samedi 6 juin 2020

Richard STRAUSS - Concerto pour hautbois (1945) – Heinz HOLLIGER (1993) - par Claude Toon



- Ahhh Claude, ben t'en as une petite mine, et en plus tu as voulu nous faire un petit papier, un petit cadeau musical avec ce pétulant concerto pour hautbois…
- Et oui Sonia, l'impression d'être passé sous un camion après cette visite guidée en clinique. Ce chouette concerto est tout à fait de circonstance et de saison…
- Elle est zarbie la jaquette : deux papillons qui chahutent et des ruines noircies, surement une vue de l'Allemagne en 1945 après la capitulation et les ravages de la RAF…
- Une évocation de Metamorphosen, autre œuvre pour 23 cordes du CD, écrite en épitaphe après la destruction de Dresde et l'effondrement de la culture germanique…
- Ah d'accord, tu en as parlé de cette œuvre funèbre… Là j'écoute, c'est frais et rigolo, pas de commentaires très pointus ?
- Tout à fait, un petit concerto néoclassique et bucolique ; pas la frite suffisante pour rédiger une thèse ; une pique en autodérision…. 

Je reviens rapidement sur le sujet Richard Strauss vs nazisme. En 1934, à l'arrivée au pouvoir d'Hitler comme chancelier, Richard Strauss vient de fêter ses 70 ans ; il est un dieu vivant en Allemagne, musicalement parlant. Le maître n'a jamais fait de politique, il se pense au-dessus de ça. (Franchement, ayant presque cet âge…). L'homme est bavarois et traditionaliste. Il ne prend aucune mesure de la folie qui va asservir et anéantir son pays, gérant des contradictions, enfin à nos yeux. Chaque année, pour l'anniversaire du führer, il lui fait livrer des fleurs. Il le faisait sans doute déjà pour Bismarck, aurait continué pour Angela Merkel et, soyons fou, pour Daniel Cohn-Bendit J. Il ne comprend rien à ce régime et se replie sur lui-même et la musique. Il ira, en Mercédès, se présenter à l'entrée d'un petit camp de concentration pour faire libérer une amie plus ou moins proche, outré qu'il existe des "pénitenciers" dans sa patrie. Il sera éconduit avec égard. À Goebbels qui lui demande d'enlever le nom du librettiste juif Stefan Zweig des affiches de concert (La femme silencieuse…) "sinon le führer ne viendra pas", Strauss répond sèchement "Et bien qu'il ne vienne pas" ! Le régime qui a vu fuir la majorité des grands artistes juifs ou opposants ménage Strauss qui de son côté se doit de faire profil bas, de serrer des mains des caciques, nombre de sa parenté étant d'origine juive. Époque démente.
Février 1945 : Dresde est rayée de la carte en une nuit par la RAF et l'US Air force. On débat encore sur l'opportunité de cette ignominie transformant en volcan une ville d'art sans intérêt stratégique, le nazisme étant à genoux (15 à 50 000 victimes ?). Richard Strauss est anéanti, pas uniquement par la perte de tous ses manuscrits, bien entendu, mais par la monstruosité atteinte en dix ans par la civilisation occidentale.
Je reprends mes mots de 2013 : "C'est pendant cette apocalypse d'un IIIème Reich agonisant qu'il compose, à la demande du chef d'orchestre et mécène suisse Paul Sacher (clic) les métamorphoses pour 23 cordes, œuvre épitaphe citant la marche funèbre de Beethoven, metamorphosen  achevée et créée juste avant la Capitulation en avril 1945".
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Depuis avril 1945, l'armée alliée occupe la Bavière, on prépare le procès de Nuremberg de 1946. Richard Strauss réside à 81 ans à Garmisch à la frontière suisse, région verdoyante, loin de la bataille de Berlin qui s'achève. Au sein de l'armée américaine sécurisant cette ville par laquelle des criminels nazis tentent de fuir, se trouve le  caporal John de Lancie, premier hautboïste de  l'Orchestre de Pittsburgh. Il admire l'écriture de Strauss pour son instrument. L'instrumentiste souhaite rencontrer le compositeur qui accepte avec bonhomie. John de Lancie demande à Strauss s'il a déjà songé à écrire un concerto pour hautbois. "Nein !", sans aucune arrière-pensée hautaine. Strauss a peu écrit pour cette forme : un concerto pour piano, un pour violon, deux pour cors (1893-1943) et plus original, pour clarinette et basson. Des ouvrages sympas, sans plus. Les deux hommes se séparent après un long échange amical, l'humanité en a besoin. D'ailleurs l'idée fait son chemin et le compositeur fait volte-face. La courte partition voit le jour en septembre octobre 1945.
Comme pour chasser la chape de noirceur couvrant l'Europe, le compositeur se tourne vers l'époque festive classique, celle de Mozart et de Haydn. Le répertoire concertant pour hautbois est maigre, pourquoi ? Mystère. L'instrument a une tessiture modeste mais sa volubilité permet une jolie fantaisie d'écriture. (Bach, Vivaldi, Vaughan Williams …) L'orchestration est le reflet de la démarche :
2 flûtes, 1 cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors et cordes. Un orchestre de chambre.

Garmisch 
La légèreté de ce concerto est à rapprocher de celle de celui composé par l'anglais friand de climat pastoral, Ralph Vaughan Williams et écouté dans ce blog sous les doigts de Neil Black accompagné par Daniel Barenboïm (Clic). Un ouvrage de durée et d'ambition similaires composé à la même époque.
Ce concerto adopte la tonalité bonhomme de ré majeur et la structure la plus classique qui soit en trois mouvements :
1 - Allegro moderato
2 - Andante
3 - Vivace - Allegro
Pas de commentaire philosophique et musicologique comme précisé en intro. La composition soi-disant classique n'est en rien passéiste ; les sauts de tonalités et la fantaisie de la polyphonie en font même un ouvrage postmoderne. Le hautbois énonce rapidement un thème guilleret, pastoral, poétique et lyrique… pas mal, non !? Il reparaîtra tel un leitmotiv dans divers développement, offrant une unité chorégraphique au concerto.
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Âgé de 81 ans le hautboïste suisse Heinz Holliger a fait ses études à Bâle et à Berne, puis à Paris sous la houlette de Pierre Pierlot. Pour la composition et la direction il sera l'élève de Pierre Boulez. Avec Neil Black et François Leleux, il fait partie du cercle fermé des grands virtuoses modernes du hautbois. En témoigne ce disque plein de verve… Il dirige lui-même l'orchestre de Chambre d'Europe.


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Le concerto pour hautbois est sans doute le plus apprécié des concertos de Richard Strauss. Les autres sont des œuvres de divertissement qu'il ne faut pas négliger. La discographie propose les couplages les plus variés. J'en suggère trois :
Dans l'intégrale réalisée à Dresde dans les années 60-70 par Rudolf Kempe en 9 CD toujours rééditée, on trouve tous les concertos (sauf pour piano) en complément des plus célèbres et sur-orchestrés poèmes symphoniques. LE coffret de référence pour les fans du bavarois (EMI - 6/6).
Bel enregistrement avec la Philharmonie de Vienne conduite par André Previn et réunissant les quatre concertos pour vents (DG – 4/6).
Enfin un disque que j'aime beaucoup par son alacrité et son intimisme, de nouveau les quatre concertos pour vents interprétés par l'orchestre de chambre de Lausanne dirigé par Matthias Aeschbacher (Claves – 4/6).



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