Comme
on dit, c’est un morceau qui se pose là ! Sans doute le film le plus
célèbre de Patrice Chéreau, du moins le plus populaire, 2 millions d’entrées à
l’époque, récompensé d’un Prix du Jury à Cannes en 1994, et du Prix d’interprétation
féminine, non pas à Adjani** (qui aura le César) mais à Virna Lisi, monstrueuse en
Catherine de Médicis. Le film s’est fait égratigné à sa sortie, too much, comme
disent les engliches, son budget colossal ayant sans doute fait des jaloux.
Rohmer aurait pu réaliser cent films avec la moitié des sous !
C’est
une superproduction historique dont le tournage s’est étalé sur de longs mois,
Chéreau n’étant pas le metteur en scène le moins exigent, ni le plus
facile à vivre ! Je garde en mémoire l’affiche du film où l’on voit Isabelle
Adjani en robe blanche maculée de sang, terrifiante et terrifiée. Il ne s’agit pas
CARRIE AU BAL DU DIABLE de Brian de Palma, mais bien LA REINE MARGOT d’Alexandre
Dumas. Je pense qu’une bonne partie du budget était réservée aux hectolitres d’hémoglobine
déversés pendant plus de 2h30 ! LA REINE MARGOT est co-scénarisé par
Danielle Thomson, et ouais, un univers éloigné des comédies de son paternel Gérard
Oury ou des mièvreries de Claude Pinoteau. Quant à ses propres réalisations, la
décence m’interdit d'en parler, car l’auteur de la réplique « Il est l’or,
mon signore, il est huit or » mérite tout notre respect.
Film
impressionnant, mais un capharnaüm où il n’est pas simple de s’y retrouver. Le
mieux est de se laisser porter par la narration quitte
à se perdre dans l’intrigue et les protagonistes. Le cadre : le massacre de la Saint Barthélémy,
août 1572, une Nuit de Cristal à la française dont il est impossible de comptabiliser
les victimes, 10 ou 20 000 morts, ou plus, dans la France entière ? Le conflit fratricide des clans
catholiques et protestants pour le pouvoir. Nous avons donc Catherine de
Médicis, catholique, qui a trois fils, dont le roi Charles IX, et une fille,
Marguerite de Valois, dite Margot. Dont sa mère organise le mariage arrangé avec
Henri de Navarre, protestant, et futur Henri IV, successeur d’Henri III, son beau-frère,
donc. Vous suivez ? On a aussi le Duc de Guise chez les catholiques opposé
à l’Amiral de Coligny chez les protestants. Coligny qui sera assassiné le jour
des noces (un plan de cette crevure de Médicis), l’attentat mettant le feu aux
poudres…
La
première séquence, le mariage, est de toute beauté. L’image en plan large est grandiose,
inspirée sans doute du tableau de David Le sacre de Napoléon. A la question du cardinal
qui officie « Marguerite voulez-vous épouser Henri ? » la
réponse se fait attendre. Un silence pesant qui met mal à l’aise l’assistance.
Et ça dure… jusqu’à ce que Charles IX bondisse de son siège pour écraser la tête
de sa sœur en signe d’acceptation. Il fallait en finir, et vite. Après cela Chéreau
va orchestrer un ballet orgiaque et monstrueux, de sexe, boisson, violence. Il
y aura ce plan superbe de Margot et Henriette (fabuleuse Dominique Blanc) qui
trainent capuchonnées, masquées dans les rues de Paris, à la recherche d’un
homme à baiser. Car avec son nouvel époux ce n’est pas encore le grand amour.
Le
choix de Margot se portera sur Joseph Boniface de La Môle (Vincent Pérez) monté
à Paris pour délivrer un message à Coligny… bon ça se complique encore, abrégeons.
Ils deviendront amants, mais le pauvre La Môle sera au centre de tous les
complots, et passera le film à se faire troué la peau de toutes parts.
La
distribution du film donne le vertige. Virna Lisi en Catherine de Médicis
ressemble au Nosferatu de Murnau, le front quasi chauve. Il y a ce plan terrifiant
où elle apparait au balcon d’une cérémonie, sortant de l’ombre comme un spectre
machiavélique. Elle tire les ficelles politiques de tous les complots,
utilisant les services de l’empoisonneur officiel de la cour. Scène fameuse où Charlotte
(la jeune Asia Argento) meurt empoisonnée par le rouge à lèvres dont elle s’enduit
les babines pour séduire son amant, Henri, mari de Margot. Car ça tringle beaucoup
à la cour… Chéreau nous fait clairement comprendre que les trois frères aimaient
plus que tendrement leur petite sœur, comme ils aimaient aussi de jeunes pages
(j’ai pas dit les Pages Jaunes).
Au
registre des empoisonnements, le plus spectaculaire est celui avec un livre
dont les pages sont enduites d’arsenic. Charles IX en fera les frais. Jean
Hugues Anglade livre une interprétation dantesque du personnage, affaibli par
la maladie, en proie à des spasmes terribles, dont les frères sont prêts à tout
pour le saborder du trône. La scène de la chasse au sanglier est terrible, lui
coincé et charcuté sous son cheval, ses frères spectateurs de sa mort certaine.
