Un mardi matin, Claude Toon a débarqué masqué (non pas pour faire la bise, COVID oblige), mais pour proposer une pige et papoter… Sonia était également là…
- Ouiiii Claude, je peux entrer, on a l'air nul avec nos masques, sympa
de passer, et en plus tu tapes un papier… Ah nostalgie quand tu nous
prends
- Eh oui ma belle Sonia… Attention où tu mets les pieds, une petite souris
squatte mon bureau pour élever une portée… Pas peur des souris ?
- Pas du tout, mais il faudra les lâcher dans la nature plus tard… Hihi,
si Nema était là, elle serait debout sur une chaise, hurlante et
terrorisée… Bizarre Nema parfois…
- Ah bon… Plus concrètement, je prépare un billet sur la 6ème symphonie de
Dvořák, moins connue que celle dite du nouveau monde, mais bucolique et
euphorique !…
- Waouh, pas cool le nom du chef, un tchèque vu les accents… On fait
comment pour les conserver sur les majuscules…
- Tu utilises le correcteur orthographique tchèque sur les noms… Au fait,
ça va maintenant avec le nouveau blogger ?
- Moui on s'y fait, mais je profiterai de ta visite pour poser quelques
questions… Et à midi, j'irai acheter des graines pour petits rongeurs chez
Animalux !
Quelle galère pour dénicher une photo ou une gravure de Dvořák datant d'avant 1877, année où il commence à se faire un nom dans l'univers de la musique
romantique de la seconde moitié du XIXème siècle ! 1877 : L'année pendant laquelle, après avoir dû cruellement affronter la mort
de ses trois premiers enfants en bas âge, il composa sa première œuvre qui
rencontrera enfin un réel succès lors de sa création en 1880 : le Stabat Mater, œuvre religieuse ambitieuse en guise d'exorcisme de son chagrin. Un
article détaillé a été consacré à cet ouvrage (Clic). Impossible de dater avec précision l'illustration ci-contre, sans doute
vers 1870, année où le compositeur trentenaire cherche la reconnaissance entre
composition et enseignement… Ah si ! 1868, 27 ans… Merci Wikipédia😉.
Douzième article dans le blog dédié à Anton Dvořák. Nous avons écouté depuis une dizaine d'années ses hits : le concerto pour violoncelle, les trois dernières symphonies (7 à 9), les quatuors "Américain" (N° 12) et le N°14, le quintette "Dumka", et les deux ouvrages sacrés les plus marquants : le Requiem et le Stabat Mater. Certains diraient "l'essentiel", est-ce un jugement pertinent ou restrictif ?
Dans les billets précédents, on pourra lire une biographie résumée
d'Anton
(Clic)
et des informations plus détaillées sur la seconde moitié de sa vie
(1841-1904), la plus féconde en chefs-d'œuvre…
À la lecture de mes articles des années plus tard, je constate quelques
jugements hâtifs sur la production du compositeur débutant. Musicien
pourtant précoce dès l'âge de six ans, mon opinion suggère un talent
incontestable mais besogneux avant la quarantaine. Ô, n'y voyez aucune
critique arrogante, mais force est de constater qu'à l'inverse des Mozart, Schubert
ou Mendelssohn, Dvořák
ne révèlera une inspiration et une écriture inventives et géniales que
tardivement. J'avais argumenté en soulignant des faiblesses sur la durée
et dans l'attrait mélodique. Anton
Dvořák
se passionnera pour la composition des quatuors et des ouvrages
symphoniques. Dans les deux cas, les premières œuvres souffrent de
longueurs (troisième quatuor de 1H10 😌* ; deuxième symphonie
de 1 H !), et par ailleurs : une thématique assez pauvre et des
développements sans fin pouvant expliquer une certaine lassitude à
l'écoute. Juste "certaine" car le recours à maints airs populaires et
folkloriques offrent à ces partitions fleuves un climat sympathique et
rural. (*Les quatuors de jeunesse sont très méconnus et très peu enregistrés ;
en présentant le quatuor N°15 de 45 minutes de
Schubert
lors d'un concert, l'altiste du
quatuor Manfred
avait prétendu que ce monument de
Franz
était le plus long quatuor jamais écrit. Le
quatuor Manfred
est un ensemble de très haut niveau… Donc, c'est tout dire sur l'oubli
dont est victime ce répertoire initial !)
