vendredi 19 février 2021

59 RUE DES ARCHIVES de David Koperhant (2020) par Luc B. comme Blue Note

Vous avez lu hier le superbe article de Benjamin sur John Coltrane, j’en pleure encore d’émotion. Restons dans le thème, parce qu’au Déblocnot on se tient à une ligne éditoriale scrupuleuse, rien n’est laissé au hasard, on bosse sur ce diptyque jazz depuis des mois avec Benjamin. (- m'sieur Luc, y'a encore trois jours vous aviez programmé "Lord Jim" avec Peter O'Toole... - Sonia, fermez-la, et remettez votre masque pour éviter les postillons...)

« 59 rue des Archives » est une émission de radio diffusée le dimanche midi sur la station TSF Jazz. Archives, parce que construite comme des enquêtes, les animateurs revêtent le trench-coat de Philip Marlowe pour aller fouiller dans les vieilles bandes, les vieux vinyles, dénicher des interviews, des documents sonores, et 59 parce que 1959 est la date de sortie du plus emblématique disque de Jazz « Kind of Blue » de Miles Davis. Une galette que d'aucun qualifie de chiante comme un jour de pluie mais qu'il fait bon laisser trôner sur ses étagères quand on reçoit du monde pour avoir l'air cultivé. Je blague. C'est une merveille. Ah oui : la rue des Archives est aussi une rue parisienne qui relie le 3è et 4è arrondissement, et qui longe les Archives Nationales, d’où le nom.

Les créateurs de l’émission ont eu l’idée lumineuse de l’adapter en livre. Et c’est un très bel ouvrage, magnifiquement illustré par les graphistes Diego Flavio Tripodi et Zariel, dans un somptueux noir et blanc, on reste dans la veine du Film Noir et de Marlowe.

C’est un bouquin formidable et passionnant, les 22 articles se lisent comme de petits romans, les auteurs essaient de rendre sur papier le style audio de l’émission. Ils racontent des histoires, celles d’un artiste, d’un lieu, d’un disque, nous entraînent dans des aventures à la fois didactiques et divertissantes, sans tomber non plus dans la vulgarisation. La forme choisie en fait un ouvrage que chacun peut lire, même et surtout ceux qui ne sont pas familiarisés avec la musique jazz. Même les amateurs du genre qui déjà ont planché sur le sujet, parviennent encore à apprendre des choses. A l'instar de la musique rock - disons entre 66 et 73 - où chacun jouait avec tout le monde et inversement, la musique jazz a concentré un nombre incroyable de talents (et de styles) qui partageait les mêmes scènes, clubs, studios.

Le menu est riche de plats, entre incontournables monuments, étoiles filantes et seconds couteaux. Il ne s’agit pas de simples biographies, de pages wikipédia. Les auteurs racontent une histoire, avec un point de départ, un développement, des flash-back, et parfois un happy end. Parfois seulement.

Par exemple, concernant Duke Ellington, on s’intéresse à une tournée en particulier, au moyen orient, fin 1963. Le Duke et son orchestre au grand complet sont en Turquie le jour où Kennedy, lui, était à Dallas. Ils fileront jusqu’en Afghanistan, en Inde, Iran, Irak, Liban… Un parcours dicté par le département d’Etat américain pour diffuser la culture américaine dans un monde largement dominé par les soviétiques, qui ont fait des Chœurs de l’Armée Rouge le bras armé et culturel de leur diplomatie.

Pas question de laisser aux cocos le monopole des grands concerts festifs et populaires « Aaaahhhh… Ka ka lin, ka ka lin, Kalinka » (mes parents pourtant peu portés sur le stalinisme avaient le disque à la maison, c'est dire sa popularité) alors qu’aux Etats Unis il y avait le Jazz, que le tiers-monde était parfaitement en droit de découvrir les biens faits du Swing.

Évidemment, titre de l’émission oblige, le premier article est consacré à l’enregistrement du mythique « Kind of Blue » cornaqué par Miles Davis (et Bill Evans, oublié des crédits et donc des droits d’auteurs… merci Miles !), parmi les incontournables citons Ella Fitzgerald et ses débuts en fanfare dans l’orchestre de Chick Webb, ou le tonitruant batteur Art Blakey qui a embarqué ses Jazz Messengers propager la bonne parole du ternaire, à Paris fin 1958.

On croise Charles Mingus à la sortie d’un hôpital psychiatrique, Franck Sinatra dans un casino de Las Vegas, Clifford Brown et sa trompette magique (et sa voiture tragique) la bossa nova de Stan Getz, mais aussi le jeune Serge Gainsbourg qui poinçonne Porte des Lilas, le blues de Robert Johnson, la chanteuse et comédienne Julie London, les guitaristes Charlie Christian et Wes Montgomery… Que du beau monde.

Les articles se concluent par une sélection de disques raccord avec ce qui vient de nous être raconté, ou sur des ouvrages (auto)biographiques. Pour l'exhaustivité des sources, on se reportera sur monsieur et madame Google. J’espère que si le succès de librairie est au rendez-vous, les auteurs David Koperhant, Bruno Guermonprez et Rebecca Zissmann nous proposerons d’autres enquêtes au cœur du Jazz. Quand on voit que des Louis Armstrong, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Chet Baker, Billie Holiday, Oscar Peterson, Count Basie, Wayne Shorter sont absents de ce volume, ça laisse de la marge !  

Editions Les 3 souhaits, ActuSF, 274 pages (29,90 €). 

Bon, qu'est ce que va va s'écouter, y'a le choix... du classique qui met de bonne humeur, Ella et le Duke.  

   

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