mardi 20 octobre 2020

LE CHEF D’ORCHESTRE CET INCONNU par Pat Slade



Un chef d’orchestre, à quoi ça sert ? Une question que beaucoup de personnes se posent. Je vais essayer d’y répondre avec quelques anecdotes drôles sans pour autant être ennuyeux, gonflant, barbant, assommant, casse-pieds voir emmerdant !




UN MUSICIEN SANS INSTRUMENT 





Pendant un concert, coté public, vous ne distinguerez qu’un homme, de dos, vêtu d’une jaquette ou d’un habit flatteur, se débattre en d’inexplicables convulsions. C’est tantôt risible et tantôt séduisant, elles donnent à penser que la personne dans son vêtement préside une cérémonie musicale mais aussi chorégraphique. Coté orchestre, on voit ce que l’on doit voir c’est-à-dire le capitaine d’un navire qui dirige son bateau en évitant les récifs.

Chef  dans l'Egypte ancienne
Mais revenons au début et remontons à l’Egypte ancienne où le chef tenait la position du scribe, chez les Grecs, il se trouvait au milieu du chœur et battait la mesure avec le pied chaussé de sandales en bois ou de fer. Souligner les rythmes avec des bruits audibles par les musiciens (mais malheureusement aussi par les auditeurs) vont perdurer jusqu’au XXVIIe siècle. On ne frappe plus avec le pied ou la main, mais avec un bâton qui heurte le bord du pupitre. Jean-Baptiste Lully conduisait ses ouvrages en laissant retomber sur le pavé une lourde canne ferrée qu’il tenait à la main, le 8 janvier 1687, tandis qu’il dirigeait son «Te Deum», il fit tomber son gourdin sur le gros orteil de son pied droit, ce qui provoquera une gangrène dont il mourra en quelques jours. Le fameux bâton bruyant sera remplacé durant un temps par un rouleau de papier qui permettra d’émettre des signaux silencieux. Au début du XIXe siècle le chef d’orchestre François Habeneck à qui l’on doit la création de la «Symphonie Fantastique» et du scandale du «Tuba mirum» dans le «Requiem» d’Hector Berlioz est souvent représenté avec  un rouleau dans une main et dans l’autre une liasse de feuillets autrement dit la partition. A la même époque les chefs se voient offrir de lourds bâtons d’ébène ou de palissandre sculptés. La fine baguette de peuplier de vingt à trente grammes actuellement à l’honneur serait apparu vers 1820. Le Russe Vassili Safonov est considéré comme le premier chef d'orchestre moderne à diriger complètement sans baguette. Voila pour son outil de travail !

Hector Berlioz
Quels sont les bons chefs parmi les compositeurs ? Dans les grands chefs romantiques, je placerais Mendelssohn, Wagner et Berlioz. Il ne faut pas croire qu’un grand compositeur soit un chef remarquable. Beethoven devait être assurément gêné par sa surdité qui devait l’empêcher d’entendre les instruments surtout lorsqu’ils jouaient pianissimo. Le musik direktor de Düsseldorf Robert Schumann dirigeait très mal ses propres compositions auxquels il impose des tempi exagérément ralentis, mais cela serait du, parait-il, à un signe de sa maladie mental. Gabriel Fauré est à l’opposé du chef brillant. Claude Debussy et Maurice Ravel sèment la panique dans l’orchestre, en 1931 Ravel dirige son «Concerto en sol» avec Marguerite Long au piano, il se laissera distancer de trois mesures par la virtuose dans le finale. En revanche Richard Strauss, qu’il s’agisse de ses ouvrages ou de ceux de Mozart ou de Wagner sera un chef admirable qui obtient tout en faisant très peu de geste. Et n’oublions pas Franz Liszt et Gustav Mahler réputés comme de bons chefs.

Vous vous posez toujours la question : «Mais à quoi sert-il ?», dans les années 30 au Etats-Unis, un orchestre avait été entraîné spécialement pour jouer sans chef et le résultat fût… catastrophique ! Les critiques furent sévères, ils trouvaient que la musique avait perdu son âme. Quelle posture le chef d’orchestre doit-il prendre pour diriger ? Pendant longtemps, il avait l’habitude d’être face aux chanteurs et l’orchestre dans son dos. A quoi succédera la place au milieu de l’orchestre faisant partir les instrumentistes placés devant lui d’un mouvement de baguette et dirige les autres en agitant les coudes comme un canard qui prend son vol. Ce sera le compositeur André Messager qui l’installera à son poste actuel. Entouré d’une centaine de musiciens (Voir plus) le chef est un homme seul, il va devoir donner des ordres précis rien qu’avec des gestes. La lecture d’une partition d’orchestre est une opération difficile qui exige une grande expérience, si tous les instruments étaient dans la même clé cela serait très simple.

