mercredi 20 janvier 2021

BLUES PILLS "Holy Moly !" (2020), by Bruno


     C'est toujours un peu dommage lorsque la formation d'un groupe change. Ce n'est plus vraiment la même entité. D'autant plus quand c'est un compositeur qui tire sa révérence, ou un musicien participant particulièrement à la personnalité du groupe (Certes, pour un batteur, ce n'est pas la même chose ... 😉). Evidemment, de nombreux exemples démontrent que ce n'est pas une fin en soi, que c'est parfois l'occasion d'une régénération, d'un bol d'air frais, d'une évolution. Ainsi, il y a eu bien des résurrections miraculeuses, cependant, d'autres ont perdu une partie de leur âme.  


 Inquiétude totalement appropriée pour 
Blues Pills avec le départ en 2018 du Breton Dorian Sorriaux. Guitariste émérite et compositeur du groupe. Son jeu très marqué par l'époque charnière et bénie, située grosso modo entre 67 et 74, avait une part prépondérante dans la musique du groupe. Un guitariste précoce pour lequel la majorité des gens prévoyait un avenir radieux dans la musique. Peut-être que parti trop tôt, et trop rapidement immergé dans les tournées à grande échelle - il quitte sa Bretagne natale à seize ans pour rejoindre Blues Pills en Suède -, il a eu besoin de se recentrer sur des choses plus sobres et douces. Confessant avoir progressivement plongé dans le folk des années 70, il a pris le risque de quitter la sûreté (précaire) d'un groupe désormais reconnu (en Europe, avec le dernier album n°1 en Allemagne et n° 2 en Suisse) pour repartir quasiment à zéro. Son folk, pur, aux fortes réminiscence de Neil Young (plus particulièrement celui des premières années en solitaire), est d'une fort belle facture.

     Et Blues Pills ? Le départ de Sorriaux n'a heureusement pas entraîné la mort du groupe, qui en a juste profité pour prendre une longue pause bien méritée. L'épuisement total étant proche. De même que de faire le point sur les années passées et envisager l'avenir. C'est l'occasion de s'offrir le luxe d'un studio personnel (le Lindbacka Sounds construit dans une usine désaffectée, perdue dans la province de Närke, en Suède) où les membres restant vont composer et élaborer leurs nouvelles chansons. Tranquillement, sans pression et sans censeur, car, d'un commun accord et dans un souci de liberté musicale, ils décident de se passer de producteur et d'ingénieur du son. C'est tout naturellement, au fur et à mesure que les démos étaient couchées sur bandes, que Zack Anderson, - membre fondateur avec Elin Larsson -, a repris le poste de guitariste. Composant déjà à la guitare depuis les débuts du groupe, le processus ne s'est pas fait dans la douleur ; si ce n'est pour les soli qui lui ont demandé un certain investissement. Moins Bluesy (bien qu'étant un grand fan de Peter Green), plus "garage", un rien "Detroit sound 68-73", Zack se délecte de sonorités distordues, baveuses et crépitantes engendrées par diverses fuzz aux consonnances vintage. C'est parfois au bord de la rupture. Le style de grattes de prédilection de Zack semble aussi se rapprocher des modèles vintage équipés de micros simples. La Fender Stratocaster fait aussi partie de son arsenal et il parade avec une antique Hofner 173 de 1963. Ce qui change radicalement avec Sorriaux qui était très orienté Gibson. A l'exception d'une Corsa LCPG montée de deux P90 (1). Probablement celle de Dorian.


   On pourrait aussi dire que l'album lui-même nage dans le vintage avec son grain patiné dû également au matériel d'enregistrement, entièrement vintage. La seule concession au numérique a été faite pour le mixage ; ce dernier effectué en partie par Andrew Scheps.

