vendredi 15 mai 2020

LE ROUGE EST MIS de Gilles Grangier (1957) par Luc B.


J’adore ce genre de films parce qu’on y retrouve généralement toujours les mêmes, et en vieillissant on a nos p’tites habitudes. Dans LE ROUGE EST MIS c’est pas compliqué, ils sont tous là ! Gabin, Ventura, Frankeur, Bozzuffi, et Audiard qui n’est jamais bien loin, né le 15 mai 1920, pile poil y'a 100 ans, à croire qu'il savait que j'allais en parler aujourd'hui. Il co-signe l’adaptation et les dialogues de ce bouquin d’Auguste Le Breton, un romancier qui s’est surtout illustré dans le polar, des titres comme « Du rififi chez les hommes », « Razzia sur la chnouf », « Rififi à Tokyo », « Le Clan des Siciliens », que vous connaissez pour avoir été adaptés à l’écran. Il a aussi signé les dialogues de BOB LE FLAMBEUR de JP Melville.
Jean Gabin, Paul Frankeur
A la caméra c’est Gilles Grangier (1911-1996). Un nom qui revient souvent quand j’évoque les films de la Nouvelle Vague, car c’est justement le type de metteur en scène vilipendé par les jeunes critiques. C’est un peu injuste. Gilles Grangier, qui a gravi tous les échelons, de  figurant à assistant puis régisseur et finalement réalisateur,  a tout de même réalisé de belles choses, dont GAS OIL (1955), LE DESORDRE ET LA NUIT (1958) LE CAVE SE REBIFFE (1961, mon film de chevet). Mais y’a hélas aussi des ARCHIBALD LE CLOCHARD ou LE TATOUE (où Gabin cabotine outrageusement avec De Funès). Avec Gabin Ils ont tourné 12 films. Y'a aussi L’HOMME A LA BUICK avec Fernandel. Bref un réalisateur tout-terrain, à l’aise dans tous les styles.
Il est évidemment que Grangier n’est ni Duvivier, Melville ou Becker. Mais on y pense dans LE ROUGE EST MIS, dont l’intrigue se rapproche un peu de TOUCHEZ PAS AU GRISBI (1954, chef d’œuvre du polar à la française !) et qui rassemblait déjà Gabin, Ventura et Frankeur.
Bozzuffi et Girardot
Le scénario est juste diaboliquement génial, entre film de gangsters et tragédie antique. L’intrigue n’est pas simple à résumer, beaucoup de chassés croisés, mais on dira que ça se base sur le principe du casse qui foire. On a Louis Bertin, notable épanoui, propriétaire d’un garage automobile, qui gagne bien sa vie, costards taillés et maîtresse en fourrure, un homme bon avec sa vieille mère ("Moi, j'ai pas de vielle mère ?!!" admirable réplique chez Renoir...) Mais ce bourgeois le jour devient la nuit sous le pseudo de Louis le Blond le chef autoritaire d’une bande de gangsters. Avec Pepito Le Gitan, Fredo et Raymond ils viennent d’être tuyautés sur le braquage d’un fourgon. Un gros coup, après ça, Le Blond prend sa retraite…  
Dans ce genre d’histoire, y’a toujours un grain de sable : Pierre Bertin, le petit frère de Louis (Bozzuffi à l'écran). Il a des petits soucis avec la police, qui aimerait bien en faire un indic. Pierre surprend une conversation (on comprendra pourquoi) entre Louis et Pepito. Terrible la scène où Pepito (Lino Ventura carnassier) est à deux doigts de la gâchette.

