jeudi 24 décembre 2020

SLY AND THE FAMILY STONE "There is a riot goin on" (1971) par Benjamin

 


Sly Stone a baigné dans la musique dès sa plus tendre enfance. Comme tous ses frères, il commence vite s’initier au maniement de l’instrument. Mais, alors que toute la fratrie se trouve rapidement un instrument de prédilection, le jeune Sly s’avère aussi doué à la guitare qu’à la batterie et à l’harmonica.

Nous sommes en pays catholique, et la famille du jeune homme est très pieuse, ce qui permet à Sly d’ajouter une nouvelle corde à son arc. Inscrit dans la chorale de son église, il y trouve le secret de cette ferveur mystique, qui fait la beauté de la musique afro américaine. L’air du temps va rapidement le détourner des chants pieux, pour lui permettre de vivre l’âge d’or de la musique pop.

Les 50's sont un véritable cataclysme, avec Elvis comme œil du cyclone. L’homme au déhanché sulfureux attire la jeunesse, peu importe sa couleur de peau, dans les filets somptueux tressés par les musiciens noirs.  A une époque où l’apartheid impose une stricte séparation des races, voire de jeunes blancs se promener avec un disque de Chuck Berry sous le bras est une révolution salvatrice. Ces mêmes blancs becs ne tarderont pas à se presser aux concerts de BB King et Muddy Waters, offrant ainsi un second âge d’or aux pionniers.

Alors qu’il n’a que 9 ans, Sly enregistre un premier album de gospel en compagnie d’un de ses frères. Le disque est anecdotique, tant au niveau des ventes que du contenu, mais il lui met le pied à l’étrier. A l’époque, les radios ont besoin de DJ pour suivre les évolutions d’un marché du disque en plein âge d’or. Là, Sly Stone diffuse ses perles funk, blues, gospel, et fait partager son admiration pour la british invasion en cours. Cette programmation n’est pas anodine, et montre toutes les racines qui irrigueront son œuvre.

Justement, un de ses collègues DJ cherche un musicien pour son label dédié au nouveau son de San Francisco. D’abord voué à une folk utopiste, le son de la baie est en train de muter. C’est l’histoire qui s’écrit sous les yeux du jeune musicien, le Grateful Dead cherche les fameuses portes de la perception dans de longues improvisations hallucinées, et The Beau Brummels repoussent les limites de la pop hypnotique initiée par Revolver.

Alors Sly rappelle son frère, et forme un groupe fait de femmes et d’hommes, de noirs et de blancs. Cette composition n’est pas anodine, Sly a les mêmes idées qu’une jeunesse qui aimerait laver l’Amérique de la tache puante de la ségrégation  raciale. Le jeune musicien a créé un portrait de son époque, et va en écrire la bande son à grands coups de funk tubesque, de soul pour gobeur d’acides.  

Après un premier album passé inaperçu, Sly and the Family stones posent les bases du funk moderne sur « Dance to the music » qui sort en 1968. Le succès du disque lui permet d’obtenir sa place à la grande messe hippie de Woodstock, où le groupe offre une prestation qui le fait définitivement entrer dans la légende. Boosté par cette consécration scénique, stand, son troisième album, atteint rapidement le sommet des ventes. Le disque est le sommet de cette fusion entre pop blanche et musique noire, que Sly avait imaginé en entendant les premiers succès anglais. Le sommet est atteint mais le groupe semble déjà se désagréger.

Et, si Sly fut le bâtisseur de la gloire de son groupe, sa proximité avec les mœurs de son époque est en train de désagréger ce qu’il a bâti. C’est que l’idéal hippie semble déjà avoir vécu. Las de se voir maltraité par un pays qui leur impose une vie de mendiant, une partie des afros américains suivent les théories vaseuses du black panther party.

Même à l’époque, le Black Power ressemblait un peu à un nouveau racisme, avec ses milices armées dignes des pires juntes militaires. En adhérant à cette vision plus belliqueuse de l’anti-racisme, Sly n’avait fait que suivre les changements en cours, et les exprimer à travers sa musique.

Certains titres de « Stand » (1969) font déjà écho à ce communautarisme radical, mais il trouve sa véritable expression sur ce « There is a riot goin on », qui est une réponse prophétique au « What’s goin on » de Marvin Gaye. Les propos ne prêchent plus l’amour et la tolérance, ils demandent aux afro-américains de prendre les armes pour imposer leurs droits. Pour exprimer au mieux cette rage, la musique met de côté ses influences anglaises, pour se concentrer sur la soul, le gospel, et le blues. Ce faisant, elle devient une arme bien plus puissante que les diatribes sulfureuses qu’elle soutient.

La fête démarre sur un tempo à faire danser les morts. Propulsée par ces rythmes sensuels, la guitare groovy de « Luv n' Haight » rend justice au trop décrié Band of Gypsys. Puis vient « Just like my baby », un groove vicieux et chaleureux, une mélodie lascive à vous hérisser le poil. Cette chaleur a un goût auquel Sly ne nous avait pas habitué, elle semble sortie des instrumentaux cotonneux de Miles Davis. C’est que le jazz s’est invité à la célébration, et les cuivres donnent à un titre comme « Family affair » un feeling plus cool que Steve McQueen. Ces mélodies, c’est la grandiloquence de Marvin Gaye et la chaleur du jazz s’enlaçant dans une ambiance de bar louche. Et, quand la cadence s’accélère, c’est pour représenter cette symbiose de toutes les musiques noires de façon plus virulente.

La batterie tribale s’enroule alors dans des solos chauds comme le soleil brûlant l’herbe des grandes plaines africaines. Ike Turner et Billie Preston sont aussi de la partie, ils ne pouvaient rater un tel festival groovy. Avec cette formation trois étoiles, même une mélasse hallucinée digne d’un sous Spirit (« You caught me smilin ») sonne comme un grand trip acide au milieu d’un bar funk.       

Toute la musique noire se déverse ainsi dans une grande messe Voodoo, une fiesta mystique, porteuse de toute la tension d’une époque prête à s’embraser.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire