Et si le psychédélisme s’était réellement épanoui en
Allemagne ? La question oblige encore une fois à redéfinir le
psychédélisme, qui ne fut pas le même dans les nombreux pays où il a éclos. Aux
Etats Unis, il fut campagnard, proche de la douceur bucolique de la folk, ou du
feeling plaintif du blues. L’Angleterre le verra plus pop, tant il est vrai
qu’elle ne s’est jamais remise de cette nouvelle merveille du monde qu’est « Sgt Pepper ». Et puis il y’eu les autres perles anglaises, tel que le premier « Move,
oden nut’s flakes » des Small Faces …
Si l’Amérique s’est servi du psychédélisme pour
moderniser sa tradition musicale, l’Angleterre l’utilisait pour la réinventer.
C’est pour cela que des groupes comme Grateful Dead ou les Byrds retournèrent
flirter avec les rythmes poussiéreux de la country, dont ils ne s’étaient
finalement pas tant éloignés.
Les allemands avait une autre vision de l’avant-garde
planante, et celle-ci était surtout liée au fait que leurs représentants étaient
avant tout des artistes. Can est le groupe le plus représentatif de cette
spécificité, le groupe ayant accueilli un sculpteur, avant de le remplacer car "sa musique lui provoquait des troubles mentaux".
Ces allemands ont découvert le rock en même temps que
l’avant-garde, et ont simplifié leur jeu pour s’approcher de l’inventivité du
premier album du Velvet. Le premier résultat est un peu bancal, même
si l’on oublie vite que les premières traces de punk sont à chercher dans le
son primaire et crade de « Monster Movie » (1969). Et puis il y eut
l’explosion « Tago Mago » (1971) et
son jazz hypnotique partant progressivement vers une symphonie électronique
déstabilisante.
« Tago mago » fut braillard et déstabilisant, « Futur
days » sera introspectif et réconfortant. Comme si le groupe
n’avait pas réellement d’identité, comme si son vocabulaire musicale était si
riche, sa palette sonore si développée, que ses œuvres ne connaissaient plus de
limites. Il y a dans ses ambiances vaporeuses, dans ses rythmes qui restent
répétitifs sans prendre votre cerveau en otage, un coté foncièrement pop.
Je parlais de « Monster movie » au début de
cette chronique, et « Future days » vient justement achever ce que ce
premier disque avait maladroitement entamé. La batterie toujours très présente
se met désormais plus en retrait, pendant que le groupe instaure une mélodie
cotonneuse, qui ressemble à une nouvelle forme de jazz. Les pièces comme bel
air nous plonge dans l’ambiance relaxante d’une balade nocturne, le son se
déployant comme un décor cinématographique en trois dimensions.
Si ce « Futur days » partage une chose avec son
prédécesseur, c’est son pouvoir de fascination. C’est un disque dans lequel on
s’immerge complètement pour voyager entre les nuages planants de spray, ou la
douceur nocturne de « Bel Air » 19 mn 53 au compteur. Placé en ouverture, « Futur days » laisse
même poindre une mélodie d’un nouveau genre, avant que « Moonshake »
ne réinvente le groove sur une rythmique répétitive digne des plus grands
savants fous allemands.
Le tranchant paranoïaque de « Tago mago » fait
ici place à un son d’une ampleur sans précèdent, à des décors musicaux
mystérieux et fascinants, comme si les deux derniers disques de Can étaient les
deux faces d’une resplendissante pièce.
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