Arturo Toscanini
Certain chefs d’orchestre ont du caractère et l'un des plus célèbres pour ses colères mémorables sera Arturo Toscanini. Le chef italien était incapable de se retenir et à la moindre contrariété il lâchait des bordées d’insultes allaient à à l'encontre d'un instrumentiste maladroit. On raconte qu’un soir, il s’enragea à corriger la flûte-solo dans le «Prélude à l’Après-midi d’un Faune». Les invectives pleuvaient sur l’infortuné qui recevait l’averse sans rien dire. Après un bon quart d’heure l’heure de la pause sonna. Tandis que le petit homme (Toscanini n’était pas très grand) mettait de l’ordre sur son pupitre encore rouge d’indignation, le flûtiste s’avança le regarda dans les yeux et lui proféra un «Merde… !» retentissant. Un peu dur d’oreille, Toscanini feignit de n’avoir rien compris «Non, non pas d’excuses ! A moi on n’en fait pas !». Ses appréciations sur ses confrères, il ne se gênait pas pour les formuler au grand jour. Quand il parlait de Wilhelm Furtwängler qui avait sur les tempi de «Tristan et Iseult» l’opéra de Wagner d’autres idées que les siennes, il déclarait paisiblement : «C’est oun’ stoupid !». L’anecdote la plus connu ou Pierre Boulez et le chef italien discutaient et ce dernier affirmait : «Je suis le meilleur chef d’orchestre au monde», Boulez répliqua : «Impossible, je reçois ma direction directement de Dieu» et à ce moment la arriva Herbert Von Karajan qui dit : «On parle de moi ?». (une blague adaptée souvent : Bernstein, BöhmKarajan - toujours présent dans la blague)

Pierre Monteux
Autre chef, autre école, Pierre Monteux le chef français, petit, rondouillard, un regard chaud, un sourire débonnaire, l’homme qui était d’un tempérament pacifiste déchaînait des tempêtes au sein de l’orchestre. Il obtient tout de ses musiciens sans élever la voix, il corrigeait les fautes de ses partenaires le sourire aux lèvres. En se touchant le front il avouait modestement : «Je n’y ai pas de mérite, la partition est gravée-là». Ancien musicien d’orchestre, de son poste d’alto-solo aux Concert Colonne, il ferra son apprentissage de la baguette en visualisant les gestes du bonhomme gesticulant devant lui. Mais Monteux, connu pour être un grand chef Berliozien, fût surtout le chef qui créera plusieurs œuvres du répertoire comme «Pelléas et Mélisande» de Claude Debussy, (Ah, Claude Toon me corrige, c'était André Messager en 1902, on ne prête qu'au riche 😅) «Daphnis et Chloé» de Maurice Ravel, mais il restera dans l’histoire pour avoir été le chef attitré d’Igor Stravinsky et l’un des acteurs principal du scandale du «Sacre du Printemps» le soir du 30 mai 1913. Le ballet de Stravinsky sera accueilli au soir de la première par sifflets et des sarcasmes d’un public qui se montrera totalement insensible et hermétique. Portant Ravel et quelques autres assurent la claque, Ravel étant debout sur un siège (il était petit 😅). Les manifestations au départ isolées devinrent un vacarme épouvantable, le compositeur Florent Schmitt applaudissait furieusement alors qu’une vieille comtesse n’en croyait pas ses oreilles : «C’est la première fois qu’on me manque de respect !» Dans la tempête des cris, des injures et des coups de sifflets, Pierre Monteux, impassible, continuait à diriger la partition qu’il avait tout de suite aimée. 

Léonard Bernstein-Seiji Ozawa
Le sujet est vaste et il est impossible de parler de tous les grands chefs, les Bernstein, les Ozawa, les Abbado, les Baremboim, les Munch, les Beecham etc… Le grec Dimitri Mitropoulos, alors qu’il faisait répéter un orchestre au théâtre antique d’Epidaure (Ancienne citée dans le Péloponnèse) se démenait comme un beau diable ce qui eu l’effet d’attirer la curiosité d’un vieux berger : «C’est curieux qu’il en faille cent pour en faire danser un seul !». Les chefs ont une gestuelle différente selon les pays, l’allemand Wilhelm Furtwängler alors qu’il dirigeait l’orchestre de la Scala de Milan, bougeait la main avec une sorte de frémissement pour donner le signal de départ «Es muss sein !» (Ce doit être !), les musiciens italiens peu habitués à ce rite un peu ambigu ne purent croire que c’était le signal et l’attribuèrent au trac. Gentiment, le violoncelliste solo avec un grand sourire se pencha et lui murmurera : «Corragio, Maestro !» 

