jeudi 5 novembre 2020

Anton WEBERN – 6 pièces pour orchestre Opus 6 (1909-1928) – Herbert von KARAJAN (1973) - par Claude Toon



🔔🔔🔔… Allo ? Sonia ?

- Coucou Claude, je viens de recevoir ta maquette et les vidéos. Sur celle de Boulez en complément, dis donc, facile 120 instrumentistes et peu de notes…

- Salut Sonia, billet découverte, le premier pour Webern. En 1909, ces pièces courtes et poétiques ni tonales ni sérielles feront scandales !

- Comme tout ce qui est nouveau… Au départ c'est zarbi mais tout à fait d'accord, c'est poétique avec des sonorités mystérieuses, de la légèreté.

       - Élève de Schoenberg, Webern invente la mélodie de timbres d'où ces sauts de groupes de notes de pupitres en pupitres…

- C'est épouvantable la façon dont est mort Webern… Il a peu composé en fait.

       - Ce compositeur novateur aimait la clarté et la brièveté comme tu le dis ; de la musique aérée ; même le silence était une note pour lui…


Anton Webern vers 1910

Si mes chers lecteurs qui ne connaissent pas cet ouvrage concis, énigmatique et un rien funèbre, l'ont écouté avant ou pendant la lecture de ces lignes, ils ont dû être surpris, enchantés ou irrités par plusieurs éléments inattendus. J'en vois quatre :

1 - un flot musical a priori décousu sans thème mélodique ni motif discernables comme dans les musiques habituelles ;
2 - la concision extrême des pièces (de 1 à 4 minutes) ;
3 - une orchestration parcimonieuse malgré un orchestre luxuriant et…
4 - un recours permanent à des dissonances possiblement irritantes à l'écoute.

Le petit échange avec Sonia citant Schoenberg évoque un lien stylistique entre l'inventeur du dodécaphonisme et du sérialisme et l'œuvre de Webern. Schoenberg avec Alban Berg et Anton Webern, en appliquant à partir des années 20 à la composition ce solfège si particulier constituaient le noyau dur de ce que l'on appelle la seconde École de Vienne… Et pourtant ces six pièces composées en 1909 n'obéissent en rien aux règles rigoureuses du dodécaphonisme imaginées par Schoenberg qui ne seront appliquées de manière radicale que vers 1921 (cinq pièces pour piano opus 25).

Impossible d'aborder le parcours de Webern en ignorant le Schoenberg de la période de 1899 à 1921 durant laquelle, à partir d'œuvres postromantiques que sont La Nuit Transfigurée pour cordes ou Pelleas et Mélisande pour très grand orchestre, d'année en année, Schoenberg s'échappera des limites de l'écriture occidentale utilisant les 24 tonalités chromatiques dissociées (do majeur, do mineur, do ♯ majeur, etc.), principe en usage depuis Bach, (soit plus de deux siècles) et se dirigera vers un système exploitant la symbiose des 12 sons de la gamme chromatique organisés en série à raison d'une seule occurrence par note. Impression de charabia 😅 ? Voir plus d'explications et des exemples dans l'article consacré au Concerto à la mémoire d'un ange de Berg (Clic). En dodécaphonisme, majeur et mineur n'ont plus leur place, donc gaité et élégie cohabitent dans une même ligne mélodique, d'où une mystérieuse ambiguïté que Webern va explorer avant l'heure...

 

Les six pièces opus 6 de Webern datent de 1909 et appartiennent à cette période de remise en cause du solfège traditionnel. Webern cherche à s'évader des modes propres au romantisme pour la musique pure et raffinée à l'opposé de la vigueur un peu lourde de Pelleas et Mélisande de son mentor. Pelleas et Mélisande : poème symphonique au lyrisme si difficile à éclaircir, certains chefs et pas des moindres proposant 45 minutes d'une musique "bourrin". J'en ai fait l'expérience douloureuse en concert au TCE. (Christian Thielmann et la Staatskapelle de Dresde pourtant ; hélas des mauvaises places, acoustique du TCE inadaptée)

Cette suite de pièces est une pierre angulaire marquant la transition entre l'académisme déjà bousculé depuis Wagner et lors du postromantisme (Mahler, Strauss, Debussy) et la musique contemporaine en gestation.

