samedi 18 avril 2020

BRAHMS – Double concerto pour violon et violoncelle – MUTTER / HORNUNG / JANSONS – par Claude Toon




- Allo…. Allo Claude… Allo-allo-allo…
- Scritch allo scatchischratschi Oui je entends Sonia… Là c'est mieux… Utilise Facebook, ça marche pas trop mal ce matin…
- En effet… Dit, c'est normal qu'il n'y ait pas de pochette de disque en tête d'article cette semaine Claude ?
- Oui, à un disque antique, même de qualité, j'ai préféré ce beau concert récent avec des virtuoses de notre temps, Anne-Sophie Mutter n'est pas non plus une débutante !
- Il parait que ce concerto n'est pas le meilleur de Brahms ; une partition pour faire plaisir à des potes…
- Houlà, dans le catalogue de la maturité de Brahms, on oscille entre le génial, le 2ème concerto pour piano, et l'excellent même si divertissant comme ce double concerto…
- On le trouve souvent couplé avec le triple concerto de Beethoven, on peut dire que dans les deux cas, des œuvres marquantes pour des virtuoses…
- Oui, il y a de cela… La musique classique peut offrir de bons moments en faisant fi de métaphysique ; et le plaisir bordel pour parodier un titre de film…

Brahms a composé quatre concertos dont deux pour piano. Le 1er en début de carrière, il a 26 ans, un concerto de grande ambition mal compris par le public de l'an 1859 dérouté par la puissance symphonique qui fait jeu égal avec le soliste. Clara Schumann le jouera dans les années suivantes pour assurer la promotion de ce chef-d'œuvre olympien… Plus de vingt ans plus tard, en 1881, le second concerto, encore plus ambitieux, en quatre mouvements tels ceux d'une symphonie classique, rencontre d'emblée un vif succès. Les deux concertos ont été commentés ces années passées (Index). Le célèbre concerto pour violon a été composé peu de temps avant le second pour piano, en 1878. Quel violoniste ne l'a pas interprété ? Un ouvrage populaire avec son final aux accents tziganes, une discographie plus que pléthorique… Bien entendu, un billet a été consacré à ce concerto romantique, poétique et survolté, dans l'interprétation d'Hilary Hahn avec Neville Marriner (Clic), un disque qui concurrence les meilleures gravures historiques. Ce concerto était dédicacé au célèbre virtuose Joseph Joachim.

En 1887, Brahms est l'un des monstres sacrés du monde musical à Vienne. Le double concerto sera sa dernière composition symphonique avec le N° d'opus 102. Il lui reste dix ans à vivre, mais comme souvent commenté dans ces pages, il achèvera sa carrière en se consacrant essentiellement à la musique de chambre dont des œuvres pour clarinettes, modèles du genre. La genèse du concerto est pittoresque.
Initialement, Brahms pense écrire un concerto pour violoncelle pour son ami Robert Haussmann (1852-1909). Mais par ailleurs, il s'était brouillé un temps avec Joseph Joachim. En un mot et pour Rockin : Brahms avait pris fait et cause pour Amalie Schneeweiss, cantatrice et épouse de Joachim alors que le couple était en cours de divorce, Monsieur reprochant les infidélités de Madame, Brahms la pensait "innocente". L'affaire close et les esprits calmés, Brahms souhaite renouer avec son ex-ami, il propose d'écrire aussi son concerto pour le violon. Joachim accepte, et le concerto pour violon et violoncelle pourra voir le jour. Non JL, je n'ai pas trouvé les infos dans Gala ou Closer, les dentistes sont fermés en cette période de pandémie.
Le concerto est rapidement composé et créé le 18 octobre 1887. Brahms dirige l'Orchestre du Gürzenich de Cologne. Joseph Joachim et Robert Haussmann jouant bien entendu les parties solistes… Lla forme concerto pour plusieurs instruments est passée de mode au XIXème, hormis le triple concerto de Beethoven, on n'en trouve peu qui soient restés marquants. L'époque classique est plus féconde : des brandebourgeois de Bach à la symphonie concertante de Mozart… Curieusement, l'accueil est plutôt froid. Clara Schumann le trouve tristounet, et le critique Richard Specht (1870-1932) déplore la forme passéiste indigne du talent de Brahms… Ce dernier, vexé, détruira le manuscrit de l'ébauche d'un second concerto pour le même duo de cordes… Dommage ! Pourtant, plus tard, d'autres critiques sauveront ce concerto de la relégation comme œuvre mineure, ainsi, Donald Tovey (1875-1940) écrira à son propos : "grande œuvre pleine d'humour".