faites pas chier Ventura
Entre les frangins les relations sont bonnes, Louis est protecteur, lui réserve un emploi dans son garage, mais les choses se gâtent à cause de la fiancée de Pierre : Hélène. C’est la jeune Annie Girardot qui s’y colle, craquante avec juste un haut de pyjama, on lui donnerait le bon Dieu sans confession, mais… Louis la sait infidèle (longue scène de balade au bois de Boulogne) et lui fera la leçon, leçon qui tient en peu de choses : une morlingue dans la gueule ! Hélène se vengera en racontant à Pierre que c’est Louis qui a voulu l’entreprendre.
Je parlais de tragédie parce que tous les éléments sont réunis : l’amour, la trahison, la vengeance, et une fratrie qui va se déchirer. Mais gare aux premières impressions… Grangier met en place les protagonistes et les situations. Jean Gabin fait du Gabin, maugréant, vitupérant, Lino Ventura est un chien fou, faut le voir flinguer à tout va, dézinguant avec jubilation deux motards, ou arrosant à la mitraillette les propriétaires d’une ferme. Tony Montana, à côté c’est Bambi. Quand il se mettra en chasse de Pierre Bertin, on ne donne pas cher du petit frère.
Vient le braquage. La séquence fait écho à TOUCHEZ PAS AU GRISBI, les bagnoles, la route de campagne, mais le montage est moins sec, ça filme un peu pépère à mon goût. Mais dans la voiture des gangsters s’y joue un autre drame : Fredo a la trouille de tuer du flic. Ca comptera pour la suite. Et puis cette image étonnante, les gangsters abandonnent leur traction Citroën criblée de balles pour un vieux tacot de paysan, avec attachée une remorque, et dans la remorque : une vache !

A partir de là le film devient extrêmement tendu. Pas simplement par l’aspect policier, mais aussi par ce qui se trame du côté de Pierre et Hélène, qui va s’avérer une véritable petite garce. Pierre est tiraillé. « C’est ton frère ou moi », lui crache Hélène à la figure. avec tout ce que cela implique derrière.
Grangier réussit de très belles scènes. Pierre sortant à tâtons de la chambre d’Hélène (un seul plan séquence), ce repas entre truands où il faudrait des fleurs parce que mince, y’a quand même une dame à table, la claque que Le Blond reçoit de sa mère car il venait de gifler son frère (incroyable réaction de Gabin, d’habitude c’est lui qui avoine !) ou celle au commissariat de police quand Le Blond reste imperturbable face aux preuves et témoignages fournis par les flics. La suite est un long compte à rebours pour démêler les embrouilles et éviter d’autres cadavres. Comme le dit un Fredo (Paul Frankeur) désespéré « on a trop tué, on a trop tué, on a trop tué » une litanie débitée par un homme brisé.
L’ultime séquence dans une cage d’escalier est incroyable, Grangier fait virevolter sa caméra, et surtout filme Gabin montant les étages, alors que l’acteur, plus tard, refusera de monter plus de trois marches dans un film. « Inutile de se fatiguer, dès la première marche on a compris que le gars va monter ! » disait-il à ses réalisateurs. Il n'avait pas tort, c'est l'intention qui compte. Sauf que là, la longue ascension, temps suspendu, ne fait qu’accroitre le suspens, la tension. Cette fin de film est juste incroyable, une tragédie j’vous dis !
J’adore ces films (bis). Une heure et demie au garrot, des voyous, des impers et chapeaux, des flingues, un peu d’argot (Audiard est sobre aux dialogues, ce n'est pas du Albert Simonin) des troquets, des tablées, du bœuf en daube, du Fernet-Branca, du rouge et du pastis, des p’tits jeunes qui ont déjà l’air vieux (Jean Pierre Mocky en figuration) et des liasses de billets format A4. 

Des polars du même millésime il y en a eu des masses, je pense que celui-ci est un des meilleurs crus. C’est dingue de penser que 3 ans plus tard des Godard et Truffaut vont s’emparer du genre, en révolutionnant la manière de faire, et dézinguant leurs ainés. C'est dans la logique des choses.

N’empêche, la tradition, ça a parfois du bon !

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la semaine prochaine : 
- pour les grands, les petits, et mêmes les animaux
- le film préféré de Liane Foly
- mais pas sûr que Woody Allen l'apprécie 

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noir et blanc  -  1h25  -  format 1:1.66       

2 commentaires:

  1. Where do you come from?
    London, England.
    And what's your name?
    Roger...Roger from Oz...

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  2. Magicien d'Oz ? Euh... non !

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