jeudi 14 mai 2020

BACH – Cantate BWV 170 – Le banquet céleste - Damien GUILLON (2012) - par Claude Toon




Damien Guillon
C'est jeudi, le jour du thème libre depuis le départ en tant que chroniqueur hebdomadaire de notre ami Rockin'. J'en profite pour vous donner de bonnes nouvelles de JL, il va fort bien. Il faut dire que le confinement dans sa jolie maison bretonne à deux pas de la mer pourrait faire des envieux. Pas tant que ça ; impossible d'aller faire courir son toutou jovial et sportif sur la plage…
Après la rubrique courrier du cœur, place à ce petit papier consacré à une cantate de Bach. Quatrième chronique dédiée à l'une des deux cents cantates sacrées qui nous sont parvenues. Les manuscrits d'un grand nombre ont disparu, hélas, j'en avais déjà parlé. Faut-il revenir sur la biographie de Bach alias le Cantor (de Leipzig), génie absolu du baroque tardif (1685-1750), au service de nobles catholiques ou protestants. Son poste le plus fécond sera celui de "Cantor" de Saint Thomas de Leipzig à partir de 1723. Longue et ultime période sans rupture pendant laquelle verront le jour ses plus grands chefs d'œuvres : les Passions, la quasi-totalité des cantates, et deux œuvres de musique pure, synthèse d'une vie d'expérience acquise dans la maîtrise du contrepoint (fugue, canon). Partitions sans réelle indication d'instrumentation : L'Art de la fugue et l'offrande musicale. (Index)
La forme des cantates sacrées évolue grandement suivant l'importance du jour du calendrier liturgique où on l'exécute. On trouvera dans l'index des références à des billets sur les cantates des fêtes fondamentales pour les chrétiens, catholiques ou réformés : L'oratorio  de Noël, recueil de six cantates pour la semaine de la nativité ; il en existe pour Pâques, pour l'Ascension, etc. Certaines sont imposantes comme la cantate "Ich hatte viel Bekümmernis" BWV 21 (3 solistes, chœur, effectif orchestral de type symphonique avec cuivres et timbales…). D'autres sont d'effectifs plus modestes, tel Actus Tragicus BWV 106 ne faisant appel qu'à un quatuor habituel de solistes, une poignée d'instruments et un petit chœur.  

Sainte Trinité - Andreï Roublev (1360/70-1730 environ)
Pour la cantate BWV 170 "Vergnügte Ruh, beliebte Seelenlust" (Repos béni, félicité de l'âme), on n'hésitera pas à parler d'intimisme : un seul chanteur, un(e) alto, cinq instruments : hautbois d'amour, deux violons, un alto, un orgue de préférence à un clavecin, et le continuo : viole de gambe, contrebasse et basson. En un mot, une cantate de chambre. Un ouvrage d'une vingtaine de minutes.

La cantate appartient à un groupe de trois cantates écrites sur un temps réduit et ne sollicitant que la voix d'alto. On s'interroge sur cette particularité. Bach était fort exigeant sur la qualité et la justesse des voix (masculines à l'époque). En cette troisième année de son séjour à Leipzig (1726), il semble que les chanteurs mis à sa disposition étaient médiocres. Bach n'aurait donc conservé qu'une voix d'alto pour la composition des cantates BWV 170BWV 35 et BWV  54 car disposant d'un chanteur virtuose dans cette tessiture. Il existe des albums réunissant les trois œuvres chantées par les grands contre-ténors en cette époque moderne de retour à l'authenticité du son et des options baroques. (Andreas Scholl et aujourd'hui le jeune et talentueux Damien Guillon).
Bach écrivit cette cantate pour le 6ème dimanche après la Trinité et la dirigea le 28 juillet 1726. Petit rappel sur la Sainte Trinité ; dans le christianisme, ce dogme qui s'est constitué par épisodes, de la rédaction de l'ancien Testament à Saint Thomas d'Aquin (XIIIème siècle) présente le Dieu unique (monothéisme) comme la coexistence fusionnelle et unitaire entre Dieu Le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Esprit Saint dont il est fait don aux apôtres le jour de la pentecôte (voir Acte des Apôtres). Ce dogme, catholique à l'origine, a été conservé lors de la création et de l'extension des Églises luthériennes. La Trinité est fêtée une semaine après la Pentecôte, le dimanche. Sa pertinence théologique fait encore débat, sans moi J.

