Un chef d’orchestre, à quoi ça sert ? Une question que beaucoup de
personnes se posent. Je vais essayer d’y répondre avec quelques anecdotes
drôles sans pour autant être ennuyeux, gonflant, barbant, assommant,
casse-pieds voir emmerdant !
UN MUSICIEN SANS INSTRUMENT
Pendant un concert, coté public, vous ne distinguerez qu’un homme, de dos,
vêtu d’une jaquette ou d’un habit flatteur, se débattre en d’inexplicables
convulsions. C’est tantôt risible et tantôt séduisant, elles donnent à
penser que la personne dans son vêtement préside une cérémonie musicale mais
aussi chorégraphique. Coté orchestre, on voit ce que l’on doit voir
c’est-à-dire le capitaine d’un navire qui dirige son bateau en évitant les
récifs.
Chef dans l'Egypte ancienne
Mais revenons au début et remontons à l’Egypte ancienne où le chef tenait
la position du scribe, chez les Grecs, il se trouvait au milieu du chœur et
battait la mesure avec le pied chaussé de sandales en bois ou de fer.
Souligner les rythmes avec des bruits audibles par les musiciens (mais
malheureusement aussi par les auditeurs) vont perdurer jusqu’au XXVIIe
siècle. On ne frappe plus avec le pied ou la main, mais avec un bâton qui
heurte le bord du pupitre.
Jean-Baptiste Lully conduisait ses ouvrages
en laissant retomber sur le pavé une lourde canne ferrée qu’il tenait à la
main, le 8 janvier 1687, tandis qu’il dirigeait son «TeDeum», il fit tomber son gourdin sur le gros orteil de son pied droit, ce qui
provoquera une gangrène dont il mourra en quelques jours. Le fameux bâton
bruyant sera remplacé durant un temps par un rouleau de papier qui permettra
d’émettre des signaux silencieux. Au début du XIXe siècle le chef
d’orchestre François Habeneck à qui l’on
doit la création de la «Symphonie Fantastique» et du scandale du «Tuba mirum» dans le «Requiem» d’HectorBerlioz est souvent représenté avec
un rouleau dans une main et dans l’autre une liasse de feuillets autrement
dit la partition. A la même époque les chefs se voient offrir de lourds
bâtons d’ébène ou de palissandre sculptés. La fine baguette de peuplier de
vingt à trente grammes actuellement à l’honneur serait apparu vers
1820. Le Russe
Vassili Safonovest considéré comme le premier chef d'orchestre moderne à diriger
complètement sans baguette. Voila pour son outil de travail !
Hector Berlioz
Quels sont les bons chefs parmi les compositeurs ? Dans les grands
chefs romantiques, je placerais
Mendelssohn, Wagner et
Berlioz. Il ne faut pas croire qu’un grand
compositeur soit un chef remarquable.
Beethoven devait être assurément gêné par
sa surdité qui devait l’empêcher d’entendre les instruments surtout
lorsqu’ils jouaient pianissimo. Le musik direktor de
Düsseldorf Robert Schumann dirigeait très
mal ses propres compositions auxquels il impose des tempi exagérément
ralentis, mais cela serait du, parait-il, à un signe de sa maladie mental.
Gabriel Fauré est à l’opposé du chef
brillant. Claude Debussy et
Maurice Ravel sèment la panique dans
l’orchestre, en 1931Ravel dirige
son «Concerto en sol» avec Marguerite Long au piano, il se
laissera distancer de trois mesures par la virtuose dans le finale. En
revanche Richard Strauss, qu’il s’agisse de
ses ouvrages ou de ceux de Mozart ou de
Wagner sera un chef admirable qui obtient
tout en faisant très peu de geste. Et n’oublions pas
Franz Liszt et
Gustav Mahler réputés comme de bons
chefs.
Vous vous posez toujours la question : «Mais à quoi sert-il ?», dans les années 30 au Etats-Unis, un orchestre avait été entraîné
spécialement pour jouer sans chef et le résultat fût…
catastrophique ! Les critiques furent sévères, ils trouvaient
que la musique avait perdu son âme. Quelle posture le chef
d’orchestre doit-il prendre pour diriger ? Pendant longtemps, il
avait l’habitude d’être face aux chanteurs et l’orchestre dans son dos. A
quoi succédera la place au milieu de l’orchestre faisant partir les
instrumentistes placés devant lui d’un mouvement de baguette et dirige les
autres en agitant les coudes comme un canard qui prend son vol. Ce sera le
compositeur André Messager qui
l’installera à son poste actuel. Entouré d’une centaine de musiciens (Voir plus) le chef est un homme seul, il va devoir donner des ordres précis rien
qu’avec des gestes. La lecture d’une partition d’orchestre est une
opération difficile qui exige une grande expérience, si tous les
instruments étaient dans la même clé cela serait très simple.
