vendredi 23 octobre 2020

WINCHESTER '73 de Anthony Mann (1950) par Luc B.



« C’est l’arme qui a conquis l’Ouest » indique un encart à la fin du générique, juste avant un premier plan sur la crosse d’une arme dans une vitrine : la carabine à répétition Winchester, modèle 1873. Un lot prestigieux qui sera offert au gagnant du concours de tir de Dodge City organisé par son shérif, le fameux Wyatt Earp.
Ainsi débute, droit au but, WINCHESTER 73, le premier western tourné par Anthony Mann, et le premier film de son cycle interprété par James Stewart (clic Les Affameurs ). On ne va pas tourner autour du pot : c’est un must. Le scénario de Borden Chase est un modèle de construction, en boucle, la carabine passant de mains en mains avant de revenir à son point de départ. En tout juste 1h30, Mann accumule les péripéties à un rythme soutenu, sans oublier les personnages, leurs petites histoires, et la grande Histoire.
L’actualité nous montre régulièrement – hélas – l’omniprésence des armes aux Etats Unis. C’est dans leur Constitution, chacun doit pouvoir en porter une pour se défendre, un amendement sur lequel aucun président américain n’a osé revenir. C’est le sous-texte du film. Anthony Mann montre cette fascination pour les armes, et particulièrement pour cette carabine, dont l’attrait vire au fétichisme. Les yeux des personnages brillent quand ils se posent sur cette Winchester. C’est elle qui a permis aux Sioux de vaincre le général Custer à la bataille de Little Big Horn.
Quand Lin McAdam et High Spade (lointain cousin de notre Pat, si si) arrivent à Dodge City pour participer au concours, le shérif leur retire leurs armes. Personne n’en porte en ville. McAdam se fige : « il faudrait être fou pour demander à quelqu’un une ânerie pareille ! ». Puis quand McAdam entre dans le saloon et y croise Dutch Henry Brown, aussitôt chacun porte la main à leur hanche pour dégainer… dans le vide ! Superbe idée, qui donne une information capitale : ces deux-là se connaissent et visiblement ne s’estiment pas. Plus tard dans le film, un personnage dit : « sans balles, je suis aussi nu qu’en sortant du bain ». Voilà le contexte.
Le concours est une superbe séquence, c’est l'effervescence, des gamins interrompent sans cesse le discours solennel du shérif, il y a de l’humour (on pourrait être chez John Ford) et de la virtuosité. Lin McAdam gagne face à Dutch en transperçant d’une balle un timbre collé à un anneau d’à peine 2 cm. Il remporte la Winchester, aussitôt volée le soir même par Dutch qui s’enfuit avec sa bande. Une première scène d'action superbement mise en scène, rapide, qui donnera le ton au film. McAdam part à la recherche de Dutch, pour récupérer la Winchester, mais pour aussi régler un vieux compte. La suite nous apprendra lequel…
Les protagonistes du film entrent dans l’intrigue au fur et à mesure que la Winchester change de mains. Dutch la vole à McAdam, qui est contraint de la céder au trafiquant Lamont, lui-même tué par le chef indien Young Bull (joué par un Rock Hudson peinturluré !) qui la perdra au combat, mais retrouvée par un soldat qui la donnera à Steve Miller, abattu par Waco Johnny Dean qui s'en empare, qui la redonnera à son complice Dutch… La boucle est bouclée. Le film est donc composé de différentes séquences à priori indépendantes, mais dont le fil rouge est la Winchester tant convoitée. Chaque tableau se finissant en tuerie. 
Regardons de plus près une séquence : la charge des indiens pour dévaliser Steve Miller et sa future femme Lola Manners (jouée par la formidable Shelley Winter, vue dans LOLITA). Leur chariot file à toute berzingue, Miller abandonne lâchement sa promise pour, prétexte-t-il, aller chercher de l’aide. Le hasard veut qu'il tombe sur un régiment de l'armée. Lola Manners n'est pas dupe de sa lâcheté. Regardez comment Mann traduit cela à l'écran, plus tard, en un seul plan. Une fois sauve et retranchée dans le camp des soldats, elle est cadrée au coin du feu en parlant à Lin McAdam, apaisée et séduite par celui qui avait déjà pris sa défense au tout début du film. Puis la caméra fait un léger panoramique, la recadrant cette fois avec Miller. Il tient une tasse à café qu'elle pense être pour elle. Mais non, la tasse est vide. Elle lui lance un regard éloquent : même pas foutu de lui apporter un café chaud...