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Schoenberg vers 1911

Les cinéastes ont adoré mettre en scène des biopics de compositeurs célèbres, excentriques, au destin souvent tragique. Berlioz (Jean-Louis Barrault - presque un sosie -), Mozart (Tom Hulce - son seul rôle marquant dans le très libre Amadeus) ou encore Beethoven (Harry Baur ou Gary Oldman, le second ressemblant autant à Beethoven que moi à Audrey Tautou,) mais peu importe… J'imagine bien le longiligne et taciturne Christopher Walken, jeune, dans une adaptation de la vie de Webern ; Luc je te laisse le choix du réalisateur, car là j'empiète sur ton domaine d'expertise😉.

Anton (von) Webern voit le jour dans une famille noble en 1883 à Vienne, capitale européenne de la musique. Le "von" disparaîtra en 1919 après l'établissement de la République suite à la défaite de l'empire austro-hongrois en 1918, le bannissement de la famille des Habsbourg et plus généralement de la noblesse. Anton n'en fera pas une jaunisse ; l'homme adhérait aux idées austro-marxisme mêlant marxisme et nationalisme, courant socialiste un peu confus en vogue depuis la fin du XIXème siècle, jamais vraiment influent pendant la République de 1919-1934 et bien entendu fort mal vu pendant l'Anschluss… Tout ça pour mettre en avant le tempérament humaniste de Webern.

Berg (un géant de 2m) et Webern

Il étudie la philosophie dans un premier temps, puis se passionne pour la musicologie tout en apprenant le violoncelle et le piano. Sa formation musicale est marquée par l'enseignement de la composition par Schoenberg de 1904 à 1908. Ce dernier est en pleine période de maturation du dodécaphonisme et du sérialisme. Contrairement à l'absolutisme plus snob qu'élitiste de l'après-guerre de son élève René Leibowitz et de ses potes, Schoenberg  rappellera toujours à ses étudiants "cette technique n'est pas une découverte mais une invention, il reste plein de belles choses à écrire en do majeur". Très influencé par ces recherches passionnantes et osées, Webern se détourne du langage tonal dès ses premières partitions officielles comme la passacaille pour orchestre de 1908. Il tourne le dos aux tonalités, atteint les limites de l'écriture chromatique comme en témoigne l'extrait de partition en illustration, des portées saturées d'altérations. Il explore de nouveaux timbres, crée un univers mélodique désarticulé et déroutant qui ne s'imposera pas d'emblée au public. Il se lie d'amitié avec Alban Berg, tout aussi passionné que lui par ces innovations solfégiques. Berg est également sensible à l'introduction de la psychologie et de la sociologie dans son œuvre ; auteur du premier opéra dodécaphonique "Lulu" en 1935, il mourra la même année à 50 ans d'une septicémie. Il était l'exact contemporain de son ami.

Webern compositeur est également un maestro de renom. L'un des rares à diriger à l'époque avec passion la fort difficile 6ème symphonie de Mahler "tragique", ouvrage que même les tenants de la tradition comme Bruno Walter ne se risquaient pas à interpréter.

Hélas, en 1938, les soudards nazis envahissent l'Autriche. Pour Webern, une descente en enfer commence. Berg est mort. Schoenberg et d'autres amis juifs doivent fuir vers les USA. La sympathie pour les idées socialistes évoquées plus haut et ses partitions taxées bien évidement de musique dégénérée, tant pour leur forme novatrice que pour l'évidente influence des créateurs juifs, lui font perdre tout poste et toute ressource. Dépressif, il se reclut, composant pour lui-même et crevant de faim. Il doit s'humilier à faire appel à la Künstlerdank, un institut nazi aidant les artistes nécessiteux, on croit rêver. Son fils, nazi convaincu, enrôlé dans la Wehrmacht est tué en février 1945

En septembre 1945, l'apocalypse a pris fin. Le couple vit au Tyrol, Webern espérant un hypothétique poste d'enseignant. Le 15 septembre, il oublie le couvre-feu et sort fumer une clope… Une sentinelle américaine aperçoit la lueur du mégot et tire. Anton meurt sur le coup. Le soldat, cuisinier dans le civil et pochtron notoire ne se remettra pas de sa terrible bavure ; il mourra d'alcoolisme en 1955… Un poivrot qui tire bien juste ! L'absurdité de la tragédie.