Arturo Toscanini
Certain chefs d’orchestre ont du caractère et l'un des plus célèbres pour
ses colères mémorables sera
Arturo Toscanini. Le chef italien était
incapable de se retenir et à la moindre contrariété il lâchait des bordées
d’insultes allaient à à l'encontre d'un instrumentiste maladroit. On raconte qu’un soir, il s’enragea à corriger
la flûte-solo dans le «Prélude à l’Après-midi d’un Faune». Les invectives pleuvaient sur l’infortuné qui recevait l’averse sans
rien dire. Après un bon quart d’heure l’heure de la pause sonna. Tandis que
le petit homme (Toscanini n’était pas très grand) mettait de l’ordre sur son pupitre encore rouge d’indignation, le
flûtiste s’avança le regarda dans les yeux et lui proféra un «Merde… !» retentissant. Un peu dur d’oreille,
Toscanini feignit de n’avoir rien compris
«Non, non pas d’excuses ! A moi on n’en fait pas !». Ses appréciations sur ses confrères, il ne se gênait pas pour les
formuler au grand jour. Quand il parlait de
WilhelmFurtwängler
qui avait sur les tempi de «Tristan et Iseult» l’opéra de Wagner d’autres idées que les
siennes, il déclarait paisiblement : «C’est oun’ stoupid !». L’anecdote la plus connu ou
Pierre Boulez et le chef italien
discutaient et ce dernier affirmait : «Je suis le meilleur chef d’orchestre au monde», Boulez répliqua : «Impossible, je reçois ma direction directement de Dieu» et à ce moment la arriva
Herbert Von Karajan qui dit : «On parle de moi ?». (une blague adaptée souvent :
Bernstein,
Böhm, Karajan - toujours présent dans la blague)
Pierre Monteux
Autre chef, autre école, Pierre Monteux le
chef français, petit, rondouillard, un regard chaud, un sourire débonnaire,
l’homme qui était d’un tempérament pacifiste déchaînait des tempêtes au sein
de l’orchestre. Il obtient tout de ses musiciens sans élever la voix, il
corrigeait les fautes de ses partenaires le sourire aux lèvres. En se
touchant le front il avouait modestement : «Je n’y ai pas de mérite, la partition est gravée-là». Ancien musicien d’orchestre, de son poste d’alto-solo aux Concert
Colonne, il ferra son apprentissage de la baguette en visualisant les gestes
du bonhomme gesticulant devant lui. Mais
Monteux, connu pour être un grand chef
Berliozien, fût surtout le chef qui créera plusieurs œuvres du
répertoire comme «Pelléas et Mélisande» de ClaudeDebussy, (Ah, Claude Toon me corrige,
c'était André Messager en 1902, on ne prête qu'au riche 😅) «Daphnis et Chloé» de Maurice Ravel, mais il restera dans
l’histoire pour avoir été le chef attitré d’Igor Stravinsky et l’un des acteurs principal du scandale du «Sacre du Printemps» le soir du 30 mai 1913. Le ballet de
Stravinsky sera accueilli au soir de la
première par sifflets et des sarcasmes d’un public qui se montrera
totalement insensible et hermétique. Portant Ravel et quelques autres assurent la
claque, Ravel étant debout sur un
siège (il était petit 😅). Les manifestations au départ isolées devinrent un
vacarme épouvantable, le compositeur
Florent Schmitt applaudissait furieusement
alors qu’une vieille comtesse n’en croyait pas ses oreilles : «C’est la première fois qu’on me manque de respect !»
Dans la tempête des cris, des injures et des coups de sifflets,
Pierre Monteux, impassible, continuait à
diriger la partition qu’il avait tout de suite aimée.
Léonard Bernstein-Seiji Ozawa
Le sujet est vaste et il est impossible de parler de tous les grands chefs,
les Bernstein, les
Ozawa, les
Abbado, les
Baremboim, les
Munch, les
Beecham etc… Le grec
DimitriMitropoulos, alors qu’il faisait répéter un
orchestre au théâtre antique d’Epidaure (Ancienne citée dans le Péloponnèse) se démenait comme un beau diable ce qui eu l’effet d’attirer la curiosité
d’un vieux berger : «C’est curieux qu’il en faille cent pour en faire danser un
seul !». Les chefs ont une gestuelle différente selon les pays, l’allemand
Wilhelm Furtwängler alors qu’il dirigeait
l’orchestre de la Scala de Milan, bougeait la main avec une sorte de
frémissement pour donner le signal de départ «Es muss sein !»
(Ce doitêtre !), les musiciens italiens peu habitués à
ce rite un peu ambigu ne purent croire que c’était le signal et
l’attribuèrent au trac. Gentiment, le violoncelliste solo avec un grand
sourire se pencha et lui murmurera : «Corragio, Maestro !»
