mercredi 21 octobre 2020

DVOŘÁK - Symphonie N°6 (1880) - Jiří BĚLOHLÁVEK (1999) - par Claude Toon



Un mardi matin, Claude Toon a débarqué masqué (non pas pour faire la bise, COVID oblige), mais pour proposer une pige et papoter… Sonia était également là…

- Ouiiii Claude, je peux entrer, on a l'air nul avec nos masques, sympa de passer, et en plus tu tapes un papier… Ah nostalgie quand tu nous prends
- Eh oui ma belle Sonia… Attention où tu mets les pieds, une petite souris squatte mon bureau pour élever une portée… Pas peur des souris ?
- Pas du tout, mais il faudra les lâcher dans la nature plus tard… Hihi, si Nema était là, elle serait debout sur une chaise, hurlante et terrorisée… Bizarre Nema parfois…
- Ah bon… Plus concrètement, je prépare un billet sur la 6ème symphonie de Dvořák, moins connue que celle dite du nouveau monde, mais bucolique et euphorique !

- Waouh, pas cool le nom du chef, un tchèque vu les accents… On fait comment pour les conserver sur les majuscules…
- Tu utilises le correcteur orthographique tchèque sur les noms… Au fait, ça va maintenant avec le nouveau blogger ?
- Moui on s'y fait, mais je profiterai de ta visite pour poser quelques questions… Et à midi, j'irai acheter des graines pour petits rongeurs chez Animalux !


Quelle galère pour dénicher une photo ou une gravure de Dvořák datant d'avant 1877, année où il commence à se faire un nom dans l'univers de la musique romantique de la seconde moitié du XIXème siècle ! 1877 : L'année pendant laquelle, après avoir dû cruellement affronter la mort de ses trois premiers enfants en bas âge, il composa sa première œuvre qui rencontrera enfin un réel succès lors de sa création en 1880 : le Stabat Mater, œuvre religieuse ambitieuse en guise d'exorcisme de son chagrin. Un article détaillé a été consacré à cet ouvrage (Clic). Impossible de dater avec précision l'illustration ci-contre, sans doute vers 1870, année où le compositeur trentenaire cherche la reconnaissance entre composition et enseignement… Ah si ! 1868, 27 ans… Merci Wikipédia😉.


Douzième article dans le blog dédié à Anton Dvořák. Nous avons écouté depuis une dizaine d'années ses hits : le concerto pour violoncelle, les trois dernières symphonies (7 à 9), les quatuors "Américain(N° 12) et le N°14, le quintette "Dumka", et les deux ouvrages sacrés les plus marquants : le Requiem et le Stabat Mater. Certains diraient "l'essentiel", est-ce un jugement pertinent ou restrictif ?

Dans les billets précédents, on pourra lire une biographie résumée d'Anton (Clic) et des informations plus détaillées sur la seconde moitié de sa vie (1841-1904), la plus féconde en chefs-d'œuvre…

À la lecture de mes articles des années plus tard, je constate quelques jugements hâtifs sur la production du compositeur débutant. Musicien pourtant précoce dès l'âge de six ans, mon opinion suggère un talent incontestable mais besogneux avant la quarantaine. Ô, n'y voyez aucune critique arrogante, mais force est de constater qu'à l'inverse des Mozart, Schubert ou Mendelssohn, Dvořák ne révèlera une inspiration et une écriture inventives et géniales que tardivement. J'avais argumenté en soulignant des faiblesses sur la durée et dans l'attrait mélodique. Anton Dvořák se passionnera pour la composition des quatuors et des ouvrages symphoniques. Dans les deux cas, les premières œuvres souffrent de longueurs (troisième quatuor de 1H10 😌* ; deuxième symphonie de 1 H !), et par ailleurs : une thématique assez pauvre et des développements sans fin pouvant expliquer une certaine lassitude à l'écoute. Juste "certaine" car le recours à maints airs populaires et folkloriques offrent à ces partitions fleuves un climat sympathique et rural. (*Les quatuors de jeunesse sont très méconnus et très peu enregistrés ; en présentant le quatuor N°15 de 45 minutes de Schubert lors d'un concert, l'altiste du quatuor Manfred avait prétendu que ce monument de Franz était le plus long quatuor jamais écrit. Le quatuor Manfred est un ensemble de très haut niveau… Donc, c'est tout dire sur l'oubli dont est victime ce répertoire initial !)

