme la
25ème
de
Mozart, un mode utilisé très rarement par
Haydn, le jovial
Joseph
étant adepte des tonalités majeures. Encore un point commun entre les deux
hommes. Des symphonies contemporaines de leur rencontre et du début de leur
amitié.
Encore une remarque en faveur de ma théorie en comparant les orchestrations. Les quatre symphonies de Haydn comportent la même harmonie : 2 hautbois et 1 basson pour les bois, 2 cors côté cuivres. Pas de flûte ni de timbales. Une couleur sombre avec un rôle important donné aux cordes graves. Dans sa suite de symphonies fin 1773 Mozart expérimente diverses combinaisons instrumentales ; pour la 25ème : 2 hautbois, 2 bassons (uniquement dans l'andante), 2 cors en si bémol et 2 cors en sol ; la similitude avec les règles de Haydn est plus que troublante. Evidemment, sont présentes les cordes avec comme dans "La Passion" un usage notable des contrebasses et des violoncelles, mais pas de continuo au clavecin, même si les baroqueux croient bon d'en ajouter un.
La tempête de Claude Joseph Vernet, 1777 |
1 – Allegro con brio
: Les thèmes introductifs de maintes symphonies de
Mozart
ou de
Beethoven
ont un impact émotionnel puissant et durable sur l'auditoire, j'en suis
convaincu ; agressifs ou chaleureux ils vous prennent à bras le corps,
mémorisés instantanément, ils nous envoûteront à tout jamais.
Pam pam pam paaaam
de la
5ème
de
Beethoven, ou celui scandé et pourtant élégiaque de la
40ème
de
Mozart
(en sol mineur comme la
25ème) ; des intros sublimes de
Bach
: 1er prélude en do majeur du
clavier bien tempéré I, le prélude de la
1ère
suite
pour violoncelle seul. Des airs populaires qui font les choux gars des
publicitaires…
Une chevauchée de notes serrées, trois noires encadrées de croches, quatre
mesures staccatos en folie (une à une : sol, ré, mi, fa #), voilà pour le
moins une entrée en matière impétueuse… du pur
Sturm und Drang. (Des séries de six notes de même hauteur, à regarder la
partition, on pense à l'écriture répétitive minimaliste d'un Philip Glass
ou d'un Steve Reich
deux siècles en avance.) Le thème initial, rageur, décoche une suite de sept
doubles arpèges montants-descendants furibonds. Une écriture dense et noire
de notes, exigeant une virtuosité frénétique sans faille des
instrumentistes. Un drame se noue, nul esprit de divertissement pour
l'égayer, et pourtant Mozart
a indiqué Allegro con brio, soit
littéralement : joyeux avec panache.
Cependant, d'aucuns insistent sur le "tragique" de cette introduction. Possible, mais la "passion" est loin d'être absente. Fougue plutôt équivoque chez un
Mozart
enflammé par ce travail si nouveau pour lui mais sensible à la noirceur du
préromantisme à la mode dans le monde musical du temps. [0:40] Un second
thème marqué par le solo nostalgique et introverti du hautbois laissera
ensuite libre cours au chant des cors. Cette section conduit [2:00] à une
reprise in extenso et ad libitum au gré du maestro avec sans cesse les
réapparitions insistantes des deux premiers motifs.
[3:54] Le développement se voudrait moins énergique, plus galant, mais
cette tentative de calmer le jeu est troublée par des réminiscences
d'éléments agrestes de la première section. [4:38] Une reprise de tout le
début du mouvement se conclut par une coda rythmée à [9:27] ; un canon
obstiné construit à partir des quatre mesures initiales. L'absence de
mesures arpégées n'offre aucune fantaisie mélodique à l'issue de l'allegro
plein de panache certes, mais bien peu
joyeux…
Les tenants de l'esprit tragique de cet allegro ne se méprennent en rien,
c'est un sentiment tout à fait licite en écoutant cette course à l'abîme.
Mais alors parlons de danse macabre avec une pointe d'humour noir…
Tant dans mon propos qu'à l'écoute, l'impression de répétition sans fin des
motifs musicaux n'est pas une illusion. D'où la difficulté d'interpréter
cette musique en échappant à des longueurs lancinantes et, osons le mot :
rabâchées. Si
Riccardo Muti
avec un sens de l'articulation altière, un tempo allant et un désir de
déchaîner le discours parvient à nous entraîner dans une course démente, ce
n'est pas hélas toujours le cas. Même si les reprises sont omises, ramenant
l'allegro de 10 à 6-7 minutes, je me suis surpris à bailler en écoutant des
versions historiques mais hélas ennuyeuses de :
Böhm
que j'adorais,
Walter
ou
Klemperer
!
Goethe méditatif en Italie ; J. H. W. Tischbein, 1787 |
2 – Andante
: [V2] Changement de tonalité.
Mozart
délaisse l'âpre sol mineur pour le plus méditatif mi bémol majeur. On
s'attend après les bourrasques anxieuses et tumultueuses de l'allegro à un
retour à la quiétude. La tonalité ne fait pas tout. Dans ce mouvement de six
minutes règne un sentiment de solitude affligée. Les cordes utilisent leurs
sourdines et le basson va faire son entrée. L'instrument dialoguant avec les
violons par petites touches. Le premier groupe thématique adopte un
rythme de ballade. [V2-0:38] Le second thème tente d'animer par sa rythmique
nonchalante le propos, mais la mélancolie ne se dissipe guère…
Riccardo Muti
impose avec soin l'équilibre entre les pupitres. À une morne langueur, il
oppose une tendre modulation qui évoluera vers une sourde inquiétude. Le
velouté des cordes de la
Philharmonie de Vienne
ne plaira sans doute pas à ceux en attente d'une dramaturgie plus
accentuée.
