vendredi 4 décembre 2020

LA NUIT DES GÉNÉRAUX d'Anatole Litvak (1967) par Luc B.

 

Commençons par le début, le générique. Une succession de gros plans. D'abord une paire de bottes noires, des médailles militaires, une casquette ornée de l’aigle nazi, une croix de fer, et un pantalon avec une bande rouge sur le côté. Un uniforme de général…

Ce pantalon caractéristique est l’unique image que verra le témoin d’un meurtre odieux, par la fente d’une porte de chiottes où il s’est réfugié, soucieux de ne pas croiser le tueur qui descend l’escalier. Nous sommes à Varsovie, en 1942. Dans une piaule minable, une prostituée vient d’y être charcutée. Le major Grau (Omar Sharif) commence son enquête à partir de ce témoignage précis : l’assassin serait un général allemand. Une idée inconcevable dans le troisième Reich tout puissant, mais pas pour Grau, cet électron libre idéaliste qui dira : « la justice est aveugle, elle ne voit pas les bandes rouges ou les galons dorés »

Trois généraux n’avaient pas d’alibi pour ce soir-là : Tanz, Galber et Kahlenberg. Les aléas de la guerre et des mutations administratives dispersent les suspects, qui se retrouvent deux ans plus tard à Paris, où Grau, devenu colonel, reprend son enquête.  

LA NUIT DES GÉNÉRAUX vogue entre le film policier et le film de guerre, ce qui en fait toute la saveur et l'originalité. La petite histoire croise la grande Histoire. Car il se trouve que Galber et Kahlenberg (le comédien Donald Pleasence et sa tête de fouine) font partie du complot pour assassiner Hitler à Rastenburg (20 juillet 44), un épisode sur lequel revient le très bon film WALKYRIE avec Tom Cruise, "Walkyrie" étant le mot de code prononcé par le colonel Von Stauffenberg indiquant que le führer avait péri. Je ne reviens pas sur les détails, mais la charge de dynamite s’avéra moins puissante que prévu, ayant été calculée pour un blockhaus en béton, et non pour une baraque en bois.

Muté à Paris, le colonel Grau demande le soutien de la police parisienne, et de l’inspecteur Morand, joué par un Philippe Noiret débonnaire qui joue en anglais, comme le reste de la distribution. C'est toujours rigolo ces films américains où tout le monde cause en english. Il y a beaucoup d’acteurs français dans ce film, parce qu'une bonne partie de l’intrigue se passe à Paris, mais aussi parce que le réalisateur Anatole Litvak, d’origine ukrainienne, chassé par les nazis, a trouvé refuge chez nous avant de gagner Hollywood. Son grand succès d’avant-guerre est MAYERLING (1936) avec Danielle Darrieux, il tournera ensuite plusieurs films en France dans les 60’s.

C’est ainsi qu’on croise Pierre Mondy en soldat allemand (!) en moins pittoresque que dans LA SEPTIÈME COMPAGNIE, mais aussi Sacha Pitoëff, Philippe Castelli, Jacques Seiler, Nicole Courcel, Pierre Tornade ou Mac Roney la fine gâchette des TONTONS FLINGUEURS. On a même droit à Juliette Gréco qui pousse la chansonnette dans un club clandestin de Saint Germain des Près.

Il y a un dialogue savoureux entre Grau et Morand. Le flic allemand cherche à arrêter un général pour meurtre, Morand rétorque : « mais le meurtre n’est-il pas l'affaire des généraux ? ». Grau apprécie le trait d’humour. « quand ils tuent 10 000 personnes on les décore, mais une seule victime et on les arrête ? ». Plus tard, alors que les soupçons se portent sur le général Tanz, Morand objectera : « si cet homme peut détruire une ville à sa guise, pourquoi irait-il tuer une pute ? »

Le général Tanz devient le principal suspect. Anatole Litvak n’en fait pas mystère, le film réside moins dans qui est le tueur, que dans comment le confondre. Tanz a le profil idéal, un sauvage, un psychopathe. Voyez-le droit dans ses bottes, debout dans sa voiture inspecter un quartier à détruire au lance-flamme (quelle image !) insensible à toute pitié, imperturbable alors qu’on lui tire dessus. Un maniaque de la propreté, qui exige des bains à 31 degrés, se fait promener à Paris par le caporal Hartmann, visite les musées, subjugué par l’art décadent des Picasso, Lautrec, Gauguin. Dans cette scène il tombe presque hypnotisé par un auto-portrait de Van Gogh, deux regards de fou qui se croisent, il en fait même un malaise. Il demande ensuite à Hartmann : « les attraits de Paris ne servent-ils qu'à stimuler l’intellect et l’estomac ? ».

Hartmann comprend que Tanz, qui passe pour un séminariste, cherche à s’encanailler et l’emmène aux putes. Le général Tanz est joué par Peter O’Toole (qui partageait déjà avec Omar Sharif l’affiche de LAWRENCE D’ARABIE) un grand comédien shakespearien dont on connait le penchant pour l’alcool. Sur ce tournage, il ne tenait à peine debout, trop imbibé, d’où cette prestation hallucinante, regard vitreux, ailleurs, démarche chancelante, gestes tremblotants. Il ne compose pas un rôle, il essaie juste de tenir debout le temps du plan, au grand dam de Litvak.

Le film est long, 2h30, mais reste prenant, et se déroule sur deux époques. Ce que nous indiquent dès le départ des flash-foward (= un flash-back dans l’autre sens !). Ainsi voit-on des scènes avec un Morand vieilli, les cheveux blanchis, sans que l’on comprenne d’abord pourquoi (aucune indication à l’écran) mais qui suggère que l’intrigue ne s’arrêtera pas à la période de l’Occupation. Litvak en profite pour écorner la dénazification, ces criminels de guerre notoires passés au travers des gouttes, qui se sont rachetés une réputation en capitaine d’industrie ou aristocrate de salon.  

Je vous le disais, ce film mêle la grande et la petite histoire, deux trajectoires intimement liées qui culmine dans une scène fabuleuse, point de connexion savamment orchestré, lorsque Grau met enfin la main sur Tanz, lui disant : « avant qu’on vous arrête pour haute trahison, je vous arrête pour meurtre ». Mon éthique (et toc) de chroniqueur m’interdit de vous en dire plus…

A ce stade de l’article, vous vous dites : mais pourquoi il nous cause de ce film ? Et bien mes p’tits poulets - pardon pour cette liberté de ton - c’est parce que j’ai vu ce film il y a… arrfff… 25 ans, qu’il m’avait marqué, et que je ne l’ai revu que récemment au détour d’une diffusion télé. 

LA NUIT DES GÉNÉRAUX est une grosse production, beaucoup de moyens, de décors, ces images de soldats allemands défilant sur les Champs Elysées, de Paris reconstitué (certaines images semblent être des archives vite colorisées, on voit la rue de Rivoli en couleur mais avec des drapeaux nazis en noir et blanc !) un scénario dense, captivant, mise en scène solide, distribution de choc, décors d’Alexandre Trauner, photo d’Henri Decaë, musique de Maurice Jarre : le must. A l’époque cela n’a pas été un franc succès, qu’importe, c’est un film que j’apprécie, et c’est tout ce qui compte !


couleur  -  2h28  -  scope 1:2.35  

  

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