 

Dresser le catalogue des ouvrages de Dvořák a rencontré une grande difficulté de par la différence nette d'intérêt entre les productions des deux périodes créatrices (ajoutons : manuscrits égarés ou non publiés). La numérotation par opus constituait un "gruyère" à la chronologie aléatoire (ex : les quatuors 2, 3 et 4 n'y figurent pas). Cette classification est abandonnée au bénéfice de celle établie par le compositeur, maestro et musicologue tchèque Jarmil Burghauser (1921-1997). Ex : B 112 pour la 6ème symphonie. Pourquoi parler de tels détails, simplement pour montrer qu'il aurait été dommage de perdre près de la moitié de l'œuvre de Dvořák ; lacune frustrante pour ses admirateurs. Comme expliqué dans le commentaire de la 3ème symphonie B 34 (ex opus 10), seules les cinq dernières symphonies étaient référencées jusque dans les années 50, la Symphonie du "Nouveau monde" portait le N°5 ! À partir de cette date, l'intégrale des neuf symphonies a repris droit de cité. J'aime beaucoup la 3ème de 1873 dont les accents pastoraux trouvent un écho bonhomme dans les symphonies 5 de 1875 & 6 de 1880. Un soupçon de gravité du propos (limité) n'apparaît que dans les symphonies 7 & 8 de 1885 et 1889. Comme Mozart, Dvořák privilégiait les tonalités majeures, plus optimistes.

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Hanslick idolâtrant Brahms

Dans la seconde moitié du XIXème siècle, la forme symphonie semble délaissée. Nous sommes au siècle de l'opéra et de l'opérette, du meilleur au pire… Après la mort de Beethoven en 1827, le fondateur de la symphonie romantique, Schumann et Mendelssohn s'imposent un peu seuls outre-Rhin et d'autres de manière isolée comme Berlioz qui s'évade de la structure classique… Une foule de compositeurs s'y essaye mais la lourdeur et l'indigence lyrique du résultat envoie tout cela aux oubliettes dans l'attente que des petits labels les ressuscitent récemment pour les fans curieux… Entre Vienne et Prague, trois compositeurs vont tenter de s'opposer à ce déclin. Anton Bruckner, admirateur de Wagner, dont toutes les œuvres élégiaques et mystiques, au contrepoint sophistiqué, ont été commentées. Brahms (1833-1897), lui, hésite, bien qu'adulé comme compositeur, il ne compose sa 1ère symphonie qu'en 1876 à l'âge de 43 ans pour relever le défi. Trois autres chefs d'œuvres suivront.

Dvořák plus héroïque le devance dès 1865 avec sa longuette 1ère Symphonie "Les Cloches de Zlonice" B 9. Il la fait concourir en Allemagne ; peine perdue, le manuscrit est refusé et égaré ! (Retrouvé en 1923…). Pourtant l'orchestration est originale avec son cor anglais et son piccolo. Aucunement découragé, Dvořák compose dans la foulée la 2ème qui attendra 1888 pour trouver son public. 1873 : écriture de la 3ème que j'aime tant. Dvořák transgresse la forme, trois mouvements, et ajoute : harpe, triangle, piccolo et tuba… Une fois de plus, Dvořák propose le manuscrit à un concours viennois présidé par le prétentieux et antiwagnérien critique Hanslick… Atout majeur de l'affaire, Brahms fait partie du jury ; Dvořák y gagne le premier prix et une bourse pour travailler à Vienne. Il se lie d'amitié pour la vie avec Brahms et, malgré un conflit nationaliste délétère entre l'Autriche et la Bohème, ses symphonies 3 à 5 pourront être créées et appréciées à défaut d'être publiées dans l'immédiat.