Claire Gibault
Tous les pays, toutes les ethnies sont représentés dans le monde de l’homme qui dirige, de l’Algérie à la Yougoslavie en passant par les Indes et Haïti, Le microcosme de la direction d’orchestre ne serait pas complet sans les cheffes, parce que les femmes sont très bien représentées dans les fosses ou sur l’estrade de l’orchestre, la première dont j’entendrai parler sera la française Claire Gibault qui dirigera les plus prestigieux orchestre au monde, de la Scala à l’Opéra de Vienne. Dans le domaine de l’opéra, la plus célèbre restera Fiora Contino qui dirigera l’Orchestre Symphonique de Pittsburg et l’Opéra de San Francisco et une dernière et pas des moindres, l’américaine Marine Alsop qui étudiera auprès de Bernstein et Ozawa et dirigera l’Orchestre Symphonique de Baltimore. Sans oublier sa copine Simone Young qui exerce ses talents à Hambourg (voir le papier du Toon sur la 2ème de Bruckner).

Roberto Benzi
On dit enfant-prodige de la musique et on évoque aussitôt Mozart, mais il y en eu d’autres comme, Bach, Haendel, MendelssohnLiszt, Chopin, Bizet, Beethoven, Paganini, Schubert etc... Mais plus proche de nous, il y a le cas Roberto Benzi le chef de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine. A quatre ans, il reçoit un petit accordéon pour noël et pour se distraire, il joue des variations sur «La Veuve Joyeuse» de Franz Lehàr. Son père lui apprendra le solfège d’une manière ludique au moyen d’une pomme qu’il coupe en deux puis en quatre pour faire comprendre ce qu’est une ronde, une blanche, une noire etc… Il apprend le piano, il a une bonne mémoire et son oreille est juste. A Bayonne, il dirige sans répétition l’ouverture du «Barbier de Séville» de Rossini à un groupe de quarante cinq musiciens, il a alors neuf ans. Ensuite il travaillera avec André Cluytens, maestro belge, qui décide au bout de quelques mois de le produire au théâtre des Champs-Elysées. Il paye le tribut de l’enfant prodige auprès des musiciens : «Ce petit garçon va nous diriger ? Ne et trompe pas mon ami ! Sans cela, gare à toi !» Devant les caméras il va diriger «Les Préludes» de Franz Liszt qui lui donneront un de ses triomphes. Pour accroitre la difficulté de l’expérience, le conseiller musical du film glissera dans certaines parties instrumentales des fautes intentionnelles. Roberto Benzi saura-t-il les corriger ? On commence l’exécution de l’ouvrage et soudain : «La seconde clarinette, je vous prie, vous avez un sol et j’entends un la» Un peu plus loin : «Le cor anglais, s’il vous plait, voulez-vous faire une croche pointée au lieu d’une double croche ?» On imagine la réaction dans le studio ou le film se tourne. Les musiciens d’eux-mêmes applaudissent. D’autres tests seront faits avec le petit prodige. A la salle Gaveau un huissier lui apportera une enveloppe cachetée. Elle renferme la partition d’orchestre d’une pièce brève inédite écrite par un grand prix de Rome. En cinq minutes il va déchiffrer, l’étudier et la mettre en répétition. Deux violoncellistes chercheront à piéger ce chef en culotte courte. A un do bécarre écrit, ils substitueront un do dièse espérant sans doute qu’il ne s’en apercevrait pas. Espoir déçu : «Vous ne pourriez pas faire un do bécarre, messieurs ?» La salle applaudit, la démonstration est concluante. Il ne fût pas le seul chef précoce, Lorin Maazel dirigera la première fois à l’âge de sept ans et, il y a peu, le jeune Ouzbek de huit ans Edward Yudenich fera le buzz auprès des mélomanes.

Le chef d’orchestre, un bel objet qui n’est ni une machine, ni un androïd qui sait vous mener à la baguette mais qui sait créer des grands moments d’osmose entre l’orchestre et le public.   

Vidéos : dans l'ordre :

Toscanini hystérique en répétition, les bordées d'injures sont sous-titrées ; incroyable que l'italien ait atteint l'âge de 90 ans (1957) sans avoir fait une crise d'apoplexie avant. (Il aurait inspiré de Funès dans la Grande vadrouille). Puis une interprétation métronomique de Wagner.

Claire Gibault puis Roberto Benzi gamin dans Les préludes de Liszt et ado dans le final de la symphonie du Nouveau Monde.

Un document magique : à 80 ans, en 1944, alors que les villes allemandes s'écroulent, la sérénité de Richard Strauss, l'économie du geste et la poésie dans son Till l'espiègle. Et pour terminer Georg Solti (1912-1997), chef réputé exigeant, guère patient, mais poli (là il est filmé donc courtois J). Deux répétitions de l'ouverture de Tannhäuser de Wagner suivies du concert…








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