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En 1975 paraît dans les bacs un coffret sous label DG de 4 LP (un prix élevé) signé Herbert von Karajan, une anthologie d'œuvres célèbres des trois complices de la seconde école de Vienne. Comme le maestro autrichien joue peu de musique contemporaine (à vérifier), les critiques ricanent d'avance de la confrontation du "dieu" de Brahms et Beethoven avec Schoenberg, Berg et Webern… Oui, mais c'était sans compter avec la virtuosité de la fabuleuse Philharmonie de Berlin et l'exigence en terme de précision du maître. Un succès critique qui ne s'est jamais démenti. Ce florilège reste toujours disponible, après numérisation, depuis 45 ans. L'École de Vienne entrait dans les foyers, Karajan utilisait-il sa notoriété à cette fin ? Possible... Pour en savoir plus : Herbert von Karajan dans Brahms (Clic) et le RIP consacré à Pierre Boulez (Clic).

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Pièce 1 (mesure 8 - extrait)

L'idée d'écrire ce papier m'est venue en lisant une discographie comparée dans Classica du mois dernier. À ce sujet, l'album Karajan prenait la 2ème place sur 8 versions retenues pour le palmarès parmi une trentaine, derrière celle de Claudio Abbado. Dans "l'œuvre en bref", courte présentation avant le débat discographique, le trio de rédacteurs parle du Chef-d'œuvre absolu de Webern… Vous connaissez mon aversion pour ces qualitatifs péremptoires. Mais il faut reconnaitre que pour son opus 6, sa seconde œuvre pour orchestre, Webern confirme une maîtrise très affirmée des singularités qui caractériseront ses recherches et qui sont énumérées en introduction.

Très occupé par son métier de chef d'orchestre, le catalogue de Webern ne comportera que 30 numéros d'opus officiels complétés par quelques ouvrages posthumes ou non catalogués. Mais une spécificité s'impose d'emblée, un répertoire ne comportant que des œuvres brèves : pièces pour formations de chambre, seulement 3 pour orchestre et des lieder avec piano, des miniatures charmantes. Avant la suite de six pièces opus 6 écoutées ce jour, Webern n'a écrit pour l'orchestre que la passacaille opus 1 (12 minutes), un chœur à capella opus 2 de 2 minutes ! Et, dernier exemple : 5 lieder opus 3 sur des poèmes de Stefan George dont la durée d'interprétation ne dépasse jamais les 4 à 5 minutes !!! Cinq lieder pour voix de femme et piano qui évoque les Haïkus japonais au nombre de syllabes limité (Clic). Quant à l'accompagnement pianistique, Webern désarticule la forme tonale. Et pour être complet : l'opus 4, 5 autres lieder (Stefan George) et là aussi 6-7 minutes ; l'opus 5 : cinq mouvement pour quatuor de 2 minutes chacun 😊. Webern chasse toute note à son avis superflue, concentre l'évènement musical à quelques notes voire une seule et quelques instruments pour la jouer, là encore les solos sont fréquents. Une parcimonie à l'opposé total des thèmes romantiques (jusqu'à 21 mesures 4/4 chez Bruckner) et à la surcharge orchestrale comme les tuttis titanesques de la Dante symphonie de Liszt. On frise la caricature du gigantisme dans la 8ème de Mahler de 1906 avec ses 1000 exécutants dont 150 instrumentistes, solistes, 2 chœurs et 1 chœur d'enfants, et 1H20 pour une monumentale symphonie-oratorio que je trouve boursoufflée malgré quelques pages sublimes (adagio)…

On pourrait imaginer que ces premières productions constituent des "essais" théoriques expérimentant le chromatisme jusqu'au-boutiste, un chaos tonal extrême exploré par Webern ; l'aboutissement de la révolution post-wagnérienne qui se conclura par l'invention du dodécaphonisme. Conclusion hâtive en regard du choix des savoureux petits textes de Stefan George montrant un compositeur attaché à un certain optimisme dans son art. Texte du  1er Lied opus 3 : C'est un chant / pour toi seule : / d'illusions enfantines / de larmes pieuses... / À travers les jardins du matin il résonne / avec des ailes légères. / Seulement pour toi / il voudrait être un chant / qui émeut. Donc pas de musique pure et froide mais une délicate émotion que l'on va retrouver dans les six pièces pour orchestre. Une ambiance plus contrastée. cependant.


