- Ahhh
Claude, ben t'en as une petite mine, et en plus tu as voulu nous faire un petit
papier, un petit cadeau musical avec ce pétulant concerto pour hautbois…
- Et oui
Sonia, l'impression d'être passé sous un camion après cette visite guidée en
clinique. Ce chouette concerto est tout à fait de circonstance et de saison…
- Elle est zarbie
la jaquette : deux papillons qui chahutent et des ruines noircies, surement une
vue de l'Allemagne en 1945 après la capitulation et les ravages de la RAF…
- Une
évocation de Metamorphosen, autre œuvre pour 23 cordes du CD, écrite en épitaphe
après la destruction de Dresde et l'effondrement de la culture germanique…
- Ah
d'accord, tu en as parlé de cette œuvre funèbre… Là j'écoute, c'est frais
et rigolo, pas de commentaires très pointus ?
- Tout à
fait, un petit concerto néoclassique et bucolique ; pas la frite suffisante pour rédiger
une thèse ; une pique en autodérision….
Je reviens rapidement sur le sujet Richard Strauss vs nazisme. En 1934, à l'arrivée au pouvoir d'Hitler comme chancelier, Richard Strauss vient de
fêter ses 70 ans ; il est un dieu vivant en Allemagne, musicalement parlant. Le
maître n'a jamais fait de politique, il se pense au-dessus de ça. (Franchement,
ayant presque cet âge…). L'homme est bavarois et traditionaliste. Il ne prend
aucune mesure de la folie qui va asservir et anéantir son pays, gérant des contradictions,
enfin à nos yeux. Chaque année, pour l'anniversaire du führer,
il lui fait livrer des fleurs. Il le faisait sans doute déjà pour Bismarck, aurait continué pour Angela Merkel et, soyons fou, pour Daniel Cohn-Bendit J. Il ne
comprend rien à ce régime et se replie sur lui-même et la musique. Il ira, en Mercédès,
se présenter à l'entrée d'un petit camp de concentration pour faire libérer une
amie plus ou moins proche, outré qu'il existe des "pénitenciers" dans
sa patrie. Il sera éconduit avec égard. À Goebbels
qui lui demande d'enlever le nom du librettiste juif Stefan
Zweig des affiches de concert (La femme silencieuse…) "sinon le
führer ne viendra pas", Strauss répond sèchement "Et bien
qu'il ne vienne pas" ! Le régime qui a vu fuir la majorité des grands
artistes juifs ou opposants ménage Strauss
qui de son côté se doit de faire profil bas, de serrer des mains des caciques,
nombre de sa parenté étant d'origine juive. Époque démente.
Février 1945
: Dresde est rayée de la carte en une nuit
par la RAF et l'US Air force. On débat encore sur l'opportunité de cette
ignominie transformant en volcan une ville d'art sans intérêt stratégique, le
nazisme étant à genoux (15 à 50 000 victimes ?). Richard
Strauss est anéanti, pas uniquement par la perte de tous ses
manuscrits, bien entendu, mais par la monstruosité atteinte en dix ans par la
civilisation occidentale.
Je reprends mes mots de 2013 : "C'est pendant cette apocalypse d'un IIIème Reich
agonisant qu'il compose, à la demande du chef d'orchestre et mécène suisse Paul
Sacher (clic) les métamorphoses pour 23
cordes, œuvre épitaphe citant la marche funèbre de Beethoven, metamorphosen achevée et
créée juste avant la Capitulation en avril 1945".
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Depuis avril 1945,
l'armée alliée occupe la Bavière, on prépare le procès de Nuremberg de 1946. Richard
Strauss réside à 81 ans à Garmisch
à la frontière suisse, région verdoyante, loin de la bataille de Berlin qui
s'achève. Au sein de l'armée américaine sécurisant cette ville par laquelle des
criminels nazis tentent de fuir, se trouve le caporal John de Lancie,
premier hautboïste de l'Orchestre de Pittsburgh. Il admire l'écriture de Strauss pour son instrument. L'instrumentiste
souhaite rencontrer le compositeur qui accepte avec bonhomie. John de Lancie demande à Strauss s'il a déjà songé à écrire un
concerto pour hautbois. "Nein !", sans aucune arrière-pensée hautaine.
Strauss a peu écrit pour cette forme : un concerto
pour piano,
un pour violon,
deux pour cors
(1893-1943) et plus original, pour clarinette et
basson. Des ouvrages sympas, sans plus. Les deux hommes se
séparent après un long échange amical, l'humanité en a besoin. D'ailleurs l'idée
fait son chemin et le compositeur fait volte-face. La courte partition voit le
jour en septembre octobre 1945.
Comme pour chasser la chape de noirceur couvrant
l'Europe, le compositeur se tourne vers l'époque festive classique, celle de
Mozart et de Haydn. Le répertoire concertant pour hautbois est maigre, pourquoi
? Mystère. L'instrument a une tessiture modeste mais sa volubilité permet une
jolie fantaisie d'écriture. (Bach,
Vivaldi, Vaughan
Williams …) L'orchestration est le reflet de la démarche :
2 flûtes, 1 cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 2
cors et cordes. Un orchestre de chambre.
Garmisch |
Ce concerto adopte la tonalité bonhomme de ré majeur
et la structure la plus classique qui soit en trois mouvements :
1 - Allegro moderato
2 - Andante
3 - Vivace - Allegro
2 - Andante
3 - Vivace - Allegro
Pas de commentaire philosophique et musicologique comme
précisé en intro. La composition soi-disant classique n'est en rien passéiste ;
les sauts de tonalités et la fantaisie de la polyphonie en font même un ouvrage
postmoderne. Le hautbois énonce rapidement un thème guilleret, pastoral,
poétique et lyrique… pas mal, non !? Il reparaîtra tel un leitmotiv dans divers
développement, offrant une unité chorégraphique au concerto.
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Âgé de 81 ans le hautboïste suisse Heinz Holliger a fait ses études à Bâle et à Berne, puis à Paris sous la houlette de Pierre Pierlot. Pour la composition et la direction il sera l'élève de Pierre Boulez. Avec Neil Black et François Leleux, il fait partie du cercle fermé des grands virtuoses modernes du hautbois. En témoigne ce disque plein de verve… Il dirige lui-même l'orchestre de Chambre d'Europe.
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Le concerto pour hautbois est sans doute le plus
apprécié des concertos de Richard Strauss.
Les autres sont des œuvres de divertissement qu'il ne faut pas négliger. La
discographie propose les couplages les plus variés. J'en suggère trois :
Dans l'intégrale réalisée à Dresde dans les années
60-70 par Rudolf Kempe en 9 CD
toujours rééditée, on trouve tous les concertos (sauf pour piano) en complément
des plus célèbres et sur-orchestrés poèmes symphoniques. LE coffret de
référence pour les fans du bavarois (EMI - 6/6).
Bel enregistrement avec la Philharmonie
de Vienne conduite par André Previn
et réunissant les quatre concertos pour vents (DG – 4/6).
Enfin un disque que j'aime beaucoup par son alacrité
et son intimisme, de nouveau les quatre concertos pour vents interprétés par l'orchestre de chambre de Lausanne dirigé
par Matthias Aeschbacher (Claves – 4/6).
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