mercredi 30 décembre 2020

BALANCE "In For The Count" (1982), by Bruno



     Le groupe Balance est étroitement lié à Robert J. "Bob" Kulick. Un guitariste et compositeur émérite, né le 16 janvier 1950 à Brooklyn, et qui, en dépit de ses talents, est toujours passé à côté d'une certaine notoriété. Qui serait allée au-delà du cercle des musiciens et de ceux attentifs aux petites mains. En quelque sorte, un loser de luxe qui n'est jamais vraiment parvenu à s'extraire de l'ombre pesante de ses différents employeurs.


   Cela débute en cette fin d'année 1972, où il auditionne pour un tout nouveau projet de Hard-glam-rock de Brooklyn, Wicked Lester, porté par Stanley Bert Eisen et Chaim Witz. Bien qu'enthousiasmés par sa prestation, leur choix se fixe sur le postulant suivant. Un certain Paul Daniel Frehley. Quelques mois plus tard, courant 1973, le groupe au complet se rebaptise Kiss et va connaître un succès phénoménal. Connaissant les lascars, il est bien probable que ce qui a fait la différence entre Paul et Bob soit l'apparence et/ou l'attitude. D'autant que dans les prochaines années, Bob va plusieurs fois prêter main-forte au quatuor grimé. Notamment sur les albums "Alive II", "Unmasked", "Killers" et "Creature of the Night". C'est aussi à lui que Paul Stanley fait appel pour son disque solo de 1978. Il y a même des bruits de couloir laissant entendre que ces "coups-de-main" auraient été plus étendus. Ensuite, en 1984, c'est Bob lui-même qui leur présente son frère, Bruce, qui va officier une dizaine d'année comme le guitariste soliste de Kiss.

     Auparavant, Bob joue pendant trois années pour Michael Wendroff (pas vraiment Rock celui-là) avant de se faire débaucher par Meat Loaf, alors en pleine gloire, pour l'incorporer au Neverland Express, son groupe de scène. Mais il faut attendre 1984 pour qu'il soit convié à l'enregistrement d'un album studio de l'imposant Meat Loaf. Occasionnellement, il est sollicité par les studios new-yorkais pour des sessions. Ainsi, le guitariste du "Coney Island Baby" de Lou Reed, c'est lui. En ce qui concerne les autres albums à succès où il joue, il y a les deux de Diana Ross de 1981 et le premier de Michael Bolton.

     Seulement, las de suivre des directives et de rester dans l'ombre, il aspire à voler de ses propres ailes. Et probablement aussi, à savourer l'engouement du public. C'est à la suite de son travail sur l'album solo de Paul Stanley qu'il fait la connaissance du chanteur, claviériste et guitariste rythmique, Peppy Castro, (né Emil Thielhelm le 16 juin 1949). Un autre New-yorkais à qui le succès semble aussi glisser entre les doigts. Il débute dans les sixties avec la Pop-garage de The Blues Magoos, puis se perd dans la guimauve de Barnaby Bye, (qui a dû inspirer Christopher Cross). Il embrasse la cause du Hard-rock en 1976 avec l'éphémère Wiggy Bits. Et celle du claviériste Doug Katsaros, qui débute une carrière de sessionman qui va l'amener à être présent sur quelques classiques des années 80 et 90.


 
G à D : Katsaros, Kulick et Castro

   Ces trois là s'allient et forme le noyau dur de Balance. Un groupe qui va émailler leur carrière respective de requins de studios et de mercenaires de tournée. Un premier album éponyme sort en 1981. Un disque plus soft-Rock, West-coast et pop que franchement Hard. Bien que produit par Tony Bongiovi avec le soutien de Portrait Records, ça paraît un peu anémié, ça manque de corps. Le potentiel est là, indubitablement, mais jamais ça ne parvient à dépasser en qualité les chansons les plus consensuelles de Journey. Un disque qui s'oublie vite. Il ne fait d'ailleurs guère de vagues (il s'immisce tout de même dans le billboard), à l'exception du single, "Breaking Away", qui dame le pion à Toto.