Dresser le catalogue des ouvrages de Dvořák
a rencontré une grande difficulté de par la différence nette d'intérêt
entre les productions des deux périodes créatrices (ajoutons : manuscrits
égarés ou non publiés). La numérotation par opus constituait un "gruyère"
à la chronologie aléatoire (ex : les
quatuors 2, 3
et
4
n'y figurent pas). Cette classification est abandonnée au bénéfice de
celle établie par le compositeur, maestro et musicologue tchèque
Jarmil Burghauser (1921-1997). Ex : B 112
pour la 6ème symphonie. Pourquoi parler de tels détails, simplement pour montrer qu'il aurait
été dommage de perdre près de la moitié de l'œuvre de Dvořák ; lacune frustrante pour ses admirateurs. Comme expliqué dans le
commentaire de la
3ème symphonie B 34
(ex opus 10), seules les cinq dernières symphonies étaient
référencées jusque dans les années 50, la Symphonie
du "Nouveau monde" portait le
N°5
! À partir de cette date, l'intégrale des neuf symphonies a repris
droit de cité. J'aime beaucoup la 3ème
de 1873 dont les accents pastoraux trouvent un écho bonhomme dans
les
symphonies 5
de 1875 &
6
de 1880. Un soupçon de gravité du propos (limité) n'apparaît que
dans les symphonies 7
& 8
de 1885 et 1889. Comme Mozart, Dvořák
privilégiait les tonalités majeures, plus optimistes.
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Hanslick idolâtrant Brahms |
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, la forme symphonie semble délaissée. Nous sommes au siècle de l'opéra et de l'opérette, du meilleur au pire… Après la mort de Beethoven en 1827, le fondateur de la symphonie romantique, Schumann et Mendelssohn s'imposent un peu seuls outre-Rhin et d'autres de manière isolée comme Berlioz qui s'évade de la structure classique… Une foule de compositeurs s'y essaye mais la lourdeur et l'indigence lyrique du résultat envoie tout cela aux oubliettes dans l'attente que des petits labels les ressuscitent récemment pour les fans curieux… Entre Vienne et Prague, trois compositeurs vont tenter de s'opposer à ce déclin. Anton Bruckner, admirateur de Wagner, dont toutes les œuvres élégiaques et mystiques, au contrepoint sophistiqué, ont été commentées. Brahms (1833-1897), lui, hésite, bien qu'adulé comme compositeur, il ne compose sa 1ère symphonie qu'en 1876 à l'âge de 43 ans pour relever le défi. Trois autres chefs d'œuvres suivront.
Dvořák
plus héroïque le devance dès 1865 avec sa longuette
1ère Symphonie
"Les Cloches de Zlonice"
B 9. Il la fait concourir en Allemagne ; peine perdue, le manuscrit est refusé
et égaré ! (Retrouvé en 1923…). Pourtant l'orchestration est
originale avec son cor anglais et son piccolo. Aucunement découragé, Dvořák
compose dans la foulée la
2ème
qui attendra 1888 pour trouver son public. 1873 : écriture de
la
3ème
que j'aime tant. Dvořák
transgresse la forme, trois mouvements, et ajoute : harpe, triangle, piccolo
et tuba… Une fois de plus, Dvořák
propose le manuscrit à un concours viennois présidé par le prétentieux et
antiwagnérien critique Hanslick… Atout majeur de l'affaire, Brahms
fait partie du jury ; Dvořák
y gagne le premier prix et une bourse pour travailler à Vienne. Il se lie
d'amitié pour la vie avec Brahms
et, malgré un conflit nationaliste délétère entre l'Autriche et la Bohème,
ses symphonies 3 à 5 pourront être créées et appréciées à défaut d'être
publiées dans l'immédiat.
