jeudi 22 octobre 2020

LE MAÎTRE de Patrick Rambaud (2015) - par Nema M.



-        Nema, j’ai envie d’aller acheter des cailles laquées chez le traiteur chinois pour le dîner. OK ?

-        Oui Sonia, très bonne idée, j’adore. Et cela me fait penser aux cuisines du duc Wu.

-        Ah ? de quoi tu parles ?

-        Un roman que je viens de finir de lire. Un beau récit qui se passe en Chine il y a très très longtemps.

-        OK, fais une chronique que je me mette au jus (de caille laquée, hi, hi, hi…)



Patrick Rambaud

Sonia demande, Nema obtempère ! Oui, une chronique pour un beau roman qui sort de l’ordinaire et nous emmène 3 siècles avant JC en Chine. Ce n’est pas la Chine d’aujourd’hui, c’est sûr. Une période où de nombreux royaumes aux frontières instables et aux rois belliqueux ne semblent connaître que guerres, massacres et pillages. Un peu Game of Thrones. Mais ce n’est pas une histoire de combattants et il ne s’agit pas d’un Maître d’armes, mais de la vie imaginaire d’un grand penseur, le Maître Tchouang.

 

Tchouang Tcheou (pour votre information, en chinois on met toujours le nom en premier et le prénom en second) nait dans une honorable famille, passe sa toute petite enfance au milieu des femmes (épouse et concubines) de son père mais sans recevoir beaucoup d’affection. Par exemple, son père ne tolère aucun contact physique avec ses fils qui ne doivent même pas toucher ses vêtements. Tchouang Chou, le père, fait partie de cette nouvelle classe sociale de fonctionnaires, il occupe un poste d’intendant du Duc dans la cité de Mong. A dix ans, le petit Tcheou  découvre que la vie évolue à chaque instant et que rien n’est définitif, que tout est complémentaire. Si petit et déjà philosophe ! Comme il écrit bien, le jeune Tcheou est embauché grâce à son père pour tenir la comptabilité des provisions de la cuisine du Palais. Drôle de façons de faire avec ses collègues et dôle de cuisine où 300 cailles arrivent mais aucune ne sera mangée au Palais… Pff, envolées les cailles laquées ! Et puis le Duc Wu est étranglé par le chambellan Sun qui prend sa place. Vite, il faut fuir, tous ceux qui étaient proches de Wu sont massacrés, leurs maisons pillées et brulées. Rude époque.

La famille part dans le pays de Tsi’. Ce royaume est à peu près calme. Chou s’arrange pour se retrouver un poste et faire entrer son fils Tseu dans une association prestigieuse de penseurs, située sur le mont Houa,  créée par le roi Min. Ces reclus portent un bonnet carré, carré comme le sommet du mont Houa. Tcheou n’est pas trop tenté par ce genre d’académie. Son père le rassure en lui disant qu’on lui demandera juste de trousser des sentences obscures. A noter que les intellectuels qui suivent le confucianisme portent des bonnets ronds. Il est évident, n’est-ce pas, que ce qui sort de dessous des bonnets carrés ne peut en rien être semblable à ce qui sort de dessous des bonnets ronds. Les réflexions de l’ami de Tcheou à l’académie, Wen Tse, sont parfois très acerbes et il tient des propos très vifs à l’encontre de ceux qui dévient de la ligne de conduite initiale de Confucius


Mont Houa

A 20 ans, Tchouang Tcheou  assis sous un banyan reçoit la visite de son père : il est question de convaincre le roi Min de chasser l’horrible usurpateur Sun du Song. Les réfugiés du Song sont priés de donner leur avis sur la question, mais Tcheou n’a  « aucun avis sur rien ». Wen Tse accompagne Tcheou et son père. Ils assistent à la démonstration d’éloquence du baron Kieou-Tchou qui tente de convaincre Min de délivrer le Song du Sun (accessoirement pour le mettre à sa place). Le roi perplexe va demander l’avis des penseurs, dont celui de Wen Tse. Et finalement la guerre est lancée.

 

Retour au Song. Kieou-Tchou est mis à la tête du Song qui est devenu un protectorat du Tsi’. Chou retrouve des activités prestigieuses et réengage des danseuses etc… Tcheou est nommé Superviseur des Laques. Un beau métier avec un logement de fonction en pleine campagne. Il cultive son jardin, vit tranquillement avec ses ouvriers et ses concubines, dialogue avec un enfant appelé numéro Six (il n’est pas rare en Chine de donner juste le numéro dans l’ordre de naissance comme prénom à un enfant : numéro Six est le 6ème enfant d’une fratrie), refuse les machines pour faciliter le travail de son équipe.  Il est très écolo : si on veut entendre des oiseaux, on plante un arbre et on attend qu’ils viennent, on ne les capture pas pour les mettre en cage. 


Banian

A 30 ans, son père a de nouveaux des projets pour lui. D’abord il doit se marier avec Chao-Yun, Nuage du matin, qui a 15 ans. Ensuite il est envoyé auprès du duc Kieou-Tchou qui veut se libérer du protectorat Min. Bien malgré  lui, Tcheou est envoyé en ambassadeur auprès du roi Min. Il y aura un eunuque, des brigands et beaucoup de sang dans l’histoire. Mais grâce à sa perspicacité et à sa ruse, Tchouang Tcheou se tirera d’affaire. 

Et finalement, après toutes ces péripéties, il retournera chez son beau-père, qui l’enverra au loin, au Pavillon du Torrent Vert avec sa femme et ses deux concubines. Retour au calme, à la vie douce et à la méditation (avec quand même quelques beuveries).  Tchouang aura des disciples mais il ne les aimera pas. Ce ne sont que d’infects suiveurs. Petit à petit il vieillit et se détache de tout et meurt.

 

Patrick Rambaud, de l’académie Goncourt, vous est peut-être connu pour ses Chroniques du Règne de Nicolas Ier. Dans « Le Maître », son style léger et agréable coule à vive allure et nous entraîne dans un récit piquant et palpitant mais parfois également plein d’une réflexion qui rejoint tout à fait nos préoccupations contemporaines.

 

Bonne lecture !

 

233 pages Grasset




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