mercredi 23 décembre 2020

BLOOD QUANTUM ( 2019 - 2020 ), by Bruno



     C'est l'époque des films familiaux. Des films à l'eau-de-rose, bourrés de bons sentiments, de fraternité, de paix, d'altruisme et d'abnégation. Des contes de fées à des années lumière de la réalité. Une bonne part de ces films de fin d'année font aussi en sorte de nous rappeler notre devoir d'aller faire chauffer la carte de crédit, en priant qu'il n'y ait pas de malencontreux imprévus, et de gâter des bambins souvent inconscients de leur chance. De nous rappeler de nous gaver de bonne chère, de boire autre chose que de l'eau (avec modération). Un moment fait pour oublier tous les soucis (croissants ?) de la vie. Histoire de recharger les accus, de sortir un court instant d'une insidieuse déprime, avant qu'elle n'ait raison de soi, pour être de nouveau pleinement opérationnels, productifs pour la nouvelle année à suivre. 

     Bref, dans la série des films à voir en famille, les soirs de fête, un petit divertissement qui a du mordant. Mais pas que.


     Cela débute en 1981. Une borne temporelle pour les films du genre. Mais effectivement, qu'est-ce qu'il y avait dans l'air cette année là ? Y aurait-il eu une conspiration de la CIA pour foutre la trouille à la population afin qu'elle se confine d'elle-même ? Qu'elle s'auto-"couvre-feu" à la tombée de la nuit ? On rigole, on rigole, mais en 1981 le psychopathe Lucio Fulci réalise trois films de tordus sortis au milieu des "Cannibale Féroce", "L'Aube des Zombies", "Ghost Story", "Messe Noire", "The Entity", "Hurlements", "Possession", "Vendredi 13 - 2", "Loup-Garou de Londres", "Scream", "La maison du cauchemar", "Halloween II", "La nuit du saigneur", "Wolfen", "La ferme de la Terreur", "Massacre dans le train fantôme", "Une nuit infernale", "La maison près du cimetière", "La soupe aux choux", "Carnage", "Scanners," "Happy Birthday", "Meurtres de la St. Valentin", "Inseminoïd", "Réincarnations", "Venin", "Effroi", "La main du cauchemar" d'Oliver Stone, "La Malédiction finale". Sans oublier que c'est l'année d'Evil Dead ! Ha ! Ha ! Et j'en passe. Et ça ne concerne qu'une partie des productions ricaines. Ouch. Un vent pervers devait souffler dans les méninges des cinéastes. 

     Donc, en 1981, dans un décor bucolique et calme, invitant à la sérénité, un homme revient de sa pêche matinale et éviscère ses saumons, quand... l'un d'eux, consciencieusement évidé, commence à frétiller. Prestement imité par toute la poiscaille. Consternation. Suit d'autres étranges comportements suivit par un policier natif aux larges épaules et à la mine impassible, arborant fièrement ses nattes. Il vide son revolver sur un clebs qu'il avait dû achever quelques instants plus tôt. Un appel d'un autochtone se plaignant d'un blanc venu bouffer cru ses poulets. "S'il revient, il lui arrache la tête". Un poivrot qui vomit sang et boyaux en cellule de dégrisement, se jette toutes dents dehors sur policiers et prisonniers. L'inquiétude et l'incompréhension monte en intensité jusqu'à plonger dans l'horreur, et n'en plus ressortir. C'est le moment où, la nuit tombée, suite à des plaintes de voisinage, il va retrouver un vieil ami souffrant d'une réputation d'homme noyant ses soucis dans l'alcool. Son épouse, blanche, reniée par le voisinage, vient d'avoir un bébé.

Traylor, le shérif (interprété par Michael Greyeyes) : "Mo ! Qu'est-ce que tu as encore pris ?! Où est ton épouse ?"

Mo, hagard, tremblant, pleurnichant "Elle... Elle a dit que le bébé devait manger dans sa bouche"

     La scène est immergée et saturée d'une lumière rouge - les gyrophares et les lumières tamisées de la maisonnée -, bornant ainsi la nouvelle étape qui projette le spectateur dans la folie, un infâme cauchemar. Le règne du sang. La mère, à l'étage, dans une pièce dénuée de confort, dévore son enfant... Suit les clichés du gore - heureusement, sans s'y attarder - avec l'incursion de la fameuse tronçonneuse. "chaîne neuve".

