Cette
chronique sera l’occasion de parler de Roger Corman, personnage emblématique du
cinéma bis, à ce jour encore vaillant, 93 ans aux prunes. Producteur,
réalisateur, acteur, il a lancé la carrière de toute une génération dans les 60’s,
de Coppola à Scorsese, Joe Dante à Bogdanovich. Spécialiste des films fauchés,
séries B ou carrément Z, le principe était simple : un budget minimal,
quelques jours de tournages en équipe réduite (il pouvait tourner 5 ou 6 films
par an !) réalisations improvisées avec son lot de faux raccords et d’effets
spéciaux foireux mais on s’en fout, faut aller vite, des sujets proches du
fantastique ou de l’horreur.
Parmi
ses titres de gloire, LA CHUTE DE LA MAISON USHER (1960, d’après Edgar Poe,
dont il fera beaucoup d’adaptations) LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS avec le
jeune Nicholson, LES ANGES SAUVAGES (1966) un film de bikers anarchistes avec
Peter Fonda, THE TRIP (1967) avec le même, expérience psychédélique précurseur
de EASY RIDER. On lui doit des trucs du genre L’ATTAQUE DES CRABES GEANTS, LA
CHAMBRE DES TORTURES, ENTERRE VIVANT, LA CREATURE DE LA MER HANTEE (petite photo à gauche, et non, ce n'est pas un extrait de 1 rue Sésame), LE VAMPIRE
DE L’ESPACE, n’en jetez plus !
Il
fait tourner les vieilles gloires passées comme Boris Karloff, Peter Lorre, Vincent Price,
dont il rogne les salaires. Son autobiographie s’appelle « Comment j’ai
fait une centaine de films à Hollywood sans perdre un centime » : tout un programme ! Roger Corman travaillait hors système, en indépendant,
grâce à sa maîtrise des budgets les Studios lui fichaient une paix royale, il
avait une liberté de ton enviée par beaucoup. Une fois devenus célèbres, ses
poulains ont payé leur tribu en le faisant jouer, on l’aperçoit dans LE PARRAIN
II, LE SILENCE DES AGNEAUX, APOLLO 13 ou SCREAM. On pourrait faire un parallèle
avec Jean Pierre Mocky, à ceci près que Corman produisait aussi les films des
autres (plus de 400 !) il a aussi distribué aux USA les premiers Truffaut,
Godard… On le surnomme le pape de la pop-culture.
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THE
INTRUDER (1962) fait presque exception dans sa filmographie. Un film sérieux,
techniquement maîtrisé, qui aborde de front un sujet sensible : le
racisme.
Adam
Cramer, débarque dans une petite ville ségrégationniste du sud, et séduit très
vite par son charme, sa finesse d’esprit, son bagou. Il se lie avec un voyageur
de commerce, dont il séduira la femme. Une femme atteinte d’une maladie dixit
le mari, elle est... nymphomane. La scène entre ces deux-là, dans une chambre d’hôtel
détonne pour cette époque, affable et courtois dans son complet blanc
impeccablement repassé, Cramer agit en prédateur, en violeur.
On
comprend vite qu’Adam Cramer est un agitateur. Un décret nouvellement voté
autorise désormais les Noirs à fréquenter le lycée. Cramer persuade le notable
du coin Verne Shipman de soulever la population face à ce fléau. « Ils
iront à l’école, puis quoi ? Inviter vos filles à sortir et les violer ? ».
Voilà à peu près les arguments avancés, et la populace chauffée à blanc (sic) redouble
de violence contre la communauté noire, regroupée en ghetto. Seul Tom McDaniel,
journaliste, s’oppose à cette violence, ces lynchages, manifestations du KKK
local, avec croix enflammées et attentats à la bombe.
Ce
que montre Roger Corman, très efficacement, c’est l’engrenage de la violence,
la propagande, la manipulation des esprits. Cramer ira jusqu’à persuader la
fille du progressiste McDaniel, de tendre un
piège à un étudiant noir pour l’accuser de viol. On remarquera que dans
l’esprit pervers de Cramer, sexe et violence ne font qu’un. Son emprise sur la
femme du colporteur comme de la population témoignage du même processus, il pervertit,
exulte, jouit, et finit par perdre le contrôle de la situation.
C’était
gonflé à l’époque de traiter ce type de sujet. Quand Roger Corman débarque dans
cette ville du Missouri pour tourner, la population locale ignore le réel sujet
(le scénario validé était un leurre). Corman devra feinter, voler des plans, et
surtout déguerpir vite fait dès le dernier tour de manivelle ! Le film, loin
des discours conformistes, n’élude rien de la sauvagerie humaine. Il sera
censuré par le distributeur. C’est le seul échec commercial de Roger Corman, mais
son film préféré, le plus personnel.
La
photographie est superbe, les focales courtes donnent une nette profondeur de
champ, Corman multiplie les angles de vue, notamment les contre-plongées qui
accentuent le pouvoir démoniaque de Cramer sur les habitants. Le montage est
sec, chaque scène va à l’essentiel. Cramer et sa belle gueule, sa chemise
propre et son sourire de playboy est
joué par le débutant à l’écran William Shatner, futur commandant Kirk du
feuilleton STAR TREK. Sa composition est superbe, fine, il ne surjoue pas les monstres,
il distille son venin, entoure ses proies avant de les étouffer.
THE
INTRUDER est un brûlot politique qui n’a rien perdu de son impact. Il dénonce
la dérive du populisme, et 60 ans plus tard, même avec des moyens de
communication modernes, ces rouages malfaisants et leurs conséquences restent d’actualité.
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