     Ô, agréable surprise. A l'écoute de "Holy Moly !", on se demande si, finalement, le quatuor ne s'en est pas relevé grandi. Certes, peut-être pas au niveau technique de la guitare, mais dans l'ensemble. Plus resserré que jamais, l'orchestration fait corps. Alors qu'auparavant la guitare aimait se détacher de temps à autre pour quelques envolées scintillantes, ici, plus généralement les instruments fusionnent pour ne faire qu'une seule entité. Ce qui procure alors une force de frappe et de pénétration plus solide. Plus que jamais, quand Blues Pills veut ruer dans les brancards ; ça le fait et pas qu'un peu. Une troupe déterminée et impassible. "Low Road" et "Dreaming My Life Away" en sont les meilleurs représentants. La bande a fait un pas dans la douce violence musicale. Pas particulièrement agressif aux esgourdes, les fréquences aigües n'ayant pas la faveur des belligérants. La tonalité restant un héritage du proto-hard et du Hard-blues 70's. Voire d'un Stoner tempéré et satiné. En fait, la troupe semble vouloir tranquilliser la fan base en dégainant d'entrée trois petites bombes offensives. Avec un "Proud Woman" que l'on pourrait juger de féministe, justement placé en entrée à l'attention des misogynes (notamment ceux qui regrettent qu'il y ait une chanteuse dans Blues Pills... y'en a. Le groupe en ayant quelquefois fait les frais).. Un "Low Road" nerveux et échevelé - qui démontre au passage que Zack n'a aucunement usurpé sa place - et un "Dreaming My Life Away" foncièrement dans la mouvance Hard 70's.

     Du très bon boulot qui apaise les craintes, rassure quant à la santé et aux ambitions du quatuor et décrasse rigoureusement les cages à miel. De plus, à partir de "California" - le quatrième titre -, Blues Pills paraît se libérer, déployer ses ailes en s'engouffrant dans des chemins à peine entamés précédemment. En fait, la bande ne fait que reprendre là où elle s'était arrêtée avec l'excellent "I Felt a Change" et "Gone So Long", avec toutefois une différence capitale : Elin a gagné en maturité, en justesse et en pureté. C'est comme si elle s'était affranchie de quelques chaînes psychologiques. Elle a étendu ses ailes et s'est envolée. Tandis que la guitare, s'épanouissant désormais dans des sonorités cradingues, tranche délicieusement avec la clarté et la puissance de la voix d'Elin. 


   Cela pourrait paraître dithyrambique, mais il y a certains rares moments où Elin évoque l'icône Janis Joplin. Pas précisément dans le timbre et le grain de la voix, mais à travers quelque chose d'intangible et de fugace. Comme un instant magique où elle serait involontairement le médium d'un passé glorieux. L'intonation peut-être, ou bien un mojo analogue. C'est d'autant plus délicieux et rafraîchissant que le trait n'est jamais forcé - au contraire de tant de consœurs qui s'efforcent de cultiver l'affiliation, frôlant ou tombant même alors dans la caricature ou dans la simple imitation -. C'est comme si l'on retrouvait sa fragilité d'écorchée-vive. De brefs mais marquants instants, encouragés par une orchestration ad hoc. Les quelques éclats de voix sur "California" évoqueraient même brièvement Aretha Franklin (grosse influence d'Elin).

     Dans le style, "Dust" est une petite merveille de Soul sombre et désabusé, aux couleurs de clubs cafardeux et de lendemains miséreux. Les chœurs masculins des deux demi-frérots marquent la mesure comme s'ils étaient natifs d'Harlem. Rappelons qu'Elin avait choisi l'option "Soul" pour son éducation musicale au collège. "Dust all over, all in my way. I got no reason to stay in this cold hard world. Greys fill up the sky without sound. You're wandreing off just to die in this cold hard world. The truth we struggle to keep locked inside, 'cause no one should never deny or know our worth.