Claire Gibault
Tous les pays, toutes les ethnies sont représentés dans le monde de l’homme
qui dirige, de l’Algérie à la Yougoslavie en passant par les Indes et Haïti,
Le microcosme de la direction d’orchestre ne serait pas complet sans les
cheffes, parce que les femmes sont très bien représentées dans les
fosses ou sur l’estrade de l’orchestre, la première dont j’entendrai parler
sera la française Claire Gibault qui
dirigera les plus prestigieux orchestre au monde, de la Scala à l’Opéra de
Vienne. Dans le domaine de l’opéra, la plus célèbre restera
Fiora Contino qui dirigera l’Orchestre
Symphonique de Pittsburg et l’Opéra de San Francisco et une dernière et pas
des moindres, l’américaine Marine Alsop qui
étudiera auprès de Bernstein et
Ozawa et dirigera l’Orchestre Symphonique
de Baltimore. Sans oublier sa copine Simone Young
qui exerce ses talents à Hambourg (voir le papier du Toon sur la 2ème de
Bruckner).
Roberto Benzi
On dit enfant-prodige de la musique et on évoque aussitôt
Mozart, mais il y en eu d’autres comme,
Bach,
Haendel,
Mendelssohn, Liszt, Chopin,
Bizet,
Beethoven,
Paganini,
Schubert etc... Mais plus proche de nous,
il y a le cas Roberto Benzi le chef de
l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine. A quatre ans, il reçoit un petit
accordéon pour noël et pour se distraire, il joue des variations sur «La Veuve Joyeuse» de Franz Lehàr. Son père lui apprendra
le solfège d’une manière ludique au moyen d’une pomme qu’il coupe en deux
puis en quatre pour faire comprendre ce qu’est une ronde, une blanche, une
noire etc… Il apprend le piano, il a une bonne mémoire et son oreille est
juste. A Bayonne, il dirige sans répétition l’ouverture du «Barbier de Séville» de Rossini à un groupe de quarante cinq
musiciens, il a alors neuf ans. Ensuite il travaillera avec
André Cluytens, maestro belge, qui décide
au bout de quelques mois de le produire au théâtre des Champs-Elysées. Il
paye le tribut de l’enfant prodige auprès des musiciens : «Ce petit garçon va nous diriger ? Ne et trompe pas mon ami !
Sans cela, gare à toi !» Devant les caméras il va diriger «Les Préludes» de Franz Liszt qui lui donneront un de
ses triomphes. Pour accroitre la difficulté de l’expérience, le conseiller
musical du film glissera dans certaines parties instrumentales des fautes
intentionnelles. Roberto Benzi saura-t-il
les corriger ? On commence l’exécution de l’ouvrage et soudain :
«La seconde clarinette, je vous prie, vous avez un
sol et j’entends un la» Un peu plus loin : «Le cor anglais, s’il vous plait, voulez-vous faire une
croche pointée au lieu d’une double croche ?» On imagine la réaction dans le studio ou le film se tourne. Les musiciens
d’eux-mêmes applaudissent. D’autres tests seront faits avec le petit
prodige. A la salle Gaveau un huissier lui apportera une enveloppe cachetée.
Elle renferme la partition d’orchestre d’une pièce brève inédite écrite par
un grand prix de Rome. En cinq minutes il va déchiffrer, l’étudier et la
mettre en répétition. Deux violoncellistes chercheront à piéger ce chef en
culotte courte. A un do bécarre écrit, ils substitueront un do dièse
espérant sans doute qu’il ne s’en apercevrait pas. Espoir déçu : «Vous ne pourriez pas faire un
do bécarre, messieurs ?» La salle applaudit, la démonstration est concluante. Il ne fût pas le
seul chef précoce, Lorin Maazel dirigera la
première fois à l’âge de sept ans et, il y a peu, le jeune Ouzbek de huit
ans
Edward Yudenichfera le buzz auprès des mélomanes.
Le chef d’orchestre, un bel objet qui n’est ni une machine, ni un androïd
qui sait vous mener à la baguette mais qui sait créer des grands moments
d’osmose entre l’orchestre et le public.
Vidéos : dans l'ordre :
Toscanini
hystérique en répétition, les bordées d'injures sont sous-titrées ;
incroyable que l'italien ait atteint l'âge de 90 ans (1957) sans avoir
fait une crise d'apoplexie avant. (Il aurait inspiré
deFunès dans la Grande vadrouille). Puis
une interprétation métronomique de
Wagner.
Claire Gibault
puis Roberto Benzi gamin dans
Les préludes de
Liszt et ado dans le final de la
symphonie du Nouveau Monde.
Un document magique : à 80 ans, en 1944, alors que les villes
allemandes s'écroulent, la sérénité de
Richard Strauss, l'économie du geste et
la poésie dans son Till l'espiègle. Et
pour terminer Georg Solti (1912-1997),
chef réputé exigeant, guère patient, mais poli (là il est filmé donc
courtois J). Deux répétitions de l'ouverture de
Tannhäuser de
Wagner suivies du concert…
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