mercredi 9 décembre 2020

RAINBOW "Down to Earth" (1979), by Bruno



     Probablement le plus mal aimé des albums de Rainbow, après "Stranger in Us All", le disque de la reformation de 1995 -. Ou du moins, aujourd'hui l'un des oubliés car à l'époque, l'album avait tout de même fait mieux en matière de ventes que son prédécesseur, "Long Live Rock'n'Roll". Cela en dépit de critiques acerbes ou mitigées de la part de la presse. Pour la première fois, Rainbow parvenait à produire deux singles qui s'incrustaient - timidement - dans les charts. 

   Certes, ce n'est dans le répertoire du magistral "Rising" que l'on aurait pu extraire un titre potentiellement radiophonique et vendeur. Et pourtant, quel album ! 


   "Down to Earth" se présente comme l'album à part de Rainbow. Un léger égarement pour certains, un renouveau pour d'autres, voire une transition, mais surtout c'est le seul à ne pas présenter de continuité. Le seul où le chanteur n'a pas eu droit à un nouveau mandat. Par une étonnante coïncidence, l'album s'insère entre les deux périodes phares de Rainbow. Entre la première avec Dio et la seconde avec Turner. 7 albums, deux périodes de 3 disques studio et 1 album intermédiaire. En omettant la période de la reformation de 1994.

     Evidemment, avec la forte personnalité de Ronnie James Dio, son départ - un peu précipité - entraîne forcément des changements prépondérants. Auparavant, il sent le vent tourner lorsque Blackmore lui demande de laisser  de côté ses contes et légendes, son univers d'heroic-fantasy, pour écrire des chansons plus romantiques, traitant d'amour et de peine de cœur. Ce que Dio refuse catégoriquement, et ce qui le conforte dans son envie de partir en quête de nouvelles contrées, plus favorables à ses histoires d'enchanteurs, de dragons et de sorcières. De menues dissensions avaient déjà éclos, ce qui se ressent sur un "Long Live Rock'n'Roll" inégal, semblant dépourvu de motivation. Dio va rapidement trouver refuge au sein d'un autre groupe Anglais, Black Sabbath. Nouvel engouement, nouveau succès, nouvelles crises d'ego et dissensions, et nouveau départ... 

   De son côté, Blackmore confesse qu'après le troisième album, il n'y avait plus de communication. Que Dio avait changé. Roger Glover, sollicité initialement en sa seule qualité de producteur, devant alors faire l'intermédiaire entre les deux fortes têtes.

      Ritchie Blackmore souhaite passer à autre chose, changer peu ou prou de registre. Néanmoins, sans quitter le giron du heavy-rock. Serait-ce une tentative pour séduire à nouveau des radios qui jusqu'à présent se soucient bien peu de Rainbow ? C'est fort possible. De plus, si Rainbow est déjà un poids lourd remplissant aisément les salles, et si ses disques se vendent plutôt bien, de l'autre côté de l'Atlantique, le succès est bien loin d'égaler celui dont profitait Deep Purple quelques années auparavant. En aparté, Whitesnake qui comporte alors le plus d'ex-Deep-Purple au m², ne fait pas le poids avec la bande de Blackmore. Surtout hors des frontières du Royaume-Uni (Coverdale & Co ne commenceront à percer en France qu'en 1980, grâce au double "Live in the Heart of the City". Et par contre vont devenir de sérieux concurrents fin 82. Tandis qu'aux USA, il leur faudra attendre 1987).

   Toutefois, on peut douter d'un revirement uniquement causé par la cupidité d'un homme qui a auparavant préféré quitter l'un des plus gros groupes de Hard-rock - tant en notoriété qu'en terme de ventes - pour tenter sa chance avec un nouveau projet, plutôt que de jouer une musique avec laquelle il estime ne pas être en phase. La fierté ou la frustration, voire la mégalomanie, seraient plus crédibles, sachant qu'en Amérique du Nord, après avoir connu les foules des stades il doit désormais se contenter de salles plus modestes. Ou parfois devoir se contenter de servir de chauffe salle de luxe pour autrui (dont le mollasson REO Speedwagon, où le guitariste devait être parfois soutenu par un mercenaire caché derrière le rideau)


     Mais il y a autre chose. Depuis quelques temps déjà, lorsque qu'on lui demande ce qu'il écoute chez lui, l'homme en noir répond avec le plus grand sérieux du monde qu'avec la musique classique, dont il avoue s'inspirer depuis des années, il écoute le quatuor suédois ABBA. Un nom qui a la stupéfiante faculté, tel un puissant sort, de figer d'effroi le plus intrépide des rockers et des hardeuroqueurs. Ou de lui faire prendre la poudre d'escampette. Il apprécie ces chansons facilement mémorisables, pouvant aisément être chantonnées. Blackmore voudrait bien trouver le secret de ces chansons simples, mélodiques et mnémoniques. Cela l'inspire.

