vendredi 16 octobre 2020

LES APPARENCES de Marc Fitoussi (2020) par Luc B.

 


Une fois n’est pas coutume, un petit préambule (j’adore ce mot, préambule de savon...). Mis à part le mastodonte TENET, peu de films américains sortent en salle en ce moment. Je suis donc allé voir trois films français, coup sur coup, dont deux comédies : LA DARONNE avec la toujours extraordinaire Isabelle Huppert, ici dans un registre plus léger, dont faute de temps je ne vous ai pas parlé, mais qui vaut le coup d’œil, ANTOINETTE DANS LES CÉVENNES précédemment chroniqué et cette semaine LES APPARENCES. Point commun ? Une actrice tient le haut de l’affiche. Point divergeant ? Des histoires et styles différents. Et pourtant, trois films réussis, bien écrits et populaires pour les deux premiers, sans doute un poil plus exigeant pour le troisième. Ceci pour dire, et pour paraphraser Francis Blanche et Michel Audiard : « Je me permets d’intimer l’ordre à certains salisseurs de cinéma français qu’ils feraient mieux de fermer leur claque-merde, et de bouger leurs culs pour aller vérifier en salle la diversité de la production hexagonale ». C’est dit.

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LES APPARENCES est un film de Marc Fitoussi, auteur du jubilatoire PAULINE DÉTECTIVE (2012) avec Sandrine Kiberlain. Un film qui flirte avec plusieurs genres, sans les aborder frontalement, ce qui est sans doute dommage. On commence par un drame de la jalousie pour finir en drame criminel, donc pas loin du Film Noir. L’ombre d’Alfred Hitchcock plane parfois (utilisation de la musique, signée Bertrand Burgalat) comme celle de Claude Chabrol ou le Truffaut de LA FEMME D’A CÔTE.

L’action se passe dans les quartiers huppés de Vienne, la ville des valses chère à François Feldman, mais ici valses des faux-culs. Henri Monlibert y travaille comme chef d’orchestre, sa femme Ève dirige la médiathèque française. Ils reçoivent somptueusement d’autres expatriés français de la bonne société, l’entre soi bourgeois et égocentrique chabrolien, où l'on se complaît à baver sur les échecs sentimentaux des uns et des autres. Sauf que : Ève a des doutes sur la fidélité de son mari.

Excellente scène d'ouverture lors d'un dîner où Ève cherche son mari soudainement absent des mondanités. Montée d’escalier hitchcockienne au possible, enchaînements de travellings dans le labyrinthe de l’appartement, pour le surprendre au téléphone, sur la terrasse. Y'a un lièvre ! Ève fouillera le téléphone et l’ordinateur d’Henri. Le doute n’est plus permis : elle est cocue ! Et chez ces gens-là, ça ne se fait pas.

Il y a une séquence remarquable, lorsqu’Ève découvre dans le tiroir du bureau de son mari un sac cadeau. Agréablement surprise, elle pense que c’est pour elle. Mais en allant chercher son gamin à l’école le lendemain, elle remarque que l’institutrice, Tina Brunner, porte un sac identique. Elle reste pétrifiée. Puis dans la rue, elle croise une autre femme qui porte le même sachet, et plus tard dans un salon de thé, une cliente âgée arbore encore le même. Ses doutes se dissipent. Le sien, mais pas celui du spectateur... Marc Fitoussi parvient uniquement par sa mise en scène, par l’image, à faire ressentir les sentiments contradictoires de son héroïne, procédé hitchcockien par excellence.

Plus tard, convaincue de l’infidélité de son mari, Ève s’enivre dans un bar et s’encanaille avec un jeune gars, Jonas. Au petit matin, un plan sous la douche permet de voir que Jonas porte un bracelet électronique à la cheville. Repris de justice ? Truand ? Psychopathe ? Une fois de plus, c'est l'image qui nous renseigne. Le film bascule d’un coup dans le thriller, avec une équation que résume parfaitement la scène à l’opéra.

Henri Monlibert y donne un concert, tout le gratin est présent. Les angles de caméra posent la situation. Ève est aux premières loges, fière, jouissant du triomphe de son mari. Mais elle surprend Tina Brunner au balcon, le regard énamouré pour son amant. Soudain, un autre point de vue : celui de Jonas (qui a réussi à se faire inviter) qui épie Ève épiant la maîtresse de son mari. Vous suivez ? Machiavélique !  

Ève, l’épouse trompée, humiliée, va s’acharner à détruire la réputation de Tina. Excellente scène de la réunion des parents d’élèves à l’école, où courent les ragots dont se délecte la bonne société. Elle ne se doute pas que Jonas, un brin fêlé sur les bords, cherche à se venger aussi d’avoir été mis sur la touche.

Après les scènes d’expositions, rapides, Marc Fitoussi met en place les éléments du drame criminel. Les masques tombent, les réputations se fissurent, les amitiés de surface s’évaporent, les non-dits refont surface, les apparences du titre éclatent au grand jour : un jeu de massacre.

Les deux premiers tiers du film sont à mon sens les meilleurs, Fitoussi avance par petites touches, les mensonges, les malaises, l’angoisse : la peluche trouvée dans le lit du gamin, le foulard, Henri confondu avec Jonas par une Ève endormie. C’est un film évidemment bien scénarisé, mais aussi un film de pure mise en scène. Je ne suis pas certain que Fitoussi réussisse le versant criminel, trop vite expédié, mal exploité. La scène où les policiers débarquent chez Ève et Henri  donnant une soirée aurait pu (dû ?) être la dernière. Tout était dit, le mal était fait. L’épilogue n’était pas nécessaire.

Karin Viard tient le film sur ses épaules, son jeu est merveilleux de subtilité, le brushing impeccable, strict. Les apparences encore avec ce dernier plan dans un salon de coiffure, ou comme lorsqu’elle aborde Tina sur son lieu de travail, avec ce dialogue en double-sens : « je crois qu’il vous aime beaucoup…. ». Parle-t-elle de son mari infidèle ou de son fils ?

Benjamin Biolay est plus en retrait, effacé, on a l’impression qu’il s’emmerde à jouer son personnage, mais il joue justement un mec qui s’emmerde, notamment avec sa femme… Laetitia Dosch, en Tina, est juste parfaite, loin du cliché de la maîtresse jeune et sexy, et dont le personnage à lui aussi ses zones d’ombres…

Il ne manque pas grand-chose pour faire de LES APPARENCES un thriller véritablement diabolique et palpitant, plus de noirceur, de cynisme, de puanteur snobinarde, plus de Clouzot ! La mise en scène est élégante, soignée, réfléchie, tout est parfait. Comme ces gens-là. Trop parfait ?

couleur  -  1h50  -  format scope   

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