Et nous voici enfin (dirait Sonia) en 1880. Brahms a franchi le pas en composant coup sur coup ses deux premières symphonies, deux chefs-d'œuvre et deux triomphes. Wagner avait tort quand il professait "inutile d'écrire des symphonies après Beethoven"…


Points communs chez les deux symphonistes : un goût marqué pour le néoclassicisme rénové, l'intérêt pour les musiques folkloriques ; les danses hongroises et les deux cahiers de danses slaves sont contemporaines et seront édités par Simrock, éditeur allemand de Père en Fils… Fritz Simrock déjà ami de Brahms acceptera d'éditer Dvořák ; dernier personnage important, le célèbre maestro allemand Hans Richter, autant serviteur de Wagner que de Brahms et de Bruckner… Ce denier commande la 6ème symphonie à Dvořák qui achève la partition à l'automne 1880. Hélas Richter ne pourra la créer à Vienne devant faire face à une bronca des musiciens anti-tchèques de l'orchestre L !! Il avait créé en 1877 la 2ème de Brahms, symphonie cousine de la 6ème de Dvořák. Qui a dit que, trop admirés, les musiciens de la Philharmonie de Vienne sont réacs ?  La première aura lieu à Prague sous la baguette d'Adolf Čech en mars 1881. Un beau succès suivi de reprises à Leipzig, Londres…

Quatre mouvements et une orchestration traditionnelle : 2/2/2/2, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones + tuba, timbales et cordes.

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Jiří Bělohlávek à Prague en 2014

La photo ci-contre date de 2014, trois ans avant la disparition du chef tchèque Jiří Bělohlávek à 71 ans en 2017. Le visage rond, le sourire affiché, une chevelure bouclée qui me rend jaloux. Une photo de 2017 nous montre cet artiste tel un figurant pour un documentaire sur l'Holocauste ; chauve, émacié, décharné par un cancer, mais… dirigeant la philharmonie tchèque que l'on lui avait confiée en 2012 pour rehausser le niveau très en baisse… La passion jusqu'au bout (pour la musique et au sens christique).

Né à Prague en 1946, Jiří Bělohlávek a été l'élève de l'exigeant Sergiu Celibidache ce qui peut expliquer la précision sans pathos de ses interprétations. Après un passage comme chef de l'orchestre de Prague, de 1990 (après la révolution de velours) à 1992, il dirige la très célèbre Philharmonie Tchèque, phalange d'exception au son chaleureux forgé par Karel Ančerl (1950–1968) puis Václav Neumann (1968–1989), presque 40 ans. Il le retrouvera donc en 2012 pour achever sa carrière. De 2006 à 2013 il devient chef principal de l'Orchestre symphonique de la BBC. Orchestre que nous écoutons pour la gravure de ce jour. Il connait bien cet orchestre lors de sa nomination et lui restera fidèle jusqu'à son décès. Spécialiste de Dvořák, il a réalisé en 2014 des DVDs comprenant des présentations pédagogiques et des lectures exceptionnelles des neuf symphonies avec la Philharmonie Tchèque

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Prague vers 1880

1 - Allegro non tanto : bien qu'épousant globalement la forme sonate, Dvořák se permet de telles libertés avec les règles d'énoncé et de reprise des thèmes que votre serviteur devra s'inscrire au cours de composition du conservatoire pour plonger de manière rigoureuse dans la partition… En fait, non, car quel intérêt de décortiquer cette musique dans laquelle, avec gourmandise, Anton mitonne ses thèmes hors de tout académisme en comptant ses mesures sur ses doigts.

Je vous ai habitués (pour les amateurs) à des analyses chronométrées. Ici, je n'en ai guère trop envie, partons plutôt en promenade musicale en notant juste quelques repères reflétant le style général de la composition. Un double motif pétillant associant les cors et les altos (deux mesures) anticipe un premier thème bucolique et débonnaire. Un thème versatile et poétique en trois sections : bois et contrebasse, entrée des violons puis fermeture du thème sur un accord flûtes et violons. Aérien et bigarré. Nous sommes à la mesure 11, déjà quatre motifs, d'où ma remarque liminaire sur les limites d'une analyse minutieuse. (Sinon, comme dirait Sonia "à ce train-là"). Dvořák développe entre climat populaire et épique ses matériaux. J'aide : exposition discrète du second thème [0:32]  aux violoncelles secondés par les seconds violons. Il n'y a pas réellement de rupture de ton. 