Portrait de Webern vers 1908

J'ai souvent vu une partie du public dubitative après l'exécution d'un ouvrage de Webern ou de Berg en concert. Si les musiques depuis l'époque baroque jusqu'au postromantisme sont fréquemment bien perçues de par leur architecture mélodique entraînante ou émouvante, il n'en est pas de même pour les musiques plus contemporaines. L'auditeur doit se concentrer sur une écoute globale des "interventions" musicales, et pour Webern, nous parlerons de mélodies de timbres. Aux thèmes qui assurent un déploiement logique du discours musical, Webern substitue une succession de motifs de quelques notes joués par un instrument ou plusieurs, chaque instrument se voyant attribuer son motif (je simplifie, mais c'est l'idée). Chaque morceau déroule des séquences sonores articulées sur des changements incessants de pupitres donc de couleurs et de timbres. Les musiciens avouent devoir être très scrupuleux dans leurs prestations pour éviter l'effet "vacarme incohérent" qui fait les choux gras des détracteurs de l'atonalité. 

Webern simple théoricien ? Pas du tout ! La quatrième pièce avec ses quatre bonnes minutes n'est autre qu'un mini requiem dédiée à sa mère qui venait de mourir, pianiste et cantatrice, Amalie (née Geer) qui avait bien soutenu son fils à réaliser sa vocation.

 

La composition a lieu en 1909 avec une première orchestration "copieuse" : 4 flûtes (+ 2 piccolos et 1 flûte alto en sol), 2 hautbois, 2 cors anglais, 3 clarinettes (+ 1 petite clarinette en mi), 2 clarinettes basses, 2 bassons (+ 1 contrebasson), 6 cors, 6 trompettes, 6 trombones, 1 tuba, célesta, 2 harpes, 3 timbales, triangle, glockenspiel, rute (un fouet), cymbale, tam-tam, caisse claire, grosse caisse, cloches graves), cordes. Hormis 2 discrets tuttis, cet effectif pléthorique est utilisé de manière quasi chambriste, respectant ainsi le principe de mélodie de timbres très intimiste… La création est assurée en 1913 à Vienne par Schoenberg. Le public, comme pour chaque création trop en avance sur son temps, accueille l'œuvre par un belliqueux charivari😄. (Le sacre de Stravinski ou Désert d'Edgar Varèse ont connu la même avanie 😄😄). Nota : la partition est rédigée en do majeur par défaut ; une autre tonalité majeure ou mineure précise serait contraire au mode de composition.

Cet orchestre digne de celui d'un Mahler ou d'un Chostakovitch rend l'ouvrage exigeant pour sa programmation. Webern conscient de ce problème proposera en 1928 une version allégée : 2 flûtes (+ 1 piccolo), 2 hautbois, 2 clarinettes, 1 clarinette basse, 2 bassons (+ 1 contrebasson), 4 cors, 4 trompettes, 4 trombones, 1 tuba, timbales, célesta, harpe, triangle, glockenspiel, cymbale, tam-tam, caisse claire, grosse caisse, cloches graves, cordes. Version créée par Hermann Scherchen début 1929.


Herbert von Karajan vers 1970

Herbert von Karajan choisit cette seconde mouture pour sa gravure de 1973. A contrario, Pierre boulez recourt à celle de 1909 pour son interprétation avec la philharmonie de Berlin, lui aussi mais en 1995

Je suggère l'écoute au casque HIFI ou sur une bonne chaîne. Sur un PC, la légèreté diaphane du son massacre la subtilité des timbres, un autodafé sonore…

Donc, six pièces et un quart d'heure de musique. Cet article est déjà long. Je me limiterai à ne commenter de manière détaillée que la première pièce pour illustrer la technique de composition et la 4ème, la marche funèbre, d'une beauté sidérale et d'une profondeur existentielle angoissante, typique des affres philosophiques du compositeur !


1 - Etwas bewegt (assez animé) : la musique semble surgir du néant, ou plutôt d'un sommeil primordial (c'est moins sombre formulé comme ça). Un sensuel arpège rompt le silence, il commence à la flûte mais se poursuit au célesta avec une conclusion de nouveau à la flûte ; une sonorité velouté vs un timbre cristallin pour exposer un seul motif. Les cordes vont intervenir pour accompagner d'autres idées aux harmonies variées qui s'éparpillent dans l'espace sonore. Au loin une trompette nostalgique. [0.28] L'orchestre s'anime, s'enrichit… Nous sommes à la mesure 8 que j'ai citée en exemple. Un exemple parmi les plus pertinents de la technique : flûte et hautbois entonnent en duo une mélodie à la tessiture modeste, la clarinette basse et les bassons, à l'inverse, descendent un arpège chaotique, les cors se font altiers. Certains y entendent les bruits de la forêt et une lointaine partie de chasse onirique. Pourquoi pas ? Ces motifs sont notés f, rareté dans une partition où, tel à son habitude, Webern requiert des instruments des pp et ppp. Je parlais plus haut d'intimisme n'est-ce pas ? Ah, important, dans cet extrait, on constate une surabondance d'altérations ♯, ♭ ou , une preuve que Webern abandonne toute règle tonale pour un chromatisme sans limite, le bénéfice étant ce climat mystérieux, des timbres étranges et ainsi, exemptée de la traditionnelle continuité mélodique, la composition offre au silence un écrin isolant chaque exposé de motifs… (Il y a plus de pauses et de soupirs que de notes 😊)


