jeudi 8 octobre 2020

PEUPLES CHASSEURS DE L’ARCTIQUE de Roger Frison-Roche (1966) - par Nema M.

 


-        Tiens Sonia, ma clé USB avec une chronique pour le blogue, tu es toujours en contact avec l’équipe je crois ?

-        Oui Nema, c’est sur quoi ?

-        Une expédition dans le Grand Nord Canadien.

-        Pas un truc militant-intello genre, « fin de la planète et des ours polaires », j’espère. C’est trop triste.

-        Non, c’est le récit d’une expédition faite en 1966 et qui fait découvrir la vie des indiens  Chipewayans et des Eskimos à la fin de l’hiver. Extraordinairement sympathique je trouve.

 

Difficile de donner quelques indications sur l’histoire racontée dans ce livre. Ce n’est pas à proprement parler un roman, car ce n’est pas une fiction mais le récit d’une expédition. Et pourtant je l’ai dévoré, comme portée par les aventures du narrateur Roger Frison-Roche.

Ce récit est très vivant. Il comporte de nombreux dialogues avec les personnes rencontrées, des personnes bien souvent hautes en couleur car elles ont choisi ces endroits si reculés de la « civilisation », avec un climat si rude qu’on a du mal à imaginer comment on peut y rester des années. Il y a aussi des descriptions nettes et précises des paysages, des animaux, des habitations, des équipements… c’est le côté documentaire du récit. Pour ceux qui connaissent Frison-Roche pour ses écrits montagnards ou aventureux au Sahara, ils retrouveront le même enthousiasme, le même émerveillement pour la nature ou la simplicité de vie des populations rencontrées dans ces environnements au climat inhospitalier. 


Le trajet de l’expédition est impressionnant. Un gigantesque circuit qui part de Montréal passe par Edmonton, capitale de l’Alberta, et ensuite cap au Nord : Yellowdrift et Snowdrift, puis Igoolik au-delà du cercle polaire et jusqu’à Resolute et Eureka, base de recherche arctique et station météorologique. Le retour est un peu plus rapide, via Frobisher Bay et Fort Chimo avant de rejoindre Montréal.


Roger Frison-Roche et Pierre Tairraz ont mis un an à préparer ce périple dont l’objectif est de filmer les populations locales au plus près pendant une période de l’année qui est loin d’être la plus clémente : la fin de l’hiver (entre mars et mai). Roger Frison-Roche a près de 60 ans quand il se lance dans ce projet. Pierre Tairraz, également originaire de Haute-Savoie et alpiniste, est plus jeune : c’est lui qui sera le caméraman. Pas facile d’emporter tout le matériel et surtout de le protéger du froid pendant ce voyage. Pas facile non plus de filmer des animaux sauvages depuis un petit avion ou depuis un traineau. Mais c’est le challenge qu’ils se sont donné. 

 

Nos deux alpinistes chevronnés sont partis avec un super équipement venant de Chamonix. Ils pensent que cela devrait convenir. Pas vraiment en fait. D’abord il y a un problème avec les chaussures (chaussures doubles pour escalades hivernales). Les Indiens ricanent, les trappeurs rigolent. Beaucoup trop lourd. Il faut des mukloks en peau de caribou et semelle de moose. Même problème pour les vêtements : pas du tout adaptés. Il faut des grosses parkas en peau de caribou avec fourrure d’hiver à l’intérieur et même avec une sous parka en peau fine pour les régions les plus froides. Les peaux d’ours blanc ne seront pas de trop pour se protéger du froid quand on est sur le traineau. 


Mukloks (ou Mukluks)

Il y a heureusement à pratiquement chaque étape des conseillers américains, canadiens voire français, plein de gentillesse et surtout ayant appris à connaître ces peuples fiers et restés si naturels. Le caractère des indiens n’est pas celui des eskimos. Mais dans les deux cas, nos explorateurs devront les respecter pour gagner leur estime et leur faire confiance. Pas simple car ni Roger Frison-Roche, ni Pierre Tairraz ne parlent leurs langues. C’est donc dans un anglais assez limité que se feront les échanges. Le rythme de vie n’est pas le même qu’en France, loin de là. Le climat dicte sa loi : trop froid ou trop de vent, on ne part pas. 

 

Les indiens aiment la musique : Roger Frison-Roche qui sait jouer de l’harmonica s’en achète un avant de partir en expédition sur les conseils d’un pasteur. A défaut de beaucoup se parler à cause du barrage de la langue, le partage de la musique sous les tentes de fortune sera un temps fort entre les hommes de l’expédition. Les indiens vivent et chassent dans des zones où il y a encore de la forêt. Avec eux, les nuits seront passées sous des tentes montées très rapidement (deux poteaux, un tronc fixé en hauteur entre les deux et on passe les bâches par-dessus ; fixation sommaire au sol). Et à travers un trou dans une des bâches le tuyau du poêle. Car les indiens se chauffent. Ils massacrent allègrement des arbres avant chaque bivouac et font le feu dans une espèce de gros bidon qui sert de poêle. Très chaud un moment, puis en fin de nuit un froid glacial s’installe car on ne remet pas de bois pour pouvoir partir vite, avec le poêle froid et tout le matériel. Avec les eskimos, plus au nord, il n’y aura plus de forêt, plus que de la neige et de la glace. Les igloos seront construits avec une incroyable dextérité à chaque fois qu’il faudra passer la nuit dehors. Il y a même des concours de vitesse dans la construction des igloos ! (2 H !)


Caribous (espèce très menacée)

Le voyage se fera essentiellement en traineau. Mais attention, les traineaux des indiens n’ont pas grand-chose à voir avec ceux des eskimos. Chez les indiens, le traineau est fin, sur un seul patin et tiré par des chiens qui sont attelés en file indienne (normal pour des indiens J) avec un chien de tête qui dirige l’ensemble. Chez les eskimos, le traineau est plus lourd, il a deux patins et peut emporter beaucoup plus de charge. Il est tiré par des chiens attelés en éventail à l’extrémité d’une lanière d’une dizaine de mètres. Attention aux laisses qui s’emmêlent ! Les chiens indiens sont assez fins et ressemblent un peu à des renards, les chiens eskimos, des huskies, sont beaucoup plus solides, mais dans tous les cas prenez garde à ces animaux qui sont là pour travailler et non pour être caressés !

 

On découvre énormément de choses intéressantes dans ce livre. Juste une dernière information pour vous donner envie de faire ce beau parcours : les caribous étaient encore 2.500.000 au début du XXème siècle, ils ne sont plus qu’environ 250.000 au moment où Roger Frison-Roche écrit, à cause des tueries incontrôlées des indiens et des eskimos de l’époque. Combien en reste-t-il aujourd’hui ? Je vous laisse chercher…

 

Roger Frison-roche est né en 1906 et mort en 1999 à Chamonix. Alpiniste et guide de haute montagne, il est également journaliste correspondant de guerre en Tunisie en 1942 et fera de nombreuses expéditions en montagne, au Sahara mais aussi dans le Grand Nord. Il a écrit de nombreux récits dont « Premier de cordée », « L’appel du Hoggar » etc.

 

Bonne lecture et bon bol d’air frais !

 

Arthaud – Livre de poche 376 pages.


3 commentaires:

  1. Roger Frison-Roche, un sacré gaillard. Un modèle pour tous les montagnards (petits et grands).
    Ce livre paraît passionnant et instructif.

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    1. passionnant oui, instructif certainement et tellement humain! En plus, un grand amoureux de la nature sauvage Roger Frison-Roche.

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