On pensera comme évoqué avant à l'influence de Brahms et sa seconde symphonie, moins épique que la 1ère. Le travail mélodique est délicieusement diversifié. Ainsi à [1:04], un surprenant thème secondaire dérivé du thème 1 surgit, scandé avec virilité par les trombones. Le mouvement malgré son climat pastoral ne s'inspire en aucun cas de chants populaires précis ; Dvořák s'adonne à l'exercice de la musique pure, plus impressionniste que descriptive. [5:05] Un passage élégiaque et drolatique (les flûtes s'amusent), construit autour d'un mélange des motifs initiaux et secondaires, anime la partie centrale jusqu'à [7:22] où s'esquisse une reprise imaginative complexe mais aisée à suivre. Dvořák associe des cellules mélodiques attachantes pour maintenir l'attention mais en usant de fantaisies qui renvoient bien loin les répétitions monotones des ouvrages antérieurs. La coda n'est que réjouissance avec un rappel cuivré du thème initial…


2 – Adagio : [12:58] Encore une forme peu usuelle pour le mouvement lent : un rondo mêlant une thématique romantique et des variations. Une douce introduction mélodieuse et colorée est entonnée par les hautbois rejoints par les flûtes et les clarinettes puis les bassons et enfin les cors, mesure par mesure. Ne rigolez pas ! J'attire l'attention sur une kyrielle instrumentale qui met à rude épreuve la cohésion de l'orchestre. Le thème sensuel s'élance aux premiers violons. Le climat se veut nocturne et passionné. Là encore Dvořák complexifie son langage, chorégraphie la ligne mélodique telle une balade. Un écho du thème principal se fait entendre aux cors, lointain… [14:38] Le récit s'accélère plus syncopé avec le chant fantasque du hautbois.

Dvořák a découvert le bonheur d'écrire en toute liberté, de s'affranchir des obligations scolaires tant pour la mélodie très ondoyante que pour l'orchestration joliment concertante. Nous parlions de variations. [15:04] les violons soupirent de volupté ; [15:32] le hautbois se fait chagrin, soutenu par de facétieux pizzicati ; etc. les épisodes se succèdent. [17:48] Le thème conducteur se fait entendre aux violoncelles… Plusieurs musicologues affirment à juste raison que Dvořák nous offre ici l'une de ses plus belles pages symphoniques. [17:55] Le flot orchestral s'anime, devient épique pour atteindre un climax héroïque et puissant dans lequel les cuivres prennent enfin la parole [18:20]. Une vaillante et longue péroraison autour du thème initial conclut tendrement l'adagio montrant un désir d'affirmer une voluptueuse symétrie entre l'introduction et la conclusion du mouvement.


3 - Scherzo : Furiant (Presto) : [24:02] le scherzo répond à la stricte forme tripartite habituelle, Brahms, lui, se voulait à contre-courant pour cet intermède avant le final. La rythmique obéit à celle du furiant, une danse en vogue en Bohème avec ses temps et contretemps. Le scherzo oppose un premier thème scandé et énergique répété deux fois, [24:30] Le second thème se veut moins rigide, dansant. Il intègre la base du thème 1 et de jolis dialogues de clarinettes. [27:19] Dans le trio, flûte et hautbois exposent un thème plus élégiaque, l'orchestration étant d'une grande finesse. [29:54] Le retour du scherzo est bref, sans répétition, et se conclut par [39:42] une coda fuguée et vivace. Une bonne idée dans ce scherzo assez banal, les reprises da capo comme chez Bruckner peuvent lasser… Encore une révélation pour Dvořák : la brièveté et les entorses aux normes égaillent les scherzos !

 

4 - Finale : Allegro con spirito : [31:46] le final s'articule en forme sonate sur deux thèmes, donc très classiquement. Une musique pétulante mais plus ordinaire que celle des deux premiers mouvements. Il y a une belle énergie, mais le discours semblera un peu vain. La coda est flamboyante. Elle traduit une joie intérieure qui a mis tant de temps à se révéler chez ce compositeur mal aimé, ce qui est encore vrai à propos des symphonies 1 à 6.

La direction de Jiří Bělohlávek est exceptionnelle : tempo rigoureux, contraste élégant, récit sans pathos, gaité omniprésente. Un orchestre anglais sonne souvent de manière franche et disciplinée. C'est un atout majeur dans cette musique rutilante et un peu folle.

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