La thématique générale du texte est extraite de Gottgefälliges Kirchen-Opffer du poète Georg Christian Lehms. En rapport avec les textes officiels du Nouveau Testament lus ce jour, le livret insiste sur la pratique assidue de la piété pour atteindre le paradis et non plonger en enfer. (Je joins une traduction du livret pour les curieux.) (Partition)
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Damien Guillon est un contre-ténor baroque français né à Rennes en 1981. Lors de la mue, à l'adolescence, le jeune chanteur se révèle doué pour le chant masculin dans l'aigu et travaillera assidûment cette faculté avec les meilleurs professeurs de la technique, suivant notamment les cours du contre-ténor allemand Andreas Scholl. Dès le début de sa carrière, il est sollicité par les grands chefs du chant baroque : Philippe Herreweghe, William Christie ou encore Hervé Niquet. En 2009, il fonde son ensemble baroque qu'il dirige tout en chantant, le Banquet Céleste qui l'accompagne et qu'il dirige dans cet album réunissant des cantates pour voix d'alto.
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La cantate comporte cinq mouvements : 3 arias entre lesquels s'intercalent 2 récitatifs. On appréciera le rôle important de l'orgue dans les airs 2 et 3. En fin de vie, Bach apportera une transcription pour flûte en adaptant la mélodie initialement dédiée à l'orgue, en prévision de lieu de culte sans orgue.
L'album réalisé en 2000 par Andréas Scholl et Philippe Herreweghe n'a pas pris une ride ; il est plus facile à trouver que celui de Damien Guillon chez 𝛂.



1 - Air [Alto]
Hautbois d'amour, violons et alto, continuo.
Repos délicieux, plaisir recherché de l'âme,
Tu ne peux pas être trouvé parmi les péchés de l'enfer,
Mais plutôt dans la concorde du paradis ;
Toi seul renforce le cœur faible.
Donc seuls les dons purs de la vertu
Auront une place dans mon cœur.

2 - Récitatif [Alto]
Continuo
Le monde, cette demeure du péché,
Surgit seulement dans des chants infernaux
Et tente par la haine et l'envie
De porter l'image de Satan sur lui-même.
Sa bouche est pleine du don de la vipère,
Qui souvent attaque mortellement l'innocent,
Et qui veut seulement dire "crétin !".
Dieu équitable, à quelle distance
S'est mise l'humanité de toi ?
Tu aimes, mais leur bouche
Ne prononce que des paroles de blasphème ou d'inimitié
Et ils souhaitent seulement piétiner un voisin.
Ah ! Ce crime est difficile à pardonner.

3 - Air [Alto]
Orgue, violons et alto, continuo.
Comme les cœurs pervertis m'affligent,
Eux qui sont, mon Dieu, tant en opposition avec toi ;
Je tremble vraiment et ressent un millier de douleurs,
Quand ils ne se délectent que dans la vengeance et la haine.
Dieu équitable, que peux-tu penser,
Quand avec leurs intrigues tout à fait sataniques,
Ils se moquent avec tant d'insolence de tes commandements
Ah ! Sans aucun doute tu as pensé :
Comme les cœurs pervertis m'affligent !
4 - Récitatif [Alto]
Violons, alto, Continuo
Qui dans ces circonstances
Voudrait vivre ici,
Quand seulement la haine et la souffrance
Sont vues à la place de l'amour de Dieu ?
Alors, puisque même mon ennemi,
Comme mon meilleur ami,
Je devrais l'aimer suivant le commandement de Dieu,
Aussi fuit-il,
Mon cœur, la colère et la rancœur
Et ne souhaite-t-il que vivre avec Dieu,
Qui est amour lui-même.
Ah, esprit rempli de clémence,
Quand la terre promise du ciel te sera-t-elle donnée ?

5- Air [Alto]
Orgue, Hautbois d'amour, violons et alto, continuo.
Je suis dégoûté de vivre plus longtemps,
Aussi emporte-moi loin d'ici, Jésus !
Je suis horrifié par tous les péchés,
Laisse-moi trouver cette habitation,
Où je pourrai être en paix.


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