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Nema, j’ai envie d’aller acheter des cailles laquées chez le traiteur
chinois pour le dîner. OK ?
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Oui Sonia, très bonne idée, j’adore. Et cela me fait penser aux cuisines
du duc Wu.
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Ah ? de quoi tu parles ?
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Un roman que je viens de finir de lire. Un beau récit qui se passe en
Chine il y a très très longtemps.
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OK, fais une chronique que je me mette au jus (de caille laquée, hi, hi,
hi…)
Patrick Rambaud |
Sonia
demande,
Nema
obtempère ! Oui, une chronique pour un beau roman qui sort de l’ordinaire et
nous emmène 3 siècles avant JC en
Chine. Ce n’est pas la Chine
d’aujourd’hui, c’est sûr. Une période où de nombreux royaumes aux frontières
instables et aux rois belliqueux ne semblent connaître que guerres,
massacres et pillages. Un peu
Game of Thrones. Mais ce n’est pas une histoire de combattants et il ne s’agit pas d’un
Maître d’armes, mais de la vie imaginaire d’un grand penseur, le
Maître Tchouang.
Tchouang Tcheou
(pour votre information, en chinois on met toujours le nom en premier et le
prénom en second) nait dans une honorable famille, passe sa toute petite
enfance au milieu des femmes (épouse et concubines) de son père mais sans
recevoir beaucoup d’affection. Par exemple, son père ne tolère aucun contact
physique avec ses fils qui ne doivent même pas toucher ses vêtements.
Tchouang Chou, le père, fait partie de cette nouvelle classe sociale de fonctionnaires,
il occupe un poste d’intendant du
Duc dans la cité de
Mong. A dix ans, le petit Tcheou découvre que la vie évolue à chaque instant et que rien n’est
définitif, que tout est complémentaire. Si petit et déjà philosophe ! Comme
il écrit bien, le jeune
Tcheou est embauché grâce à son
père pour tenir la comptabilité des provisions de la
cuisine du Palais. Drôle de façons de faire avec ses collègues et dôle de cuisine où 300
cailles arrivent mais aucune ne sera mangée au
Palais… Pff, envolées les cailles
laquées ! Et puis le Duc Wu est
étranglé par le
chambellan Sun qui prend sa
place. Vite, il faut fuir, tous ceux qui étaient proches de
Wu sont massacrés, leurs maisons
pillées et brulées. Rude époque.
La famille part dans le
pays de Tsi’. Ce royaume est à peu près calme.
Chou s’arrange pour se retrouver
un poste et faire entrer son fils
Tseu dans une association
prestigieuse de penseurs, située sur le
mont Houa, créée par le roi Min. Ces reclus portent un bonnet carré, carré comme le sommet du
mont Houa. Tcheou n’est pas trop tenté
par ce genre d’académie. Son père le rassure en lui disant qu’on lui
demandera juste de trousser des sentences obscures. A noter que les
intellectuels qui suivent le confucianisme portent des bonnets ronds. Il est
évident, n’est-ce pas, que ce qui sort de dessous des bonnets carrés ne peut
en rien être semblable à ce qui sort de dessous des bonnets ronds. Les
réflexions de l’ami de Tcheou à
l’académie, Wen Tse, sont parfois très acerbes et il tient des propos très vifs à l’encontre
de ceux qui dévient de la ligne de conduite initiale de
Confucius.
Mont Houa |
A 20 ans, Tchouang Tcheou assis sous un banyan reçoit la visite de son père : il est question
de convaincre le roi Min de
chasser l’horrible usurpateur
Sun du
Song. Les réfugiés du Song sont
priés de donner leur avis sur la question, mais
Tcheou n’a «
aucun avis sur rien ».
Wen Tse accompagne
Tcheou et son père. Ils
assistent à la démonstration d’éloquence du
baron Kieou-Tchou qui tente de
convaincre Min de délivrer le
Song du
Sun (accessoirement pour le
mettre à sa place). Le roi perplexe va demander l’avis des penseurs, dont
celui de Wen Tse. Et finalement la guerre est lancée.
Retour au Song. Kieou-Tchou est mis à la tête du Song qui est devenu un protectorat du Tsi’. Chou retrouve des activités prestigieuses et réengage des danseuses etc… Tcheou est nommé Superviseur des Laques. Un beau métier avec un logement de fonction en pleine campagne. Il cultive son jardin, vit tranquillement avec ses ouvriers et ses concubines, dialogue avec un enfant appelé numéro Six (il n’est pas rare en Chine de donner juste le numéro dans l’ordre de naissance comme prénom à un enfant : numéro Six est le 6ème enfant d’une fratrie), refuse les machines pour faciliter le travail de son équipe. Il est très écolo : si on veut entendre des oiseaux, on plante un arbre et on attend qu’ils viennent, on ne les capture pas pour les mettre en cage.
Banian |
A 30 ans, son père a de nouveaux des projets pour lui. D’abord il doit se
marier avec Chao-Yun, Nuage du matin, qui a 15 ans. Ensuite il est envoyé auprès du duc
Kieou-Tchou qui veut se
libérer du protectorat Min. Bien malgré lui,
Tcheou est envoyé en
ambassadeur auprès du
roi Min. Il y aura un eunuque, des brigands et beaucoup de sang dans l’histoire.
Mais grâce à sa perspicacité et à sa ruse,
Tchouang Tcheou se tirera
d’affaire.
Et finalement, après toutes ces péripéties, il retournera chez son
beau-père, qui l’enverra au loin, au
Pavillon du Torrent Vert avec
sa femme et ses deux concubines. Retour au calme, à la vie douce et à la
méditation (avec quand même quelques beuveries).
Tchouang aura des disciples
mais il ne les aimera pas. Ce ne sont que d’infects suiveurs. Petit à
petit il vieillit et se détache de tout et meurt.
Patrick Rambaud, de l’académie Goncourt, vous est peut-être connu pour ses Chroniques du
Règne de Nicolas Ier. Dans « Le Maître », son style léger et agréable
coule à vive allure et nous entraîne dans un récit piquant et palpitant
mais parfois également plein d’une réflexion qui rejoint tout à fait nos
préoccupations contemporaines.
Bonne lecture !
233 pages Grasset
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