vendredi 27 mars 2020

TIREZ SUR LE PIANISTE de François Truffaut (1959) par Luc B.


C’est le deuxième long métrage de François Truffaut, tourné en novembre 1959, six mois après la sortie à Cannes de LES 400 COUPS, immense succès qui a fait de son auteur une star mondiale. Et ce film est l’histoire d’un échec, d’un personnage qui rate tout. Après un premier film très autobiographique, Truffaut adapte un polar américain de David Goodis, mais y injecte beaucoup de sa vie, de son rapport aux femmes, de sa personnalité. Comment ne pas voir dans le chétif Charles Aznavour, son acteur, la doublure de Truffaut lui-même.
TIREZ SUR LE PIANISTE est l’histoire d’un timide : Charles Kolher, pianiste de bar. Il végète, le regard las, mollasson dans ses relations, transparent. Il y a deux personnages de femme dans le film, deux figures. Clarisse, sa voisine, prostituée, qui couche avec lui gratos après sa journée de travail, elle troque à l’occasion ses talons haut pour des pantoufles. Et cette scène géniale : Charles et Clarisse sont au pieu, ils sont nus. Cadré en plan rapproché, Truffaut filme les seins de Clarisse sans la moindre pudeur, superbe de naturel. Charles lui remonte les draps sur les seins, prétextant : « Au cinéma, c’est comme ça qu’on fait ». Contraint par la censure de raccourcir la scène, le film sera interdit aux moins de 18 ans, pour une paire de (belles) miches… Clarisse est jouée par Michèle Mercier, future vedette d’ANGELIQUE MARQUISE DES ANGES.
La pute, la confidente, la femme maternelle et charnelle d’un côté, et de l’autre Hélène : la figure romantique, pure, le grand amour inaccessible, jouée par la divine Marie Dubois, serveuse dans le troquet où joue Charles, et secrètement amoureuse. Ils vont nouer une relation, mais Hélène qui sent son partenaire frileux dans ses sentiments, lui dira : «  le jour où tu m’aimeras plus, préviens-moi à temps, que je ne souffre pas ». Et ces deux-là vont être embarqués dans une même galère…
On est dans une Série Noire, un film de gangsters. Charles va tremper dans les sales histoires de son frangin Chico (Albert Rémy, magnifique second rôle vu partout) qui a piqué du fric à deux complices. Qui s’en prendront à Charles d’abord, puis à Hélène, et à Fido, son jeune frère. Des gangsters de pacotille. Truffaut s’amuse avec les codes du genre, trench-coat de circonstance, chapeaux mous, poursuites, fusillades, mais on n’y croit pas trop. La scène de l’enlèvement en voiture avec les motards est juste croquignolesque, mais peu importe. Le duo de tueurs Momo et Ernest (ce dernier joué par Daniel Boulanger, écrivain, poète, donc acteur amateur) me font penser aux deux pieds nickelés Travolta / Jackson de PULP FICTION, sans doute pas un hasard.
Ce qui intéresse vraiment Truffaut, c’est la mise en scène, le rythme, les ruptures de ton. Pour illustrer la timidité de Charles Kohler, Truffaut fait quatre gros plans distincts de son doigt quand il doit appuyer sur la sonnette du bureau de Lars Schmeel, son imprésario, pour marquer visuellement l’hésitation. Il filme la chaleur des concerts dans le troquet, la froideur d’un meurtre dans une arrière cours (entre Kolher et le patron du bistro) il filme Levallois-Perret (futur siège des Balkany !) et la campagne enneigée des Alpes. Et embauche Raoul Coutard, chef op’ de Godard sur A BOUT DE SOUFFLE, inscrivant son film dans  le style Nouvelle Vague, tourné en son témoin, puis post-synchronisé.
La Nouvelle vague doit beaucoup à ce directeur photo, un rustre de talent, instinctif, qui ne veut pas s’emmerder à régler des lumières artificielles pendant des plombes et filme en lumière naturelle, caméra à l’épaule. Ca donne ce côté rustre, râpé, amateur diront certains, comparé aux codes de l’époque Borderie, Verneuil, Grangier. Les scènes finales de fusillades dans la neige ont cette apprêté, cette tonalité improvisée et tragique que personnellement j’apprécie.
Parmi ces moments de rupture, il faut parler de cette scène dans le bar où Bobby Lapointe interprète in extenso sa chanson « Avanie et Framboise ». Truffaut l’avait repéré et apprécié dans un cabaret et l’a intégré à son film, le rythme de ses chansons s’accordant à celui du film. Le producteur Pierre Braunberger n’entravait que dalle aux paroles. Comme une boutade, il lance « soit tu la coupes, soit tu sous-titres ». Truffaut reprend l’idée, et sous-titre la chanson !
Le film se divise en trois parties. Car l’histoire incorpore un long flash-back central. Pourquoi Charles Kolher atterrit dans ce rade miteux pour jouer du bastringue ? Sous le nom de scène d’Edouard Soroyan, il avait été un concertiste de renom. Le contrat qu’il avait signé avec son imprésario, il apprendra qu’il le doit moins à son talent, qu’à ceux de sa première épouse, qui accepta de coucher avec Lars Schmeel. Quand il l’apprend, c’est la déflagration. Les conséquences seront tragiques.    
TIREZ SUR LE PIANISTE n’est pas le film le plus emblématique de Truffaut, mais c’est un film que j’aime beaucoup par sa liberté de ton, direct et sans filtre, un film daté dans le bon sens du terme, révélateur de cette nouvelle génération de cinéastes, mais moins iconique qu’A BOUT DE SOUFFLE de Godard, dont il partage pourtant la même fraicheur instinctive. Charles Aznavour y trouve un de ses meilleurs rôles, chien triste et paumé, tendre et sensible, Marie Dubois est à croquer. Commercialement, ce fut un échec. Truffaut, dévasté, se consolera dans les bras de Jeanne Moreau, alors égérie de Louis Malle, à qui il offrira deux ans plus tard JULES ET JIM. Et c’est une autre histoire… 

Truffaut débutait alors sa carrière, il la clôturera en 1983 avec VIVEMENT DIMANCHE, autre adaptation d'un polar américain, en noir et blanc, s'amusant des codes du genre. La boucle était bouclée. 


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Et y'a quoi au programme la semaine prochaine ?
1)  le film d'un américain qu'on croit anglais qui a tourné en français
2)  y'a plein d'acteurs connus dont Alain Delon
3)  côté poilade, c'est pas trop ça   


 
Noir et blanc – 1h20 – format dyaliscope 1 :2.35    

La bande annonce originale, puis l'extrait avec Bobby Lapointe.

4 commentaires:

  1. Y'a le Vel d'Hiv éclairé par une étoile jaune dedans?

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  2. T'es trop fort ! Si je pense à ce que tu penses. La semaine suivante on va corser le jeu...

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  3. Ok!
    Sinon, si tu manques d'idées, une chronique sur Blow Up d'Antonioni?...
    (et là on disserte jusqu'à la fin du confinement...).

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  4. Je ne l'ai pas dans ma collec...

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