jeudi 14 janvier 2021

LA SORCIÈRE de Marie NDIAYE (2003) - par Nema M.


Sonia regarde Nema en train de s’empiffrer de papillotes en bouquinant :

- Arrête ! Tu vas te transformer en éléphant ! Tu vas avoir l’air d’un gros boudin dans ton pull et ton jean !
- C’est une prédiction ? Tu vois mon avenir, toi maintenant ? T’es pas sorcière que je sache, alors fiche moi la paix…


Marie NDiaye

Lucie est une sorcière. Oh, pas très douée, mais quand même sorcière. Comme sa mère et sa grand-mère. Evidemment, pour moi qui ne le suis pas, c’est un peu difficile de se mettre dans la peau du personnage principal de cette histoire. Je dirais d’ailleurs plutôt un conte qu’une histoire. Heureusement, je n’aimerais pas du tout que Sonia, par exemple, devienne une sorcière et puisse voir et me dévoiler mon avenir…

Lucie a un mari, Pierrot et deux adorables filles, jumelles, Lise et Maud qui ont douze ans. Cette petite famille vit dans un joli pavillon de banlieue, bien meublé, agréable. Quartier comme tous les quartiers de banlieue pavillonnaire, pas très loin de la ville, pas très loin non plus des horribles zones commerciales avec les hangars qui abritent partout en France les mêmes enseignes de la grande distribution. Pierrot est l’un des meilleurs vendeurs du Garden-Club, aimable et sûr de  lui avec son costume gris clair à l’écusson du Club. Il commercialise auprès de gens aisés des séjours de détente dans cet endroit merveilleux et luxueux qu’est le Garden-Club, village de vacances formaté et aseptisé. Cela rapporte bien mais c’est épouvantablement stressant. Et il rentre souvent le soir fatigué et désagréable à la maison. Lise et Maud sont belles, branchées, un peu indifférentes à ce qui ne les intéresse pas directement à savoir la mode, les émissions de téléréalité, la publicité. Elles acceptent quand même d’être initiées par leur mère à révéler leur propre don de sorcière. Et ça marche : sont-elles-aussi de petites sorcières ?

Isabelle est une voisine un peu trop collante. On la voit bien, une parvenue trop grosse dans ses sous-pull et jogging chers, ses Nike hors de prix, apparaître souvent dans la cuisine de la maison après être entrée sans crier gare comme si c’était chez elle, pour consulter Lucie : elle voudrait savoir si son petit Steve (qui a le don de l’agacer en permanence) fera polytechnique ou pas. Difficile pour Lucie qui voit un peu l’avenir mais pas beaucoup. Isabelle est un personnage important dans la vie de Lucie car on la verra au fil des pages jouer un rôle à la fois de curieuse, mais aussi parfois de protectrice (quoique…) vis-à-vis de Lucie.


ma sorcière bien aimée

Il y aura une rencontre d’un soir de Monsieur Matin, à la maison de Lucie et Pierrot. Monsieur Matin quitte sa femme. Enfin, il la quitte sans vraiment la quitter, il a un fils dont il ne sait pas trop quel âge il a 3 ou 4 ans ? Madame Matin vient le chercher. Etrange épisode que la visite des Matin. Pierrot de son côté va partir. Chez sa mère d’abord puis ailleurs, mais il ne reviendra pas. Lucie se pose des questions sur son couple. Les deux petites ados voient la météo du lendemain et si elles vont pouvoir jouer au basket : le départ de leur père ne les tracasse pas plus que ça. Elles sont totalement planantes.

À Poitiers, on fera la connaissance de la mère de Pierrot et de sa jeune sœur Lili (pas triste celle-là). Changement de décors : petite maison de ville, grise, encombrée de meubles. Les jumelles n’aiment pas trop, mais Lucie s’entend bien avec sa belle-mère. Malheureusement cela ne suffira pas à ramener Pierrot à la maison de banlieue. A Paris, autre ville, autres ambiances. La mère de Lucie vit dans un petit appartement au 5ème étage d’un vieil immeuble, fenêtre sur courette, odeur de renfermé et de moisi. Cette mère, grande sorcière en privé mais secrétaire à la ville, s’est mise en ménage avec un homme tout à fait ordinaire, dégoulinant de transpiration dans l‘appartement surchauffé de soleil de printemps. Pas le méchant bougre, ce Robert, grouillot à l’Inspection académique. Il accueille à bras ouverts Lucie et les filles. Mais quand même, pour Lucie le divorce de ses parents était une grave erreur. Elle voudra tout faire pour qu’ils se réconcilient. Elle leur demande à l’un et à l’autre de se retrouver une fois, au bord de la mer, elle a tout organisé, une seule fois pour tenter de réparer cette séparation. Juste une fois. Quête d’un impossible qui n’aboutira pas vraiment au résultat escompté. Lucie visitera son père qui est devenu un parvenu qui se croit de grande classe suite à une promotion dans la compagnie d’assurances où il travaille. Ah, le père, pas triste celui-là. Il y aura une question d’argent. Pas trop propre. Mais chut ! Je ne dirai rien de plus. 


Pauvre Lucie, son monde ne tourne pas rond comme elle aimerait. Pour pallier le manque de revenus lié au départ de Pierrot, elle fera un passage dans l’enseignement de son art divinatoire dans un établissement on ne peut plus folklorique du côté de Châteauroux. Pas concluante cette expérience.

Est-ce qu’une sorcière peut se transformer en corneille et s’envoler dans le ciel ?

 

Excellent roman pour qui aime le genre rêve et fantaisie. Le style est riche mais fluide et très plaisant à lire. Marie Ndiaye est née en 1967 à Pithiviers dans le Gâtinais, d’une mère professeur de lycée et d’un père Sénégalais. Elle écrit déjà depuis de nombreuses années et a été récompensée par de nombreux prix dont le prix Fémina en 2001, le prix Goncourt en 2009 et en 2020 le prix Marguerite Yourcenar.

 

Bonne lecture !

Les éditions de minuits

170 pages 


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