   Pourtant, bien loin de la Pop fagotée, niaise et un peu disco sur les bords, ce nouvel album débute avec un titre franchement Rock'n'roll, emmené par un riff carré et rugueux (le crunch ébouriffé du micro chevalet poussé de la Stratocaster), sur lequel s'époumone le nouveau chanteur. Si effectivement, l'approche de la section rythmique de "All Night Long", voire du refrain, pourrait s'apparenter à de la Pop (tout de même bien abrasive), le conditionnement de Blackmore le plonge dans le Heavy-rock (tendance Rock'n'roll granuleux et gauchement guindé). Sacré Blackmore ; vraiment impayable. 

   Et que dire de "Eyes of the World", qui n'est pas particulièrement romantique. "Je vois l'innocente victime se battre pour arriver à sa porte... Le Mal prend, le Mal tue sans honte ni souci. Tue-moi ! Te tuer ! Regarde la fin de la brûlure. ...Si seulement tu pouvais voir les larmes et la douleur dans les yeux du monde... Et au nom de la religion, pour la haine dans notre âme, pour les aveugles et les malades du cœur, la guerre a pris son dû...". Le morceau n'aurait pas démérité sur le fougueux "Rising". Tout comme "Danger Zone". Certes, là, ça parle d'Amour. "La quête de l'Amour est une zone de danger..." - Là, Glover a dû écrire les paroles d'un trait, sans prendre la peine de se relire, après quelques verres de vin... 😁-  mais le traitement n'a rien de commercial. A l'exception de la basse, si on est pointilleux. Elle est ici sautillante et guillerette.

   "No Time To Loose" ? Ce n'est rien d'autre que du pur Heavy-rock'n'roll, dans le genre qu'appréciait justement Elf, (1). Tandis que le tempo relativement élevé de "Lost in Hollywood" en ferait presque un "proto-NWOBHM".

   Et "Love's No Friend", le slow-blues purplelien, qui paraît s'être échappé de "Burn". Pratiquement une relecture de "Mistreated" ; ça suinte le Blues et la Soul les plus moites et défaitistes.


   Sinon, il y a bien le lancinant "Makin' Love", qui a bien dû faire sourire Glenn Hughes et Coverdale, tant c'est marqué par la Soul. Blackmore démontre qu'il est toujours un grand mage de la guitare, sachant avec quelques accords basiques insuffler une mélodie sensuelle. Son solo concis à la slide fait aussi preuve d'une grande expressivité. D'ailleurs, en terme de solo, il n'a jamais été aussi sobre, se contentant d'une poignée de secondes - voire d'une seconde plage - pour s'exprimer pleinement. Pour le coup, il y développe de courtes envolées typées, marquées au fer rouge de ses initiales, renforçant le climat de la chanson. Plutôt que celui de son ego. Ceux de "Eyes of the World" (avec une slide orientalisée par le vibrato) et de "Since You Bee Gone" sont remarquables.


   Mais pour revenir aux morceaux potentiellement commerciaux, il y a surtout "Since You Been Gone".  La reprise de Russ Ballard qui a convaincu Cozy Powell qu'il était temps d'aller voir ailleurs, retrouver des climats plus sauvages où l'on fait encore parler la poudre avec méthode et force. Ce morceau l'insupportait tant qu'il aurait même refusé de faire une énième prise en studio. Cela bien que la version de Rainbow soit durcie. Des années plus tard, il semble pourtant prendre plaisir à l'interpréter avec Brian May, qui l'avait intégré à son répertoire scénique (de l'eau avait coulé sous les ponts). Le traitement de Blackmore, combiné à la voix de Graham Bonnet, en font un pur instant de Heavy-rock carré et mélodique, une version définitive qui va en inspirer plus d'un. C'est le premier vrai hit de Rainbow.

     Heureusement que Bonnet, qui était parti en Australie faire carrière, n'était pas encore connu en Europe. Avec son premier groupe, The Marbles, il avait bien eu un premier succès en 1968 au Royaume-Uni, avec "Only One Woman", mais on a plus retenu le nom du groupe que celui des musiciens. Dans le cas contraire, on aurait cru Blackmore atteint de sénilité précoce. Lui qui avait reproché à Hughes et Coverdale d'avoir fait dériver son Purple vers le Funk, le voilà qui embauche un "Robert Palmer low-cost" qui commençait à dangereusement déraper vers le disco 😱. Un poseur de première, revenu en Albion pour élargir son public.