Parmi les images les plus spectaculaires du film, celles de le voir suinter du
sang. Son visage se perle de rouge, c’est ainsi qu’il recouvre la robe de
Margot (l’affiche du film) venue réclamer la grâce de La Môle, injustement
accusé. Car sur ce coup, la reine mère s’est un peu plantée, ça arrive même aux
meilleurs, le bouquin fatidique n’était pas destiné à son fils.
Le
massacre des protestants est d’une violence folle, un déchainement de
brutalité, Chéreau orchestre le chaos par des plans courts, heurtés, je n’ose
imaginer les kilomètres de rushes qu’il a fallu monter ensuite pour donner
cette forme au film. On critique justement cette emphase pesante et théâtrale
du film, mais il s’agit pourtant vraiment de cinéma au sens premier du terme, c’est-à-dire
un montage d’images, de plans, savamment organisés.
L’interprétation
est hystérique. Patrice Chéreau ne donne pas dans la bluette. On peut
en être saoulé, le fameux too much des critiques, mais cela participe
à décrire cette situation politique, anarchique, tendue, ces mœurs sauvages. Des confrontations psychologiques traduites en actions, chères au réalisateur. Une
tension qui ne faiblit pas. Les éclaircies sont rares. Des
protagonistes sous pression, tous paranos (ça complote et assassine à tours de
bras) hurlant, vitupérant, les cheveux en bataille, les vêtements lacérés, les
regards fous, qui laissent le spectateur abasourdi.
Au
milieu de ces ogres sanguinaires, Isabelle Adjani, le visage diaphane et
cadavérique sous une chevelure d’ébène symétriquement coiffée, impressionne. Mystérieuse,
audacieuse et victime, perverse et enfantine à la fois, elle tient le rôle-titre,
mais ne vampirise pas le film pour autant. Non qu’elle soit plus sobre dans son
jeu que dans CAMILLE CLAUDEL (elle y est sans doute mieux dirigée) mais parce qu’autour
d’elle la bande de fous furieux ne donne pas dans la figuration. On peut citer
aussi Jean Claude Brialy fabuleux en Coligny, Dominique Blanc bien sûr, Daniel
Auteuil rarement aussi bon, Pascal Gréggory (un fidèle de Chéreau, comme Jean
Hughes Anglade), Jean Philippe Ecoffey, Bruno Todeschini, Miguel Bosé, Laure
Marsac, Bernard Verley impérial en cardinal, la jeune Valeria Bruni Tedeschi, Hélène de
Fougerolles et même le réalisateur Barbet Schroeder dans une petite
participation. Du très lourd.
Flamboyant
et tragique pour les uns, boursoufflé et barbant pour les autres, LA REINE
MARGOT ne laisse pas indifférent, peu de film français sont à la fois spectaculaires
et intimistes, loin des reconstitutions à la naphtaline qui sentent souvent le
toc, prétextes à emmener des élèves de troisième au cinéma, on pourrait penser
aux superproductions scolaires de Claude Berri avec Depardieu, mais… non j’l’ai
pas dit !
**Isabelle Adjani reprend le rôle de Jeanne Moreau dans la version de Jean Dréville (1954) scénarisée par Abel Gance.
Il est fabuleux ce film! Romantique et baroque. Quand tu trucides des centaines de personnes, à l'arme blanche, ben le sang coule.
RépondreSupprimerAnglade il a tjrs adoré morfler. 37,2, Nikita, Killing Zoé...
Adjani elle est hors concours, faire un môme avec Day Lewis c'est pas donné à tout le monde.
Un film rock'n roll, un vrai bonheur!!
Plus d'indices sur le prochain film?...dommage...
Ok avec toi. Anglade, grand acteur, trop peu utilisé. Tu veux le retour des indices ? Il n'y que toi qui jouait, j'avais l'impression de ne parler qu'à une seule personne. Mais de choix ! Je vais y remédier. Je prévois : 1) le must du film de cape et d'épée sans Jean Marais. 2) cette fois-ci elle ne meurt pas sous la douche. 3) le héros de ma défunte mère porte le collant aussi beau qu'Errol Flynn.
RépondreSupprimerAlors ?...
Oh lui eh...La douche c'est psychose, donc c'est Janet Leigh, donc c'est pas Prince Vaillant parce que Stewart Granger donc c'est...
RépondreSupprimer... donc c'est le plus beau duel du cinéma en technicolor, mais pas "Le prisonnier de Zenda". Il n'en reste plus qu'un. Trop fort le Juan...
RépondreSupprimerDans Zenda c'est Déborah Kerr. Pas Janeth. Déborah je m'en souviens très bien parce qu'elle a failli se faire encorner par un urus dans Quo Vadis mais Ursus lui a pété les vértèbres (au taureau pas à Lydia). C'est le premier film que j'ai vu au cinoche de ma vie, avec mes parents que avec le recul je n'hésiterai pas à qualifier de psychopathes...
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