3 – Menuetto
: [V3] Retour du sol mineur de l'allegro. Le menuet n'aura-t-il qu'un rôle
d'intermezzo ? Et bien non ! Le thème est de nouveau martial, glaçant ; les
reptations des cordes graves inspirent l'affliction. Une telle gravité est
totalement nouvelle dans l'inspiration mozartienne. Les accords des cors,
lointains apportent une couleur funèbre à cette mélopée reprise da capo
après le Trio. Le trio est insolite par son orchestration mettant au repos les cordes et
faisant appel à la voix ténébreuse du basson et de seulement deux cors !? On
pensera à un petit concert d'harmonie dans un kiosque salzbourgeois, un
dimanche gris.
3 – Allegro
: [V4] Maintien du sol mineur. Moins abrupt par sa thématique, le final
prolonge le climat rageur de l'allegro con brio. Les traits de cordes
restent vindicatifs, les développements mélodiques inquiétants et saccadés.
On ne peut que conclure que la bonhomie et la fantaisie n'ont pas de place
dans cette expérience symphonique épique du jeune adulte. On retrouvera ce
style rude dans l'ouverture de
Don Juan
et au début de la
40ème symphonie
elle aussi en sol mineur et d'autres ouvrages plus tardifs au fur et à
mesure que les nuages s'obscurcissent au-dessus de
Mozart, mais ceci est une autre histoire.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Les
symphonies
de la maturité (35
"Haffner" à
41
"Jupiter") bénéficient d'une discographie pléthorique y compris à très haut niveau.
Les
symphonies de l'enfance
et de
l'adolescence
(1 à 20) plus proches du divertimento sont moins exigeantes sur le fond et il
existe quelques semi intégrales très agréables. Bien entendu divers maestros
ont proposé l'intégrale de toutes les partitions symphoniques, les
40 numérotées
(la
37 n'existe pas car attribuée un temps à tort à
Mozart), catalogue officiel souvent complété par des œuvres de jeunesse
numérotées
42 à 55, voire par d'autres découvertes de temps à autres. Leur authenticité fait
débat ; on considère que
Wolfgang
serait l'auteur d'une soixantaine de symphonies, mais si sa correspondance
où des comptes-rendus de l'époque en font mention, les manuscrits sont
perdus. Les musicologues ont du pain sur la planche…
Mozart
a commencé à écrire dans le genre dès l'âge de 8 ans en 1764 pour y
mettre fin en 1788, trois ans avant sa mort.
Il n'existe pas à ma connaissance d'enregistrement indépendant des 9 symphonies dites "salzbourgeoises", ou du moins une édition d'un grand intérêt. La symphonie N°25 domine nettement le groupe par ses dimensions ambitieuses et sa profondeur préfigurant le romantisme. J'ai réécouté un grand nombre de versions anciennes issues soit des intégrales célèbres (Böhm à Berlin), ou de compilations (Klemperer, Bruno Walter). J'ai été déçu, moins par Klemperer électrisant que par ses confrères. Certes le style de ces grands anciens est d'une grande classe, mais justement là est le talon d'Achille de ces interprétations trop "romantiques". Tout cela a mal vieilli. Ces pages s'étirent de manière impeccable mais monotone ; quid de l'agressivité et la nostalgie du jeune chien fou. Ah ! Une exception et une belle :
Début des années 70, le jovial
Joseph Krips
grave pour Philips les
symphonies 21
à
41
avec le
Concertgebouw d'Amsterdam, il meurt peu après. Le vieil homme redonne fraicheur et vitalité à son
compositeur fétiche, chassant les lourdeurs du style XIXème
siècle encore en vogue. Un coffret de six CD réédité de façon trop
épisodique. On trouve à prix imbattable le premier CD avec les symphonies
21-25. Sans les reprises, le flot musical gagne en concision. Avec
Joseph Krips
la musique se veut chagrine, grave, mais sans excès. Sturm und Drang
mais jamais suicidaire… Du grand art et une prise de son très claire (Philips
– 1972 – 5/6). Voir article consacré aux N° 40 & 41
(Clic).
Le miracle nous vient encore du
Concertgebouw d'Amsterdam, mais en 1983 sous la baguette de
Nikolaus Harnoncourt. Le pionnier du retour aux sources avec des instruments d'époque et des
recherches sur les timbres et le style de jeu à l'époque baroque transpose
ici le fruit de trente ans d'expérience avec un orchestre moderne dégraissé.
La musique virevolte, le staccato syncopé et l'articulation vaillante
restituent comme jamais l'esprit épique et ténébreux de l'ouvrage. Seul
Muti
le concurrence par la finesse implacable de sa battue (TELDEC –
6/6).
Autre très beau disque isolé : celui de
Jeffrey Tate
dirigeant l'effectif réduit et coloré de l'English Chamber Orchestra. Une alternative à
Joseph Krips
grâce aux symphonies 27
et 31
plus élaborées. (Warner – 5/6)
Jeffrey Tate
est l'auteur d'une intégrale remarquable.
(Clic)
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