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Voici donc un live de l'orchestre de la radiodiffusion bavaroise donné en 2015 à la Herkulessaal de Munich sous la direction de Mariss Jansons que je ne présente plus dans ce blog ; pour rappel le chef letton nous a quittés le 30 novembre dernier à seulement 73 ans (Clic). Au cas où, rendez-vous à l'article consacré à un concert en live et disponible en DVD pour plus ample connaissance du maestro (Clic).  
Anne-Sophie Mutter fait son entrée au "panthéon" du Deblocnot (n'ayons pas peur des mots). Pardon Luc ? Il n'y a plus de place… Une forte personnalité et une artiste de grand talent. Le temps passe, je m'aperçois qu'Anne-Sophie est née en 1963 en Allemagne. C'est une gamine surdouée qui apprend sans difficulté le piano et le violon. À 13 ans, elle est remarquée par Herbert von Karajan qui aimait se mêler incognito au public des concerts, en chasse de jeunes talents (une fausse barbe ? Karajan incognito, dans les années 70…). Le maestro l'invite dans la foulée à jouer avec la Philharmonie de Berlin… La même année et la suivante, elle participe au festival de Salzbourg et est invitée à se produire à Londres par Daniel Barenboïm.
Vue sa précocité, Anne-Sophie a plus de quarante ans de carrière à son actif dans un répertoire qui s'étend du baroque à Penderecki décédé la semaine passée à 87 ans (pas du COVID-19). Très impliquée dans la vie musicale contemporaine, on lui doit de nombreuses créations dont le concerto pour violon du chef, pianiste et compositeur André Previn qui fût son second mari (séparés en 2006). Anne-Sophie a été mariée à Detlef Wunderlich, un avocat (1955-1995) qui lui a donné deux enfants.
Quelques anecdotes : en 1985, la jeune femme a 22 ans, elle doit jouer à Munich le difficile concerto de Sibelius. Sergiu Celibidache qui a déjà éconduit Dieu des lieux la vire, estimant qu'elle n'a pas le niveau !!! Sacré Sergiu ! Pour le cent cinquantenaire du compositeur, elle l'interprétera à Amsterdam avec Andris Nelsons entendu il y a deux semaines.
Autre histoire piquante : en 2019, la virtuose exécute le concerto de Beethoven avec l'orchestre de Cincinnati quand elle voit une spectatrice la filmer avec son portable ! Elle stoppe net et menace de quitter la scène et se crêpe le chignon avec cette femme qui sera exfiltrée par la sécurité, le public applaudit cette évacuation. Anne-Sophie s'expliquera à propos de ce qui semble un caprice de star ; en quelques mots : elle vit très mal ce qui lui semble une trahison de la partition de Beethoven, de ses quarante ans de travail avec son stradivarius pour donner le meilleur de l'œuvre et des ingénieurs du son qui, en studio, règlent les micros au mm près. Elle ne peut supporter de voir le résultat circuler sur le web avec un son pourri, une musique brouillonne et sans timbre. Les critiques, les mélomanes et moi-même en personne partageons parfaitement cette opinion. Quid de la vie du concert ? Une opinion valable pour tous les genres de musique.
La discographie de la violoniste est immense. Elle a enregistré avec brio les grands concertos du répertoire avec Karajan, des disques toujours au catalogue, dont le double concerto de Brahms avec le violoncelliste António Meneses.

Pour ce concert, la partie de violoncelle est tenue par un jeune soliste allemand, Maximilian Hornung, né en 1986. Moins de trente ans en 2015. En 2009, il est nommé violoncelliste solo de l'orchestre de la radiodiffusion bavaroise. Parallèlement, il commence une carrière soliste, propulsé au premier rang par Bernard Haitink et Daniel Harding. Sa discographie déjà étoffée comporte une gravure de Don Quichotte de Richard Strauss et aussi un enregistrement du quintette la truite de Schubert avec au violon… Anne-Sophie Mutter.
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L'orchestration est identique à celle d'une symphonie de Beethoven : 2/2/2/2, 4 cors, 2 trompettes, timbales, cordes. (Partition)