     Les concerts s'avèrent décevants, car si Peppy - et plus particulièrement Bob - sont forts d'une belle expérience de la scène, il en est tout autre du jeune Doug et de la section rythmique. Ce serait même la bérézina. Ce qui entraîne le renouvellement fréquent des postes de batteur et de bassiste. Jusqu'à l'arrivée de Charles Arnold Burgi III (ex-Brand X) plus connu sous le patronyme de Chuck Burgi, et de l'ancien bassiste de Wiggy BitsDennis Feldman. Deux recrues habituées à la scène depuis des années.

     C'est cette dernière mouture qui réalise "In For The Count". Il y a un monde entre le premier essai et le second qui a largement gagné en assurance et en corpulence, et qui s'égaye dans une tonalité franchement Heavy-rock. La frappe de bûcheron de Chuck Burgi, pourtant issu du Jazz-fusion, y est pour beaucoup, mais c'est surtout la guitare de Kulick qui a décidé de prendre les devants et de sortir sa panoplie de Hard-rocker. Avec power-chords, grosse disto et soli nerveux à l'avenant. Même la basse a profité de nouvelles rondeurs. Par contre, le chant a tendance à rester fidèle à un registre plutôt Pop. Cependant, Castro paraît parfois happé par la virulence de la guitare, et se convertit à une virilité expansive (déjà acquise et développée avec les premiers titres de Wiggy Bits). 


   Bel exemple avec le magistral "Pull The Plug" (la préférée de Bob) ; véritable tour de force conjuguant un slow-blues heavy à un power-pop dramatique, où Peppy déploie des vocalismes de douce souffrance et d'incompréhension, comme des pleurs abyssaux reflétant une profonde blessure. Étonnamment, alors qu'il s'agit bien de deux morceaux différents, le climat développé ici évoque irrémédiablement celui du "Pull the Plug" de Starz (👉 lien). Autre groupe new-yorkais, que Kulick devait forcément connaître puisque ce groupe, du New-Jersey à New-York (et proches alentours), était connu de tous ; également parce qu'il a été managé par Sean Delaney et Bill Aucoin. Soit par le "cinquième membre" et le manager de Kiss. Toutefois, Kulick nie catégoriquement s'en être inspiré.

     Avec "Undercover Man", ça fricote carrément et sans complexe avec le Heavy-metal ; à un point tel que le morceau est à deux doigts de paraître incongru. "On My Honour", lui, délivre un pur Hard-rock aux consonnances anglaises. A l'exception des claviers - ici, assez discrets -, c'est vraiment proche du style de Queen. Le chant y-compris, avec ce lyrisme puissant et riche en couleurs. Tandis que le solo - doublé - descend directement de Thin Lizzy.

     Toutefois, c'est avant tout par son puissant Hard-FM - ou AOR - que "In For The Count" s'est forgé une inoxydable réputation. A commencer par le titre éponyme, introduit par son bidouillage de synthétiseur - décollage d'OVNI chatoyant de série B - vite repris par un riff quasiment d'anthologie (dans la sphère AOR et Heavy-rock). En fait, ce morceau oscille entre mouvements de Hard-rock un brin crâneurs, et d'autres plus FM, tranchés par un lick de synthé revenant sans cesse en toile de fond adoucir le riff principal. "Slow Motion" continue sur cette alliance du Rock-FM et du Heavy-rock, toutefois en jouant plus sur du velours. Le refrain semble dégager des vapeurs opiacées, chargées de mélancolies oniriques. Tony Bongiovi, enthousiaste et convaincu qu'ils tiennent là un hit en puissance, interfère personnellement auprès de la direction de Portrait Records pour en faire un premier single. Quant à "Is It Over", bien que plus mordant et au tempo plus élevé, c'est plus ouvertement FM.

G à D : Katsaros, Kulick, Burgi, Castro et Feldman

  "All the Ways" (selon Bob, une chanson simpliste) coiffe Toto sur son terrain du Hard-FM chiadé, riche en couleurs et entraînant. "Bedroom Eyes" marche sur les traces récentes du nouveau Uriah Heep (celui d' "Abominog" et de "Head First"). L'album se termine sur un titre Rock-FM pur jus, avec un parfum West-coast. Un mélange d'Eddie Money et - encore une fois - de Toto. 

