vendredi 12 juin 2020

PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU de Céline Sciamma (2019) par Luc B.


Ce film a reçu le prix du scénario au dernier festival de Cannes. Comment en aurait-il été autrement, vu l'apparente simplicité/limpidité du scénario, mais les richesses qu'il dégage. Oui, c'est un film très écrit. Mais quid de la mise en scène ? Là aussi, on aurait aimé que le travail de Céline Sciamma fût salué. Comme le travail sur l’image, la photographie de Claire Mathon. Il y a indéniablement du VERTIGO et du BARRY LYNDON dans ce film (aux dires de la réalisatrice), j’y vois aussi un peu de Fritz Lang, LA FEMME AU PORTRAIT, dans l’approche presque fantastique de traiter ce sujet, ces plans récurrents d’apparition spectrale d’Héloïse en robe de mariée. On pense aussi au Truffaut des DEUX ANGLAISES ET LE CONTINENT, ou LA LECON DE PIANO de Jane Campion (en beaucoup plus fougueux, elle, je reviendrai sur cette réserve).  
L’histoire commence avec Marianne, artiste peintre qui débarque sur une île bretonne, exécuter la commande d’une comtesse : faire le portrait de sa fille Héloïse pour son futur mariage. Film d’époque, en costume, mais de suite ancrée dans la modernité. Marianne qui n’hésite pas à plonger de sa barque pour rattraper du matériel tombé à l’eau, puis installée dans le manoir par une servante, elle se déshabille (sa robe est trempée), reste assise nue devant la cheminée en fumant une pipe, puis descendant à la cuisine à peine revêtue de sa blouse de travail, se servant un verre de vin. Portrait d’une jeune femme émancipée.
La comtesse dicte à Marianne le cahier des charges. Des peintres sont déjà venus mais ont échoué dans leurs missions. Héloïse se souhaitant pas de ce tableau, symbole d’un mariage visiblement arrangé, Marianne sera donc là officiellement pour l'accompagner en promenade. Mais l’observer en douce la journée, pour commencer à peindre le soir. Céline Sciamma garde longtemps le mystère d’Héloïse. Sophie, la servante, raconte à Marianne la mélancolie de sa maitresse, le souvenir d’une sœur qu’on suppose suicidée. Habilement, Sciamma met du temps à faire apparaitre Héloïse à l’écran, puis suivie de dos, en capuche. Impossible de voir son visage, jusqu’à ce que le vent la décoiffe. Suberbe ! Il y a un plan merveilleux sur la plage. Les deux femmes sont filmés de profil, le visage de Marianne cachant celui d’Héloïse, Marianne tente discrètement de la regarder, se détourne quand l’autre surprend son regard, réessaie, mais là c’est Héloïse qui la scrute… Chassé-croisé de regards, qui disent tout le film, à la fois la découverte de l’autre, et le regard du peintre sur son modèle.
La mise en scène, d’une grande délicatesse, privilégie des plans intérieurs en clair- obscur, éclairés à la bougie, cadres rigoureux, « comme des tableaux » disait-on de BARRY LYNDON, construction géométrique, symétrique, et des plans extérieurs très larges, des tableaux de Turner, une lumière magnifique, l’océan sans cesse en mouvement, le grondement des vagues. La bande son nous fait partager le moindre souffle de brise, le frissonnement d’une étoffe, comme plus tard le crissement du fusain sur la toile. Il n’y a pas de musique. C’est rare. Seulement un choeur de femmes, lors d’une scène nocturne au village, autour d’un grand feu, où Héloïse brulera le bas de sa robe, d'où le titre. La scène est très belle. On entend aussi un titre de Vivaldi, joué au clavecin par Marianne. Donc à chaque fois une musique qui provient d’un instrument joué à l’écran, d’une voix de personnage, ou d’un orchestre dans une salle de spectacle. Je vous laisse découvrir ce dernier plan, très long, d’une grande beauté.  
Il y a des plans très inspirés, comme lorsqu’on s’imagine voir arriver Héloïse en robe verte, dont on ne filme que les pieds (robe choisie pour le portrait et que la réalisatrice avait pris soin de montrer plus tôt) alors que le panoramique recadre en réalité Sophie, qui apporte la robe à l’atelier. Ou cette scène où, pour avorter, Sophie se suspend au plafond, Sciamma ne cadrant que le bas de son corps, ou encore lorsque Marianne se dessine devant un petit miroir rond, posé sur le sexe d’Héloïse, allongée nue. Un croquis réalisé sur une page de livre, choisie au hasard, la page 28, détail apparemment anodin mais qui aura toute son importance à la toute fin de l’histoire.
C’est un film exclusivement féminin. La peintre et son modèle, la servante, la comtesse. Qui laissera les trois premières seules, pendant cinq jours. Les relations entre les deux femmes et la servante sont aussi empreintes de modernité, pas de barrières hiérarchiques, de classes, mais une intimité qui se crée, une fraternité autour de leur condition de femme. Héloïse et Marianne vont s’aimer, les scènes entre elles sont tout en pudeur, voir comment Céline Sciamma - encore une fois - traque les regards, les gestes, comme dans les scènes de peinture, très réussies, filmées au plus proche de la toile, lorsque Héloïse consent à poser pour Marianne   
Au chapitre des petits défauts, car j’en ai trouvés, selon moi, il y a le rythme, lent, presque pesant parfois, cette manie de laisser de longues secondes de silence entre chaque réplique, d’autant qu’il n’y a pas de musique. Un huis-clos monacal, dont on aurait pu resserrer le montage. Et l’interprétation. Noémie Merland est formidable, mais ça coince un peu pour Adèle Haenel. Très investie visiblement par son rôle, elle semble figée comme une statue de cire, en proie à ses doutes existentiels.
On pourra faire le même reproche à Luana Bajrami (la servante) qui semble porter le même masque de bout en bout. Il y aura tout de même la scène où Héloïse rêve de se baigner, se demandant si elle sait nager, là encore, dans un film d’époque, cela tranche sur ce qu’on voit d’ordinaire.  La diction d’Adèle Haenel est agaçante, séparant chaque syllabe, précisant chaque liaison, même dans les répliques les plus anodines, une interprétation absolument pas naturelle. Pour donner un lustre XIX siècle surement (parlait-on réellement comme ça à l’époque ?) mais qui va à l’encontre de la modernité justement affichée par le film.  A l’opposé de Cécile de France dans MADEMOISELLE DE JONCQUIRE, qui débitait ses répliques à la mitraillette.
PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU (quel beau titre !) cumule les hommages et récompenses. C’est effectivement un film extrêmement maitrisé, millimétré, troublant, intelligent. On dit de certains films : c’est beau, mais c’est chiant, mais c’est beau. On a tout de même un peu de mal, parfois, à être captivé par cette incandescente liaison amoureuse, le jeu d’Adèle Haenel (pourtant toujours très juste jusqu’ici) n’aidant pas le spectateur à se sentir concerné.