Robert Haussmann
1- Allegro : [1:15] Dans son second concerto pour piano, Brahms avait abandonné le principe d'une vaste introduction symphonique précédant l'entrée du soliste. Certes l'idée n'était pas nouvelle puisque Beethoven l'avait eue dès le début du romantisme avec son 4ème concerto pour piano. Adepte d'un classicisme Brahms ? Oui mais très "néo", amateur de fantaisies. La très brève introduction du double concerto en témoigne : 4 mesures ! Deux pour lancer la cavalerie orchestrale par la répétition d'une vigoureuse cellule scandée et en tutti, puis deux autres mesures ébauchant un motif ascendant et arpégé et bien rythmé par quatre triolets aux flûtes et aux violons… Un début un peu fou, en do majeur, brillant en un mot. [1:24] Le violoncelle aura l'honneur du premier solo, fort long (21 mesures si mes yeux ne me trahissent pas face à une partition bien jaunie J) Et oui, le violoncelle est à l'honneur, n'oublions pas que ce concerto devait lui être dédié… Brahms avait-il déjà en tête où sur un manuscrit ébauché cette idée à une époque où le violon reste le prince parmi les cordes. Une thématique alternant vaillance et arpège préfigure la vitalité bonhomme du concerto. Maximilian Hornung fait chanter la ligne mélodique si brahmsienne par son élégance : quelques traits épiques, un soupçon d'élégie et un passage en pizzicati pour épicer le propos. [2:41] La clarinette puis un petit choral de bois énonce un nouveau motif repris par le violon solo qui doit se contenter de briller pendant cinq mesures seulement ! Un arpège descendant invite le violoncelle à le rejoindre pour un duel qui gagne en combativité, mais avec amabilité. On savoure le timbre chaleureux et viril du stradivarius d'Anne-Sophie Mutter et le jeu sans aucune préciosité ni de vibrato dissimulant une justesse approximative chez les violonistes qui n'ont pas la virtuosité de cette grande dame…
[3:48] À partir du motif des cellules introductives, l'orchestre s'élance dans un premier développement aux accents chevaleresques. [5:49] Le retour des deux solistes signe la fin de la présentation des matériaux qui vont parcourir le très vaste allegro. Moins élaboré et saisissant que le second concerto pour piano, certes, le double concerto développe dans son allegro initial une forme sonate classique quoique facétieuse. Un allegro offrant le beau rôle au violoncelle, le violon ayant pour rôle principal de rejouer dans des couleurs plus légères la ligne mélodique, on ne peut le nier ; le petit point faible de l'œuvre qui brille pourtant par sa verve romanesque. [17:44] On notera de-ci delà des citations plus nostalgiques.

2 – Andante : [18:52] Le mouvement lent est annoncé par deux accords aux deux cors en ré, accords repris par la petite harmonie. Pas de préséance cette fois-ci, les voix du violoncelle et du violon se conjuguent pour jouer le thème principal à l'unisson. L'orchestre ne s'oppose pas à ce beau duo nostalgique mais l'accompagne doucement, sans gravité, bénéficiant pour cela de sa noble tonalité de ré majeur. [20:06] l'harmonie énonce une seconde idée. Il règne une poésie nocturne dans cet andante. On a rarement entendu la musique de Brahms aussi heureuse, sans ombre… [23:18] Le développement central apporte une très brève évasion empreinte de pathétisme.

3 - Vivace non troppo : [26:44] Le final commence par un solo vif-argent et saccadé du violoncelle (en principe accompagné des deux bassons, hélas on ne les entend guère). Le violon donne la réplique en rejouant ce thème joyeux puis l'orchestre fera de même. Brahms a choisi une forme rondo soit une structure sonate de construction assez libre qui nous fait penser à une suite de variations guillerettes et énergisantes. Pas une imagination folle mais une chevauchée débridée émaillée de dialogues enjoués entre les solistes et l'orchestre, la quintessence de la forme concertante. Un concert de grande classe assurément.


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La discographie de ce concerto stupéfie ! Elle ferait concurrence à celle des quatre saisons de Vivaldi ou aux musts de Beethoven… L'un des plus anciens enregistrements date de 1929 et réunissait Jacques Thibault et Pablo Casals qui dirigait l'orchestre. Quant aux virtuoses de l'archet, ils ont tous abordé l'œuvre, certains plusieurs fois, trois fois pour les violonistes Isaac Stern ou David Oïstrakh, autant pour les violoncellistes Mstsislav Rostropovitch et Paul Tortelier. Les associations se faisant ou se défaisant sur presque un siècle d'enregistrement. Avec l'arrivée du CD, le couplage triple concerto de Beethoven et double concerto de Brahms est très favorisé (euphémisme). On a un choix dément pour une œuvre très populaire. (Liste non exhaustive)
Je suggère trois CD qui ne déçoivent jamais, il y en d'autres surement 
En 1961 (Beethoven) et 1962 (Brahms) Ferenc Fricsay, grand maestro hongrois trop tôt disparu enregistre les deux concertos et réunit Wolfgang Schneiderhan au violon, János Starker au violoncelle, Geza Anda sera leur complice au piano. Il dirige l'Orchestre de la Radio-Symphonique Berlin (DG – 5/6)
En novembre 2019, je vous ai parlé des péripéties cocasses entourant la captation de 1969 du triple concerto pour EMI, Oïstrakh, Rostropovitch, Richter et la Philharmonie de Berlin dirigée par Karajan. On peut supposer que le double concerto a été enregistré avec le même casting dans la foulée… Et Non ! On retrouve Oïstrakh et Rostropovitch mais ici accompagné par George Szell et l'orchestre de Cleveland. Le chef hongrois naturalisé américain n'essaye pas, contrairement à son collègue autrichien, de viser la première place du podium et du coup l'intérêt du disque repose plutôt sur le complément que l'enregistrement phare (EMI – 5/6).
Aller, on ne peut pas bouder le très logique trio qui rassemble Karajan avec sa protégée Anne-Sophie Mutter et Antônio Meneses, au violoncelle. Un atout pour ce disque, et de taille : le concerto pour violon de Brahms olympien sous les doigts de la jeune virtuose, gravure numérique. (DG – 6/6)


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