Et nous voici enfin (dirait Sonia) en 1880. Brahms a franchi le pas en composant coup sur coup ses
deux premières symphonies, deux chefs-d'œuvre et deux triomphes. Wagner
avait tort quand il professait "inutile d'écrire des symphonies après Beethoven"…
Points communs chez les deux symphonistes : un goût marqué pour le
néoclassicisme rénové, l'intérêt pour les musiques folkloriques ; les
danses hongroises
et les deux cahiers de
danses slaves
sont contemporaines et seront édités par Simrock, éditeur allemand de
Père en Fils… Fritz Simrock déjà ami de Brahms
acceptera d'éditer Dvořák
; dernier personnage important, le célèbre maestro allemand
Hans Richter, autant serviteur de Wagner
que de Brahms
et de Bruckner… Ce denier commande la
6ème symphonie
à Dvořák
qui achève la partition à l'automne 1880. Hélas
Richter
ne pourra la créer à Vienne devant faire face à une bronca des musiciens
anti-tchèques de l'orchestre L
!! Il avait créé en 1877 la
2ème
de Brahms, symphonie cousine de la
6ème
de Dvořák. Qui a dit que, trop admirés, les musiciens de la
Philharmonie de Vienne
sont réacs ? La première aura lieu à Prague sous la baguette d'Adolf Čech
en mars 1881. Un beau succès suivi de reprises à Leipzig, Londres…
Quatre mouvements et une orchestration traditionnelle : 2/2/2/2, 4 cors, 2
trompettes, 3 trombones + tuba, timbales et cordes.
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Jiří Bělohlávek à Prague en 2014 |
La photo ci-contre date de 2014, trois ans avant la disparition du
chef tchèque Jiří
Bělohlávek
à 71 ans en 2017. Le visage rond, le sourire affiché, une
chevelure bouclée qui me rend jaloux. Une photo de 2017 nous montre
cet artiste tel un figurant pour un documentaire sur l'Holocauste ;
chauve, émacié, décharné par un cancer, mais… dirigeant la philharmonie tchèque
que l'on lui avait confiée en 2012 pour rehausser le niveau très en
baisse… La passion jusqu'au bout (pour la musique et au sens
christique).
Né à Prague en 1946, Jiří
Bělohlávek
a été l'élève de l'exigeant
Sergiu Celibidache
ce qui peut expliquer la précision sans pathos de ses interprétations.
Après un passage comme chef de l'orchestre de Prague, de 1990 (après la révolution de velours) à 1992, il dirige la très célèbre
Philharmonie Tchèque, phalange d'exception au son chaleureux forgé par
Karel Ančerl
(1950–1968) puis
Václav Neumann
(1968–1989), presque 40 ans. Il le retrouvera donc en
2012 pour achever sa carrière. De 2006 à 2013 il
devient chef principal de l'Orchestre symphonique de la BBC. Orchestre que nous écoutons pour la gravure de ce jour. Il connait bien
cet orchestre lors de sa nomination et lui restera fidèle jusqu'à son
décès. Spécialiste de Dvořák, il a réalisé en 2014 des DVDs comprenant des présentations
pédagogiques et des lectures exceptionnelles des neuf symphonies avec la
Philharmonie Tchèque.
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Prague vers 1880 |
1 - Allegro non tanto
: bien qu'épousant globalement la forme sonate, Dvořák
se permet de telles libertés avec les règles d'énoncé et de reprise des
thèmes que votre serviteur devra s'inscrire au cours de composition du
conservatoire pour plonger de manière rigoureuse dans la partition… En fait,
non, car quel intérêt de décortiquer cette musique dans laquelle, avec
gourmandise, Anton
mitonne ses thèmes hors de tout académisme en comptant ses mesures sur ses
doigts.
Je vous ai habitués (pour les amateurs) à des analyses chronométrées. Ici, je n'en ai guère trop envie, partons plutôt en promenade musicale en notant juste quelques repères reflétant le style général de la composition. Un double motif pétillant associant les cors et les altos (deux mesures) anticipe un premier thème bucolique et débonnaire. Un thème versatile et poétique en trois sections : bois et contrebasse, entrée des violons puis fermeture du thème sur un accord flûtes et violons. Aérien et bigarré. Nous sommes à la mesure 11, déjà quatre motifs, d'où ma remarque liminaire sur les limites d'une analyse minutieuse. (Sinon, comme dirait Sonia "à ce train-là"). Dvořák développe entre climat populaire et épique ses matériaux. J'aide : exposition discrète du second thème [0:32] aux violoncelles secondés par les seconds violons. Il n'y a pas réellement de rupture de ton.
On pensera comme évoqué avant à l'influence de Brahms
et sa seconde symphonie, moins épique que la 1ère. Le travail
mélodique est délicieusement diversifié. Ainsi à [1:04], un surprenant thème
secondaire dérivé du thème 1 surgit, scandé avec virilité par les trombones.
