jeudi 12 novembre 2020

CAN "Future days" (1973) par Benjamin

 


Et si le psychédélisme s’était réellement épanoui en Allemagne ? La question oblige encore une fois à redéfinir le psychédélisme, qui ne fut pas le même dans les nombreux pays où il a éclos. Aux Etats Unis, il fut campagnard, proche de la douceur bucolique de la folk, ou du feeling plaintif du blues. L’Angleterre le verra plus pop, tant il est vrai qu’elle ne s’est jamais remise de cette nouvelle merveille du monde qu’est « Sgt Pepper »Et puis il y’eu les autres perles anglaises, tel que le premier « Move, oden nut’s flakes » des Small Faces
 
Si l’Amérique s’est servi du psychédélisme pour moderniser sa tradition musicale, l’Angleterre l’utilisait pour la réinventer. C’est pour cela que des groupes comme Grateful Dead ou les Byrds retournèrent flirter avec les rythmes poussiéreux de la country, dont ils ne s’étaient finalement pas tant éloignés.
 
Les allemands avait une autre vision de l’avant-garde planante, et celle-ci était surtout liée au fait que leurs représentants étaient avant tout des artistes. Can est le groupe le plus représentatif de cette spécificité, le groupe ayant accueilli un sculpteur, avant de le remplacer car "sa musique lui provoquait des troubles mentaux".  
 
Ces allemands ont découvert le rock en même temps que l’avant-garde, et ont simplifié leur jeu pour s’approcher de l’inventivité du premier album du Velvet.  Le premier résultat est un peu bancal, même si l’on oublie vite que les premières traces de punk sont à chercher dans le son primaire et crade de « Monster Movie » (1969). Et puis il y eut l’explosion « Tago Mago » (1971) et son jazz hypnotique partant progressivement vers une symphonie électronique déstabilisante.
 
Le disque fut si puissant, sa matière musicale si incomparable, que beaucoup voudrait cantonner le groupe à ce chef d’œuvre avant-gardiste. C’est sans compter sur son successeur, qui s’impose rapidement comme le parfait opposé de « Tago Mago ». (en photo, Holger Czukay, fondateur du groupe).
 
« Tago mago » fut braillard et déstabilisant, « Futur days » sera introspectif et réconfortant. Comme si le groupe n’avait pas réellement d’identité, comme si son vocabulaire musicale était si riche, sa palette sonore si développée, que ses œuvres ne connaissaient plus de limites. Il y a dans ses ambiances vaporeuses, dans ses rythmes qui restent répétitifs sans prendre votre cerveau en otage, un coté foncièrement pop.
 
Je parlais de « Monster movie » au début de cette chronique, et « Future days » vient justement achever ce que ce premier disque avait maladroitement entamé. La batterie toujours très présente se met désormais plus en retrait, pendant que le groupe instaure une mélodie cotonneuse, qui ressemble à une nouvelle forme de jazz. Les pièces comme bel air nous plonge dans l’ambiance relaxante d’une balade nocturne, le son se déployant comme un décor cinématographique en trois dimensions.
 
Si ce « Futur days » partage une chose avec son prédécesseur, c’est son pouvoir de fascination. C’est un disque dans lequel on s’immerge complètement pour voyager entre les nuages planants de spray, ou la douceur nocturne de « Bel Air » 19 mn 53 au compteur. Placé en ouverture, « Futur days » laisse même poindre une mélodie d’un nouveau genre, avant que « Moonshake » ne réinvente le groove sur une rythmique répétitive digne des plus grands savants fous allemands.   
 
Le tranchant paranoïaque de « Tago mago » fait ici place à un son d’une ampleur sans précèdent, à des décors musicaux mystérieux et fascinants, comme si les deux derniers disques de Can étaient les deux faces d’une resplendissante pièce.  
 


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