   Ou encore "Wish I'd Known", avec une Elin charmeuse,  Tandis que sur "Song From A Morning Dove" elle se transforme en fée des sources pour parler de perte et d'incertitude, avant de subitement se laisser submerger par la colère et se muer en skjaldmö, haranguant les dieux, tempêtant son ressentiment à la suite de la perte d'un être cher. (Le groupe a effectivement perdu un ami proche pendant leur pause). Et pour finir, "Longest Lasting Friend", slow amer, vaguement Stonien avec quelques vagues réminiscences de Duffy, quasiment chanté a capella sur un arpège répétitif et ondulant de guitare (au parfum de Fender Vibrolux). "Old depression, seems like you've been my longest lasting friend."


   Avec ces chansons, Elin Larsson dévoile sa nature féérique. Celle d'une huldra, usant de musique pour ensorceler ses proies.

    Evidemment - et heureusement - Blues Pills n'a pas perdu la main pour pondre de savoureux morceaux d'essence Hard 70's. "Rhythm In The Blood", entraîné par la batterie dans une danse frénétique, la guitare écrasée par une fuzz bourdonnante, mâchouillant les notes, "Kiss My Past Goodbye" où fleurissent des wah-wah comme des pâquerettes dans un champ verdoyant au printemps, et l'impétueux "Bye Bye Birdy" martelant le rythme comme des troupiers au pas de l'oie, ébranlé par un chant de guerrière dans la bataille. De quoi remuer les plus indolents. 

     Avec une interruption discographique de quatre années et, à cause de crise sanitaire internationale, l'absence de concert depuis plus d'un an, il y avait de quoi avoir raison d'un jeune groupe. Ainsi, les Suédois n'avaient pas droit à l'approximatif, le passable, le faux-pas, au risque que cela soit l'élément complémentaire signant leur perte. Or, "Holy Moly !" arrive à point nommé pour relancer et pérenniser leur carrière. C'est à la suite de multiples et attentives écoutes que le verdict s'impose : "Holy Moly !" s'avère à ce jour, être la meilleure réalisation du groupe. La maturation a été longue mais le résultat est là. Et il y a de quoi en être fier. Un bien bel album.



 (1) Larry Corsa a commencé par confectionner des guitares pour essayer de retrouver la tonalité déphasée de "Greeny", la Gibson Les Paul de Peter Green. Depuis, il s'efforce essentiellement d'élaborer des guitares renouant avec le meilleur des Gibson Les Paul ; soit, à son avis, celui de la Les Paul Standard Faded avec quelques guitares antiques d'exceptions comme "Greeny".



💊

3 commentaires:

  1. Ces deux chansons me rappellent un peu le groupe Red Beans, des gars de Toulouse, que nous avons chroniqué ici même. Surtout sur le chant (deux chanteuses certes, mais tout de même) et les compositions. Moins sur les arrangements, puisque les Red Beans ont un clavier très présent. Mais on retrouve cette atmosphère, ce même élan vers ce rock 70's légèrement heavy et psychédélique. C'est fou quand même, que ce style musical inspire toujours autant, et tant de monde. Bon, la réponse est toute simple... C'est l'âge d'or du genre !

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    1. "L'âge d'or du genre"... C'est un terme que me vient souvent à l'esprit, mais que je n'ose utiliser en pensant que c'est peut-être un sentiment générationnel. Bien que notre propre génération soit plutôt concernée par la décennie suivante. Pourtant, effectivement, tout porte à croire qu'il s'agit bien d'un "âge d'or". Peut-être parce que les artistes avaient encore une certaine - relative ? - liberté d'écriture, et surtout parce qu'ils n'étaient pas encore enchaînés à des formats.
      Aujourd'hui, certains labels indépendants, internet et surtout la possibilité de s'autoproduire et d'enregistrer sans passer nécessairement par un coûteux studio, changent la donne. D'où ce "retour" à une musique affiliée aux 70's.

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    2. Ha, ouais, effectivement, Red Beans & Pepper Sauce. Bien vu. Des bons ceux-là. Vraiment bons.
      J'comprends pas qu'ils ne soient plus connus. Encore du "chauvinisme" parisien 😁

      Tout de même quelques différences avec Blues Pills, ce dernier reste plus Heavy et n'use pas encore d'ingrédient funky.

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