jeudi 26 novembre 2020

AMON DÜÜL "Tanz der lemminge" (1971) par Benjamin



Si les amateurs de rock voyaient le psychédélisme comme une substance musicale censée vider les cerveaux angoissés, pour les amener vers des délires libérateurs, alors l’Allemagne fut le pays du psychédélisme. De Can à Tangerine Dream, le pays était une terre d’exil pour ces cerveaux angoissés par une réalité de plus en plus absurde et violente. 

Kensey disait qu’il n’y avait pas de fous, pas dans le sens où les films bas de gamme et les séries débiles nous les présentent. Pour lui il ne s’agissait que de personnes ayant décidé de couper les liens avec la réalité pour cesser de souffrir. Cette définition de la folie, en plus de donner un nouvel éclairage sur son chef d’œuvre littéraire « Vol au-dessus d’un nid de coucou », montre que le rock allemand est la musique la plus apte à sauver nos esprits souillés.

« Yeti » (1970) faisait déjà partie des disques donnant une nouvelle couleur au psychédélisme progressif, mais c’était encore l’œuvre d’un groupe mal organisé, ouvrant une nouvelle porte sans en être réellement conscient. Pour laisser cette porte ouverte, et mettre un pied dans le monde hypnotique qu’il avait inventé, il fallait qu’Amon Düül maîtrise sa formule.
 
Pour cela, le line-up a changé, le groupe accueille  un joueur de sitar et un musicien jazz qui lui permettront de mieux maîtriser ses délires acidulés. Le résultat sort sous le nom de « Tanz der lemminge » en 1973, et tranche radicalement avec la folle insouciance de « Yeti ». Les titres ne sont plus improvisés, ils sont travaillés en studio et dotés d’une production beaucoup plus soignée. Résultat, si « Yeti » vous embarquait dans un délire aux contours flous, au milieu d’un bad trip saisissant mais aux paysages mal définis, l’image est beaucoup plus nette ici.
 
L’ambiance angoissante est un peu mise de côté, même si elle reste présente sur certains passages, comme la guitare psychotique qui parcourt la première grande suite. Là où « Yeti » ne contenait que deux grandes pièces délirantes, « Tanz der lemminge » s’articule autour de quatre pièces maîtresses.
 
Ces pièces sont comme les étapes d’un voyage intérieur, qui provoquerait une succession d’hallucinations fascinantes, angoissantes, ou transcendantes. Chaque phase se succède parfaitement, le chaos sonore pouvant faire place à des riffs corrosifs, dont le stoner ne réussira jamais à reproduire la puissance hypnotique. Et puis le solo monte crescendo, accompagnant le clavier dans une ascension menant à un chaos sonore s’apparentant à une apothéose mystique.
 
La guitare acoustique peut ainsi côtoyer les délires expérimentaux propulsés à grand coup de sitar et d’électricité, pour construire un album unique, fruit d’expérimentations parfaitement maîtrisées. La voix vous arrive avec une lenteur fascinante, comme un impressionnant mirage au milieu du désert.  
                                                          
Ces instrumentaux ne nous agressent plus, ils nous bercent, caressant nos oreilles dans le sens du poil pour mieux nous emmener dans leur univers délirant. L’auditeur entre d’ailleurs dans la folie la plus pure, c’est-à-dire qu’il rompt progressivement les liens avec le monde qui l’entoure, pour mieux profiter des merveilles illusoires qu’on lui propose.   
 
« Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront : « Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »

Merci Baudelaire. 
 
L’ivresse n’étant qu’une folie momentanée, ce disque pourrait être un bon début dans cette quête perpétuelle d’oubli de soi.
 

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