     Néanmoins, l'homme en noir a su déceler son potentiel (2). Son premier vinyle éponyme de 1977 dévoile une force latente apte à développer une forme de Heavy-rock entre chrome et métal, teinté de Soul virile. Etonnamment, en dépit d'un bagage totalement différent, il y a alors dans le chant de Graham Bonnet de fortes réminiscences de R.J. Dio. Toutefois, là où ce dernier chantera toujours avec une aisance naturelle les registres les plus hargneux de son "Swords & Sorcery-Metal", Bonnet peut parfois donner la sensation d'un chant forcé, à la limite de se briser définitivement les cordes vocales. Et pourtant, à plus de 70 ans aujourd'hui, le rouquin aux éternelles Ray-bans chante encore avec force du Heavy-metal (peut-être même que les meilleurs moments du "Revelation" de Michael Schenker, avec quatre chanteurs - dont Bonnet - sont ceux chantés par ce dernier). Ainsi, bien que bref, son passage chez Rainbow - parfois considéré comme le meilleur de sa carrière avec celui, également abrégé, chez MSG - est une révélation, et plus jamais il ne quittera la sphère du Hard-rock.

     Une fois de plus, l'homme-en-noir avait été perspicace en recrutant Bonnet. Un chanteur puissant, rageur et relativement lyrique, pouvant insuffler la chaleur de la Soul dans les morceaux les plus raides et froids du Heavy-metal. Un chant sur la corde raide car quelquefois à la limite d'être braillard. Un gars pouvant donner l'impression de mortellement s'égosiller tout en gardant le tempo et en restant frais comme un gardon. Bien qu'il ait été mis à la porte sans ménagement par l'intraitable Blackmore (qui n'aimait pas sa coupe de cheveux et ses fringues), cet épisode au sein de Rainbow lance sa carrière Il devint d'ailleurs un chanteur phare des années 80 avec notamment des disques emblématiques de la décennie tels que "Assault Attack" avec Michael Schenker (👉 lien), "No Parole from Rock'n'Roll" avec Alcatrazz  (comprenant un tout jeune Malmsteen de vingt ans), voire "Disturbing the Peace" du même groupe (avec Steve Vai),  et "Stand In Line" avec Impelliteri.

     Il est bien connu que les postes chez Rainbow sont de très sensibles sièges éjectables. Exigeant, Blackmore n'apprécie guère l'à-peu-près et le dilettantisme. Hors de question d'arriver sur scène et aux séances d'enregistrement défait, bourré. Ainsi, le line-up est, une fois de plus renouvelé. Seul Cozy Powell, en poste depuis 1975, voit son contrat renouvelé. L'ancien collègue, le placide et indulgent Roger Glover, initialement sollicité en qualité de producteur, se retrouve à jouer de la basse et à écrire les chansons. Il est fort probable que c'est ce que Blackmore avait en tête en allant quérir son aide. Pour les claviers, il fait appel à un ancien de Colosseum II, qui vient de se frotter au Hard-rock et au Heavy-Metal via Black Sabbath et Gary Moore. Don Airey rentre ainsi pour la première fois dans la famille "Deep-Purple". (Il remplacera Jon Lord au sein de DP).

     L'album marque un tournant "commercial" qui n'a pas toujours été apprécié. Pourtant ce n'est rien en comparaison de ce qui allait suivre avec le fringant Joe Lynn Turner. Mais en 1979, personne ne se doute de la tournure que vont prendre les choses. Cependant, tous les albums de Rainbow de la période 70-80, restent de grandes œuvres (sauf "Long Live Rock'n'Roll" ?). Le seul tort de Blackmore est de supporter un lourd et généreux passif, sans lequel on aurait crié au génie à chacun de ses albums. Avec le temps, on pourrait juste regretter que "Down to Earth" n'ait pu profiter de la qualité de production et d'enregistrement des galettes des années 80. Pas un chef d'œuvre mais tout de même un très bon disque illuminé par de très belles parties de guitares du maestro.

 

(1) Le groupe où officiait Ronnie James Dio, avant que Blackmore n'embarque à sa suite le groupe, en laissant sur le carreau le guitariste, pour constituer la première mouture de Rainbow.

(2) Blackmore est un musicien exigeant, et il n'est pas aisé de passer après Dio. Ni même après Gillan ou Coverdale. Il songeait auparavant à Peter Goalby qui est rentré chez Trapeze, l'ancien groupe de Glenn Hughes, en 77-78. Un instant même, il pense à Ian Gillan, qu'il a récemment rejoint sur scène, aux côtés de Bernie Tormé. 


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Autre article / Rainbow : "Rising" (1976)

2 commentaires:

  1. Du coup après lecture de ton texte ci-dessus je me suis tourné vers Rainbow , groupe sur lequel j'avais fait l'impasse à l'époque ! et oui je suis plutôt tourné vers les States. Commandé et reçu les trois premier studio et le "On stage" . Pas déçu du tout Blackmore, James Dio , Cozy Powwell ......sacré gang!

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    1. La période avec Joe Lynn Turner, bien que décriée par une partie du public de Rainbow, vaut également le détour. En particulier le dernier chapitre, "Bent Out of Shape" de 1983.

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