Le mouvement malgré son climat pastoral ne s'inspire en aucun cas de chants
populaires précis ; Dvořák
s'adonne à l'exercice de la musique pure, plus impressionniste que
descriptive. [5:05] Un passage élégiaque et drolatique (les flûtes s'amusent), construit autour d'un mélange des motifs initiaux et secondaires, anime
la partie centrale jusqu'à [7:22] où s'esquisse une reprise imaginative
complexe mais aisée à suivre. Dvořák
associe des cellules mélodiques attachantes pour maintenir l'attention mais
en usant de fantaisies qui renvoient bien loin les répétitions monotones des
ouvrages antérieurs. La coda n'est que réjouissance avec un rappel cuivré du
thème initial…
2 – Adagio
: [12:58] Encore une forme peu usuelle pour le mouvement lent : un rondo
mêlant une thématique romantique et des variations. Une douce introduction
mélodieuse et colorée est entonnée par les hautbois rejoints par les
flûtes et les clarinettes puis les bassons et enfin les cors, mesure par
mesure. Ne rigolez pas ! J'attire l'attention sur une kyrielle
instrumentale qui met à rude épreuve la cohésion de l'orchestre. Le thème
sensuel s'élance aux premiers violons. Le climat se veut nocturne et
passionné. Là encore Dvořák
complexifie son langage, chorégraphie la ligne mélodique telle une balade.
Un écho du thème principal se fait entendre aux cors, lointain… [14:38] Le
récit s'accélère plus syncopé avec le chant fantasque du hautbois.
Dvořák
a découvert le bonheur d'écrire en toute liberté, de s'affranchir des
obligations scolaires tant pour la mélodie très ondoyante que pour
l'orchestration joliment concertante. Nous parlions de variations. [15:04]
les violons soupirent de volupté ; [15:32] le hautbois se fait chagrin,
soutenu par de facétieux pizzicati ; etc. les épisodes se succèdent.
[17:48] Le thème conducteur se fait entendre aux violoncelles… Plusieurs
musicologues affirment à juste raison que Dvořák
nous offre ici l'une de ses plus belles pages symphoniques. [17:55] Le
flot orchestral s'anime, devient épique pour atteindre un climax héroïque
et puissant dans lequel les cuivres prennent enfin la parole [18:20]. Une
vaillante et longue péroraison autour du thème initial conclut tendrement
l'adagio montrant un désir d'affirmer une voluptueuse symétrie entre
l'introduction et la conclusion du mouvement.
3 - Scherzo : Furiant (Presto)
: [24:02] le scherzo répond à la stricte forme tripartite habituelle, Brahms,
lui, se voulait à contre-courant pour cet intermède avant le final. La
rythmique obéit à celle du furiant, une danse en vogue en Bohème avec ses
temps et contretemps. Le scherzo oppose un premier thème scandé et
énergique répété deux fois, [24:30] Le second thème se veut moins rigide,
dansant. Il intègre la base du thème 1 et de jolis dialogues de
clarinettes. [27:19] Dans le trio, flûte et hautbois exposent un thème
plus élégiaque, l'orchestration étant d'une grande finesse. [29:54] Le
retour du scherzo est bref, sans répétition, et se conclut par [39:42] une
coda fuguée et vivace. Une bonne idée dans ce scherzo assez banal, les
reprises da capo comme chez Bruckner
peuvent lasser… Encore une révélation pour
Dvořák
: la brièveté et les entorses aux normes égaillent les scherzos !
4 - Finale : Allegro con spirito
: [31:46] le final s'articule en forme sonate sur deux thèmes, donc très
classiquement. Une musique pétulante mais plus ordinaire que celle des
deux premiers mouvements. Il y a une belle énergie, mais le discours
semblera un peu vain. La coda est flamboyante. Elle traduit une joie
intérieure qui a mis tant de temps à se révéler chez ce compositeur mal
aimé, ce qui est encore vrai à propos des symphonies 1 à 6.
La direction de Jiří
Bělohlávek
est exceptionnelle : tempo rigoureux, contraste élégant, récit sans
pathos, gaité omniprésente. Un orchestre anglais sonne souvent de manière
franche et disciplinée. C'est un atout majeur dans cette musique rutilante
et un peu folle.
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