vendredi 30 octobre 2020

ADIEU LES CONS d'Albert Dupontel (2020) par Luc B.

     



C’est peu dire que le dernier Dupontel était attendu, après les réussites que constituaient NEUF MOIS FERME (2013) et AU REVOIR LA-HAUT (2017). Verdict : un bon film plein de qualités, mais dont j'espérais davantage. 
 
Le départ est prometteur, avec la présentation des deux protagonistes confrontés chacun à l'entretien qui signera leur perte. D’un côté Suze Trappet, la quarantaine rayonnante (Virginie Efira) atteinte d’une maladie auto-immune, diagnostiquée incurable par son médecin. Elle va mourir. De l’autre, JB (Albert Dupontel) informaticien hyper compétent, jugé trop vieux par son chef de service.  Mis au rencard, brisé, il veut mourir.
 
Le vœu de Suze, avant de mourir, est de retrouver son enfant né sous X, placé à l'Assistance. Un parcours du combattant dans le labyrinthe administratif. Clin d'oeil à BRAZIL de Terry Gilliam, qui oh surprise, fait une apparition (comme dans tous les films de Dupontel). JB se heurte lui aussi à un souci : il rate son suicide, programmé pour plus de panache sur son lieu de travail. Double conséquence : JB est soupçonné d'avoir voulu tirer sur un collègue, et seule Suze, témoin du suicide foireux, peut l’innocenter. Elle veut avoir accès aux dossiers informatiques pour retrouver son môme, JB a justement les compétences requises pour l’aider. Ce sera donnant-donnant. 
 
Racontés ainsi, les ingrédients font davantage penser à un mélodrame sombre qu’à une comédie. D'ailleurs Dupontel qualifie son film de tragédie burlesque. Sauf que l'équilibre entre les genres ne fonctionnent pas toujours, avec un penchant mélo trop prononcé (les notes de guitares...) soi mal habile. Le film part sur les chapeaux de roues, comme à l’ordinaire Dupontel raconte son histoire de manière très visuelle, cartoonesque (l’enfance de Suze). Le film est très rythmé, dure moins d’une heure trente, et pourtant, donne l’impression de faire du surplace.
 
La situation est classique : un couple en cavale, ardemment recherché, devant mener leur enquête. On devrait donc être dans le mouvement continu. Mais à chaque fois que Suze et JB sont devant une difficulté, hop, il suffit de pianoter sur un ordinateur pour trouver la solution. C’est un peu facile… D’où ce rythme à la fois effréné et statique, le duo étant le plus souvent assis en voiture, sur des marches, un banc... Et impression étrange : alors que Dupontel semble pointer du doigt cette société ubuesque, désincarnée, technologique, c'est justement la technique qui sauve les personnages - et qui permet au réalisateur de donner cette forme au film. Contrairement à EFFACER L'HISTORIQUE (Delépine & Kerven) sur un thème similaire, qui était cohérent dans le fond comme dans la forme. Il y avait un suspens dans NEUF MOIS FERME, du romanesque dans AU REVOIR, deux ingrédients un peu absents ici. Ce sentiment est diffusé aussi par le choix de mise en scène.
 
Dupontel apporte toujours un grand soin à ses images, savamment cadrées, éclairées (l'héritage JP Jeunet) on commence à connaitre son style, mais qui ici prend un peu le pas sur l’intrigue elle-même. Il aime aussi filmer ses acteurs sur fond vert, et incruster ensuite numériquement les décors. Pourquoi pas, mais du coup les comédiens sont rarement en mouvement, c’est le décor qui bouge. Voir la montée de l'escalier en colimaçon. On repense à ces films anciens où une poursuite en voiture était filmée avec un effet de transparence, le châssis de la bagnole fixé sur des vérins en studio. Et bien c’est la même impression ici.   
 
C’est une volonté d’Albert Dupontel de redessiner son filmer, l’habiller graphiquement en  post-production, mais ça sonne faux, et pour cause. Le film ne se veut pas réaliste. Comme pour les flics du film, des gars habillés en noir sortis d’un épisode de MATRIX. Certains voient dans ce film une charge contre la police (le personnage de Monsieur Blin est devenu aveugle après un tir de flash-ball lors d’une manif étudiante), ou un hommage aux Gilets Jaunes (scène du rond-point). Dupontel s'en défend, d'autant plus que le scénario était prêt bien avant les premières manifs.  
 
J'ai l'air comme ça de descendre le film, mais il y a heureusement de bonnes choses dans ADIEU LES CONS, l’interprétation, l’inventivité des images, le sens du dialogue, comme ce running gag sur les patronymes des gens (« madame Trappot… Trappit… Trapput ? Trappet !!! ») les seconds rôles. Dupontel s'entoure de sa troupe habituelle, des fidèles. Comme Nicolas Marié qui joue M. Blin, l’aveugle qui fait le guet (!). Jolie scène lorsqu'il se remémore les rues qu'il a connues avant sa cécité, qui ont bien changé. Lui ne le sait pas, et Suze n'ose le contredire. Le film paraît nostalgique, avec un petit fond réac (qui à mon sens correspond davantage à Dupontel que l’étiquette d’anar qu’on lui prête volontiers), un film traversé une fois de plus par le thème de la maternité, de la filiation, de l'individu paumé dans une société qui change.
 
Toute l'intrigue converge vers les deux séquences finales, dont je ne peux révéler l’exacte teneur. Celle de l’immeuble et des ascenseurs téléguidés, digne de Buster Keaton, à la fois burlesque et poétique. On a plus à faire à des silhouettes, des caractères, qu’à des personnages, comme dans AMÉLIE POULAIN, auquel on pense parfois (qui pour le coup brasser beaucoup plus d’aventures). Et puis les dernières images, la séquence du parking. Fallait oser vendre un épilogue pareil à la Gaumont ! Une tragédie burlesque ? L'expression est bien trouvée.
 
 

couleur  -  1h27  -  scop 1:2.35 



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