     C'est le début d'une fulgurante pandémie qui va mettre le monde moderne à genoux. En quelques mois, le continent Nord-Américain retourne à l'état quasi sauvage... Fini le téléphone, les ordinateurs, la télévision, les jeux vidéos. Le temps est désormais consacré à la survie ; à éviter de se faire becter par une horde de zombies pas finauds pour un sou mais mortellement boulimiques, et à trouver de la nourriture dans un monde où plus personne n'assure le transit des biens de consommation de première nécessité. Dans un monde où on ne sait plus cultiver, ni même trouver de quoi manger dans la nature. 

     La réserve de Red Crow a créé un sanctuaire cerné de hautes barricades, qui accueille aussi le voisinage non-amérindien. Les natifs, seuls immunisés, servent de protecteurs et de chasseurs. Dans ce monde de chaos, les natifs sont parvenus à recréer un semblant de vie sociale. Toutefois, il est tout de même fortement recommandé, pour toutes virées extérieures, de s'équiper de flingues, munitions et diverses lames bien coupantes. Il y a de l'espoir. Mais la fin viendra de l'homme blanc. De son égoïsme, de son manque de discernement, de son individualisme forcené et de sa stupide loi du talion.

Chacun son style

   Mais qu'est-ce qui différencie ce long-métrage des autres pellicules de zombies, particulièrement en vogue depuis quelques années ? 

     Pour commencer, il y a l'environnement. Derrière le cadre rural offert par les premières séquences, qui invitent à croire à une vie paisible, c'est celui d'une réserve amérindienne avec toutes les difficultés et la misère inhérente. Le ciel d'un gris hivernal renforçant une atmosphère inconfortable et indigente. Les natifs ne sourient pas, sinon pour marquer leur sarcasme ou leur dépit. Leur visage sont fermés. Leurs barraques sont parfois faites de bric et de broc, et leur lopin de terre est abandonné, envahi de diverses carcasses, d'herbes folles et autres cadavres de biens matériels. Un fouillis où il n'y a pas de place pour l'espoir et la plénitude. On nous envoie insidieusement en pleine face la paupérisation imposée aux natifs. Et la souffrance qui en découle. Certains l'acceptent comme une fatalité et d'autres adoptent une rébellion aveugle, se retournant contre eux-mêmes et leur communauté.

     C'est aussi une revanche fantasmée. Ou plutôt un cauchemar, car finalement personne n'en sort indemne. Une revanche, car le sang des amérindiens les immunise contre le virus. Ils peuvent être mordus à maintes reprises sans être contaminés. Ce qui n'évite pas la douleur ou pire, se faire becqueter tout cru, vivant, et sans anesthésie ! Bobo. Un juste retour des choses, des siècles après que des centaines de milliers - des millions (1) - aient péri du typhus, de la variole, de la grippe, du choléra, de la rougeole. De ce que l'on définit comme le choc épidémiologique des Indiens d'Amérique. Aucune précision quant à la source de ce nouveau mal, cependant, d'après de courts interludes animés et muets, il se pourrait que cela soit le courroux d'un esprit de la Terre (la Terre Mère ?), lassé d'être brutalisé et violé par une industrie vorace et destructrice. Sinon, simplement, la somme des déchets industriels, d'une société étouffée par son consumérisme, pollution rejetée négligemment dans l'atmosphère. Possible métaphore d'une civilisation considérée comme destructrice, corrompue, d'un mal qui finit par se retourner contre lui-même. Par s'auto-détruire.