2 - Bewegt (agité) : [1:10] Musique sans programme, pure, vraiment éthérée et ne laissant place qu'à des jeux atonaux et de timbres dirait-on ? La seconde pièce permet d'infirmer ces a priori, en partie… La transition avec la 1ère pièce se résume à une rupture rythmique de 2/4 à 6/8, à un demi plus un quart de soupir (du silence mais si peu) et l'enchaînement vers une phrase à la clarinette basse et au basson, un motif furtif et accentué, ourlé de quelques notes solitaires à la harpe. La flûte chante un air discret mais ironique en opposition à la virilité des vents. Prolongement de la mélodie sur les mêmes timbres ? Non ! Cors, trombones et tuba basse énoncent une phrase sarcastique, un rien sévère. Jeux de timbres cuivrés ; nouveau climat plus inquiétant que déchirant. Ainsi pas de programme au sens classique mais en cette époque de montée des nationalismes, Webern ne pressent-il pas l'apocalypse guerrière des tranchées, inquiétude guidée par ses réflexions philosophiques. Le fracas ténébreux des percussions et les gémissements sinistres des trompettes bouchées [2:01] préfigurent la hargne et la douleur d'un Chostakovitch ou d'un Penderecki, soit les années 1950-60 !!! La coda se voit confiée à des chocs de grosse caisse et de cymbales… flippant.

3 - Zart bewegt (doucement animé) : [2:41] Décidément, l'écoute répétée et attentive laisse apparaître un fil conducteur. Après la violence barbare : le temps de la prière et du chagrin. 11 mesures en tout et pour tout ! Un motif priant aux altos ; les trompettes bouchées murmurent des accords ppp de sonnerie aux morts. Ma perception de l'instant : l'écoute d'une oraison funèbre d'une minute qui ne requiert que quelques instruments perdus dans cet orchestre pourtant généreux.

Langsam, marcia funebre (lent, marche funèbre) : [3:48] Waouh, quatre bonnes minutes ! La plus longue, étrange et sublime des pièces. Tiens, je parlais de marche funèbre avant… Webern pensait-il que le disque et la HIFI n'existeraient pas ? L'introduction est un roulement de grosse caisse, noté ppp, sans doute 30 Hz, quasiment inaudible avec Karajan qui, curieusement ne triche pas pour contourner les limites de la dynamique imposée, même remarque pour le rythme de tamtam et de glockenspiel qui tente d'éclaircir l'atmosphère sépulcrale. Ce petit requiem comprend plusieurs sections, trois à mon avis caractérisées par la nature des couleurs instrumentales choisies. Webern glace le sang en nous imposant cette procession grotesque de motifs aux timbres opposés : sombres ou métalliques. [5:28] section 2 : solo de clarinette, une marche au supplice. [6:44] section 3 : un tocsin de cloches introduit le seul climax de l'œuvre, hiératique, obsédant, dantesque.

Sehr langsam (très lent) : [8:04] Enchantement ou noirceur ? Le génie de l'ambiguïté expressionniste de Webern apparaît nettement dans cette 5ème pièce mettant en scène un à un chaque pupitre, ou presque.

Zart bewegt (doucement animé) : [10:55] La pièce ultime, plus lumineuse, renoue avec la sérénité. La rupture incessante des jeux de timbres se veut encore plus marquée qu'auparavant. Cette dentelle instrumentale et chatoyante rappelle qu'initialement Webern imaginait cette suite pour un orchestre chambriste, d'où la réduction de l'effectif de 1928 entendu dans cette interprétation du maestro autrichien. La prise de son est délicatement brumeuse, reflet de la partition, mais au disque, on trouvera plus de relief dans l'interprétation de 1969 de Pierre Boulez (Sony, préférable à celle plus tardive pour DG) ou encore avec Claudio Abbado à Vienne, la référence pour certains…

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