Cette scène fera écho plus tard : dans le repère du bandit Waco Johnny Dean, celui-ci demandera à Miller de faire du café, mais pas à Lola. Et de venir lui servir en portant un tablier. Humiliation. Waco est un personnage complexe, violent, dangereux et affable à la fois, séduisant, joué par Dan Duryea souvent vu dans des seconds rôles, il renvoie - physiquement - au Lee Marvin de Liberty Valance.
La séquence avec le régiment est formidable. Lola embrasse un sergent bourru pour le remercier de lui avoir sauvé la vie, il répond : « je pensais que c’était pour mon charme ». Quand on voit la tronche du mec… McAdam a rejoint le groupe. Ils sont encerclés par les indiens qui ont des Winchester à répétitions (vendues par Lamont, tout se tient) alors que les soldats ont des Springfield à un coup. On attend l’attaque, on parle stratégie, tactique, l’atmosphère est tendue. Mann filme un paysage vide, angoissant, silencieux, quand soudain un simple panoramique de la caméra recadre une enfilade d'indiens prêts pour l’assaut. Parmi les soldats, on remarquera le jeune Tony Curtis qui a deux lignes de textes dans le film !
Anthony Mann utilise souvent ce qu'on appelle le panoramique filé. Un raccord dans le mouvement. La caméra filme (par exemple) de droite à gauche, coupe, puis filme un autre panoramique, dans le même sens, les deux plans étant associés au montage, et donnant l'impression d'un seul geste.  
On s’interroge sur le conflit entre McAdam et Dutch. Anthony Mann donne deux indices. Dès le début, au concours de tir, on voit que Dutch et McAdam tirent de la façon. Une manière particulière de mettre en joue, viser, en faisant pivoter la carabine d’un quart de tour juste avant d’appuyer sur la gâchette. Étrange... Auraient-ils appris à tirer avec la même personne ? Plus tard, quand Lola est retenue prisonnière dans le repère de Dutch, elle tombe sur une photo : McAdam et Dutch encadrant un vieil homme. En 1873, avant l’avènement d’Instagram, ce genre de photo ne signifiait qu’une chose…
En  1950, Anthony Mann arrive au western par le polar, le Film Noir. Cela se sent dans sa manière très sèche de filmer. On le voit dans la séquence au relais Rikers’s, lorsque Dutch perd la Winchester au poker au profit du trafiquant d’armes Joe Lamont. Admirez la profondeur de champ, Lamont et Dutch attablés au premier plan, et loin au fond, le tenancier derrière son bar. Il sera toujours présent à l’image. Une scène recréée (consciemment ?) par Peckinpah dans PAT GARRETT ET BILLY THE KID.  Admirez le contraste de la photo noir et blanc, les plans toujours en légère contre-plongée, écrasant les personnages sous les plafonds. Il n’y a quasiment aucun champ / contre-champs dans ce film. C’est l’axe de la caméra qui donne de l’importance à tel ou tel protagoniste. Question profondeur de champ, le duel final se pose-là.
Anthony Mann explique : si le duel avait eu lieu en terrain plat, vu la dextérité des tireurs, c’était plié en trois secondes. Or il fallait que ça défouraille ! Donc il choisit un décor montagneux, des rochers. Dans la même image on voit au premier plan McAdam et très loin au-dessus de lui, Dutch. Et suivant l’angle choisi, on voit à l’arrière-plan l’étendue illimitée de l’horizon. Visuellement, ce film est juste sublime.

Un braquage de banque est filmé à travers les fenêtres d’une diligence qui masque la sortie des gangsters. Et y’a ce plan génial quand Waco désarmé sort du bar, McAdam dans son dos le menaçant de son flingue. En amorce de l'image on voit la hanche d’un gars, son colt dans l’étui : coup d'œil de Waco qui saisit l'opportunité et s'en empare. L’information est donc donnée dans le même plan, et non morcelée par le montage : autre héritage du Film Noir, des séries B, où on filmait à l'économie. 
WINCHESTER 73 est un titre connu, célèbre, et pour une seule et bonne raison : c’est juste un film PARFAIT. Y’a rien à jeter, rien à rajouter. James Stewart y prouve encore une fois la finesse de son jeu, je me lasse de le répéter. Il y est, comme l'ensemble de la distribution, prodigieux. Si en cas de burn-out votre médecin vous conseille trois westerns à visionner, celui-ci fera partie à coup sûr de l'ordonnance.
noir et blanc  -  1h30  -  format 1:1.37
La bande annonce d'origine était d'une qualité médiocre, desservant les splendides images du film, je vous en propose une autre, sans comprendre pourquoi un pignouf a été coller du blues-rock en fond sonore... Qué misère...   

1 commentaire:

  1. J'en avais causé de celui-là dans le temps ...
    Western incontournable, avec d'entrée un premier plan d'anthologie, les silhouettes des deux cavaliers en contre-jour sur une colline.
    J'ai toujours pensé à une sorte de métaphore biblique, celle d'Abel-Cain, dans la lutte à mort des deux frangins (la tentation et le fruit défendu représentés par la Winchester 73) ...
    Et puis, la grande Histoire évoquée à travers la petite histoire du film, ça instruit et quelque part ça rend parfois intelligent de regarder un film ...

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