"Peut-être que la Terre nous a juste oubliés"


   Mais il y a aussi le tableau poisseux d'une communauté qui se déchire. Pas directement, pas physiquement, mais en étant engluée dans un profond mal-être qui va jusqu'à diviser les familles. Un malaise devenu ancestral engendrant une rébellion stérile qui, ne pouvant ébranler, ni même chatouiller le monde extérieur - celui des conquérants -, finalement se retourne contre elle-même et blesse les proches, la collectivité. Ainsi que le rebelle lui-même ; un suicide psychologique. Ses dissidents, n'ayant aucune foi envers les autorités, se referment sur eux-mêmes et développent une forme, non pas de racisme au sens propre, mais une sorte de haine viscérale envers les non-amérindiens. Incluant une méfiance envers les natifs travaillant pour le système. L'alcool étant un excellent vecteur - produit et vendu par... - pour exacerber les sentiments négatifs ou s'enfoncer dans l'abattement et la déprime.

     Alors ? Un joyeux documentaire sur l'Art de la boucherie en mode survival, sur différentes façons artisanales d'occire un agresseur à l'hygiène buccale douteuse avant de se faire gnaquer, ou un film sociétal ? Les deux. Jeff Barnaby qui est bien probablement un sérieux cinéphile en matière de survie post-apocalyptique et de "morts-vivants" - vu tous les poncifs et clins d'œil qui ne cessent d'émailler la pellicule -, en profite pour placarder en toile de fond l'affliction d'une communauté en souffrance. D'une communauté qui a le choix entre se fondre dans la masse, au risque de perdre son identité, ou être refoulée, confinée dans un lieu en retrait, un lieu qui n'offre aucun intérêt pour promoteurs et autres industriels. Pour accéder à la réserve, il faut d'ailleurs traverser un long pont. Comme pour mieux marquer le séparatisme imposé. Cependant, ce pont a aussi une histoire capitale pour la communauté Mi'Gmaq. Pratiquement un emblème de la lutte de la communauté Mi'Gmaq pour ses droits. C'est celui qu'elle a bloqué en 1981, lorsque la police québécoise est intervenue dans le territoire concédé aux natifs, pour imposer et faire respecter une nouvelle législation sur la pêche au saumon. 

Faut pas faire chier le vieux

   Le réalisateur, Jeff Barnaby, est lui-même un natif, d'origine Mi'Gmaq. L'une des premières nations d'Amérindiens ; précisément du Nord américain. Barnaby, né dans la réserve Québécoise des Listuguj, de la péninsule de Gaspésie, s'efforce d'évoquer dans son travail la mémoire et les difficultés, les injustices dont sont encore victimes les Amérindiens. A l'heure où l'on parle et où l'on met en avant les problèmes de diverses "minorités", on fait bien peu état des crimes qu'ont subit les peuples d'un vaste continent. Des injustices qu'ils subissent encore, des actes de racisme, des violences et des injustices. (l'authentique collège autochtone de Red Crow a été incendié en 2015). 

     Au milieu d'acteurs amérindiens du Canada, fiers de leur culture et de leurs origines, on retrouve Elle-Máijá Apiniskim Tailfeathers, née d'un père Sami (peuple autochtone de Scandinavie) et d'une mère Blackfoot de la réserve n° 148, Blood Reserve, qui, non seulement à travers sa carrière d'actrice mais aussi de cinéaste (documentaires), s'investit pour la justice sociale, le droit des femmes et la reconnaissance des peuples autochtones. 

     Pour fond musical, outre quelques musiques ethniques amérindiennes, Barnaby a sélectionné deux excellents titres de Blues vaudous, de Hill country blues, en totale osmose avec l'ambiance de son film : "She Came Onto Me" de Black Joe Lewis & the Honeybears et "We Made It" de Cedric Burnside.

     A savoir que le film n'a pas fait l'unanimité. Certains critiques le jugeant trop simpliste. Il est vrai que les films de zombies sont particulièrement réputés pour leurs dialogues recherchés - entre Audiard et Ken Loach - et leurs scénarii dignes du prix Pultizer 😉. Certes, on peut considérer qu'il y a quelques longueurs, néanmoins, rien n'est gratuit dans ce film. Les amateurs de gore, à cause d'un faible débit d'hémoglobine, - les séquences sanguinolentes sont finalement parcimonieuses -, pourront être déçus. Quand d'autres considèrent que l'histoire n'est pas assez claire...


(1) Il n'est pas dit que les chiffres avancés relatifs aux épidémies dues aux maladies européennes importées involontairement par les colons, permettent d'atténuer l'importance des génocides.



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