couleur  -  2h00  -  format 1 :1.85     

    

2 commentaires:

  1. "C'est beau, mais c'est chiant ..." enfin surtout chiant ...
    Oh que je vais me faire des ami(e)s ... Que Sciamma compare cette (demi) purge à Barry Lyndon sous prétexte de lumière naturelle, c'est quand même pousser la loupiote un peu loin ...
    J'ai pas aimé le misérabilisme de la quasi totalité, on dirait du théâtre filmé, et le contraste est trop fort avec les deux dernières scènes en costumes, dans l'expo de peinture et encore plus à l'opéra. J'espère aussi que parmi toutes les récompenses, ils en ont pas filé une à la costumière. Il me semble bien que Merland (celle qui se jette à l'eau, of course) porte toujours les mêmes fringues et Haenel a trois robes dans tout le film ... bonjour le film en costumes ...
    J'ai pas très bien compris ce que venaient foutre ces tentatives d'avortement de la boniche qui reviennent comme une sorte de fil rouge ("une histoire de femmes" de Chabrol est d'un autre niveau sur ce thème-là) ...
    J'ai trouvé que l'Adèle H. livre pas une grosse perf, c'est le mieux que je puisse dire (sur la même thématique, elle est bien meilleure dans un second rôle dans "120 battements par minute"). Mon bon , chut, faut rien dire, la dame est susceptible et aime bien se complaire dans des esclandres aussi spectaculaires que dispensables (très douée pour l'auto-pub, et je m'arrête là, j'ai pas envie de développer, Deneuve l'a déjà remise à sa place, faut pas tirer sur les ambulances ...). Aurait-elle eu le rôle si la réalisatrice était pas sa copine ? Je sais c'est mesquin ...

    Péniblement la note moyenne pour moi ...

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  2. Tu es dur. Et je soupçonne un peu de mauvais esprit. La mise en scène est intelligente, cohérente (ça change) mais sans doute trop sophistiquée, appliquée. Comme la direction d'actrices. Sciamma a voulu élevé son film au dessus du lot, je trouve que c'est bien, mais ça manque de "vie". La photo est superbe. Je trouve la construction du scénario très intéressante. Merde, un prix du scénar à Cannes ! Adèle H. je l'ai découverte avec "Les combattants". J'avais beaucoup aimé. C'est une grand actrice (mais aussi une grande gueule, c'est ça qui gêne ?) sa prestation dans le dernier Salvadori. Dire qu'elle a eu ce rôle parce que sa relation avec Sciamma est juste putassier. Les couples réal/actrice y'en a plein. Truffaut et ses femmes ça ne gêne personne, et là, oui ? Je persiste et signe : quel beau film ! Maniéré, mais beau !

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