samedi 20 juin 2020

MADAME BÂ d'Erik Orsenna (2003) - par Nema M.




- Sonia, tu t’es fait virée du Blog par Luc ! 😊
 - Mais non, t’es bête, j’ai réorienté mon devenir professionnel vers une fonction encore plus immergée dans le monde des arts… Maintenant je travaille à l’Opéra !
- Alors là, c’est le pompon. Sonia tu t’y crois… Bon, tu me feras quand même passer cette chronique au Toon pour qu’il la mette en publication quand tu iras prendre un déca avec lui.
- Humm… Madame Bâ ? Bof…

Fleuve Sénégal
Et oui, Madame Bâ. Née Marguerite Dyumasi. Une Soninké du Mali qui, dans un récit à la première personne, nous entraîne dans un somptueux, et parfois bien amusant, voyage en Afrique. Ce récit est en fait un long monologue à l’adresse de Benoît (Maître Fabiani) qui l’assiste pour remplir un formulaire CERFA d’obtention de visa pour un court séjour en France.

Marguerite naît en 1947. Le récit de sa naissance est assez piquant, un peu comme son grand nez pointu. Future grande fille peut-être pas particulièrement belle, mais qu’on voit bien avec beaucoup de prestance, avec ce grand nez qui lui permet d’avoir un odorat extrêmement développé. Il y aura tout au long de cette histoire des odeurs, des senteurs, des parfums, des remugles qui auront été mémorisés par Marguerite au cours de sa vie (une marguerite, entre nous, ça ne sent pas très bon…). Les Dyumasi n’habitent pas loin de la frontière avec le Sénégal, au sud du Mali du côté de la ville de Kayes. Ousmane, le papa, est l’adjoint du directeur de la centrale électrique sur le fleuve Sénégal, barrage qui a été décidé et construit par les Blancs dans les années 20. D’ailleurs le père d’Ousmane, Abdoulaye, dit « Chemin des dames » à son retour de la Grande Guerre, a travaillé à la construction de cette centrale. Des liens étroits avec le fleuve donc. Fleuve que Marguerite aime pour ses caprices et ses colères qui le font largement déborder, comme pour son calme. Mariama, la maman, est une « traditionaliste », une qui connaît l’histoire et les leçons utiles que l’on peut en tirer pour le présent. Marguerite est l’ainée d’une famille de 12 enfants.

Mairie de Kayes (photo : Mousssa Niakate)
Marguerite Dyumasi rencontre pendant sa scolarité un très beau jeune homme, un Peul, Balewell Bâ. Mais les Peuls sont des nomades et également des éleveurs. Quel métier pour Balewell ? Comment assouvir son amour pour les vaches ? Vous verrez, Marguerite avec beaucoup d’humour et d’inventivité trouvera les réponses satisfaisantes à ces questions et formera avec son Balewell une belle famille avec beaucoup d’enfants. 8 bébés en 10 ans. Evidemment avec une vie comme ça, bien que bien démarrées, les études sont interrompues assez vite. Mais Madame Bâ a une très bonne maîtrise de sa langue et obtient une capacité en droit. Goût de la précision des termes juridiques et des formalités.

(photo : Mousssa Niakate)
Madame Bâ sera une femme heureuse, épanouie, puis malheureusement une veuve. Bon. La vie continue. Il faut travailler pour élever ses enfants. Un peu d’enseignement, et surtout un recrutement à la Haute-Délégation Franco-Malienne pour le co-développement. Franche, directe, pleine de bon sens et surtout connaissant bien son pays, elle sera pour le Haut Délégué Général une aide précieuse. Affectée à la gestion administrative, elle contribue à l’analyse des demandes de subvention. Cette activité relève du grand art : les demandes sont plus ou moins farfelues comme par exemples une autorisation pour « copier légalement » des polos Lacoste ou une subvention pour financer l’achat d’une mobylette pour livrer des œufs… C’est plein de candeur et de délicatesse : on ne se moque pas de ces envies de « business » un peu toutes foutraques. A une autre échelle car le co-développement ne vise pas que ce que l’on appelle aujourd’hui des micros-entreprises, Madame Bâ avec son Délégué Général verra l’inauguration d’un échangeur routier au milieu de nulle part. Elle décortiquera aisément le montage financier qui fait que les subventions s’éparpillent dans le sable pour ne laisser qu’un pauvre édifice inutile et mal construit. Difficile le co-développement.



Dans sa vie professionnelle, Marguerite Bâ aura également l’occasion de nouer une relation amicale avec une jeune agent consulaire à l’ambassade de France, Florence Launay. Elle l’accompagnera dans sa découverte de la réalité de la vie dans ce beau pays africain : il est très difficile de lutter contre la fraude à l’état-civil et le trafic de passeports.
Et puis, il va y avoir une quête. Une impérieuse nécessité pour Marguerite d’aller en France retrouver son petit-fils Michel, recruté en junior pour apprendre à jouer au foot, le foot qu’elle qualifie de divertissement de fainéants. Un voyage Homérique (du fait de l’absence d’obtention du fameux visa) avec des rencontres très variées, des modes de transports très africains pour une tentative d’aller le plus au nord possible par la route… Je vous laisse découvrir, avec un verre de boisson fraîche et un ventilateur car il fait très très chaud.

Peut-on présenter Erik Orsenna de l’Académie française en quelques mots ? Difficile pour moi. Un homme au parcours riche et diversifié, ancien de Sciences Po, enseignant et chercheur en économie du développement dans les années 70, il devient haut fonctionnaire au ministère de la coopération puis conseiller culturel de François Mitterrand dans les années 80, maître des requêtes au Conseil d’Etat, membre du Haut Conseil de la Francophonie et plus récemment soutien d’Emmanuel Macron pour les Présidentielles… Côté écriture, je dirai juste qu’il sait depuis longtemps nous immerger dans les anciennes colonies françaises (L’Exposition coloniale ; prix Goncourt 1988) mais qu’il a aussi la faculté de nous faire virevolter avec notre langue (Plaisirs secrets de la grammaire et autres promenades au cœur de la langue française). Et tant d’autres ouvrages…

Bonne lecture !

512 pages Le Livre de Poche, Fayard 


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