     Entre la démarche de musiciens de studio (le trio Katsaros, Castro et Kulick) cherchant à s'émanciper et la teneur de la musique délivrée, Balance hérite du surnom de "Toto de la côte Est". Flatteur mais relativement réducteur dans le sens où Balance n'est nullement un ersatz ou même un élève doué de la bande de Lukather et des frères Porcaro. Et puis si la référence de Toto peut effectivement s'avérer prégnante sur certains morceaux, - ce que concédait volontiers Kulick -, on pourrait également avancer celles de Journey, de Queen, de Foreigner, ainsi que celle de Saga. Ce dernier se révèle dans les claviers qui bien des fois évoquent irrémédiablement ceux de Jim Gilmour. Même quelques lignes de chant de Castro renvoient à Michael Sadler. 


     Cependant, la poisse continue de poursuivre Kulick et Castro. Le disque à peine sorti, CBS fait le ménage avec un licenciement d'environ deux cents personnes, touchant aussi Epic et Portrait Records. (une journée noire qui sera baptisée "Black Friday"). Ceux qui soutenaient Balance faisant partie de cette restriction de personnel, le groupe est simplement oublié. La promotion du disque s'arrête brutalement, et en haut-lieu on n'envisage pas de distribution digne de ce nom. Même si la firme Japonaise Daihatsu sollicite le groupe pour la publicité de la dernière version de leur modèle phare, la Charade. Ce sera "Ride the Wave", seulement sorti en 45 tours. Ce qui permet aux New-Yorkais d'opérer une dernière tournée, uniquement au Japon. Bien que triomphale, le label n'en a cure et ignore totalement le groupe qui, découragé, ne tarde pas à se séparer. On raconte que la direction ne croyait pas en l'avenir d'un groupe de Rock avec un guitariste chauve. Si rien ne prouve cette théorie, il est vrai que le milieu compte quelques membres qui ne quittent pas leur perruque (dont quelques célébrités). En tout cas, la calvitie de Bob n'a pas dérangé Meat Loaf qui n'a pas hésité à le réembaucher rapidement. 

     Malgré tout, l'album parvient graduellement à se faire une réputation, aidée par le single éponyme, "In For the Count". Présent même dans certains juke-box français. Il devient alors une des galettes de Hard-FM parmi les plus recherchées de la décennie. Et malgré les ans, Balance n'est pas oublié. Et le succès remporté par la réédition de 2006 d' "In For the Count", décide le groupe - du moins le noyau dur - à remettre une dernière fois le couvert avec un nouvelle réalisation à la clef en 2009 ; "Equilibrium" publié par Frontiers Records. Album nettement plus consensuel qui ne parvient pas à retrouver la magie de son prédécesseur.

     Bob Kulick retentera bien quelques nouveaux projets de groupe, mais il semble qu'il soit poursuivi par une malédiction qui a raison de ses entreprises. Ainsi, Skull, avec Dennis Feldman (sous le patronyme de Dennis St James), ne dure que le temps d'un album, "No Bones About It" (1991). Franchement plus hard et rentre-dedans, il jouit aussi d'une bonne réputation. Idem deux ans plus tard avec Blackthorne et l'album "Afterlife" (1993), où Graham Bonnet se casse la voix. Blackie Lawless fait appel à lui pour remplacer Chris Holmes - jusqu'à son retour - au sein de W.A.S.P.. En 1996, sort l'unique album de heavy-metal de Murderer's Row. Fruit d'un supergroupe sans lendemain comprenant Chuck Wright, Jay Schellen, Jimmy Waldo et David Glen Eisley. Par la suite, il se contente d'être un musicien de studio réputé, occasionnellement compositeur, Au XXIème siècle, il produit une série de divers disques "tribute" et écrit "Sweet Victory" pour la série d'animation... "Bob l'éponge".

 "In For the Count" reste la meilleure réalisation de Bob Kulick, ainsi que de Peppy Castro et Doug Katsaros. 


     En hommage à Bob Kulick décédé le 28 mai 2020.


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2 commentaires:

  1. Bob Kulick, tu lui mets une perruque, et c'est Freddy Mercury !

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    1. ... effectivement, y'a bien un p'tit quelque chose 😊

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