vendredi 6 mars 2020

THE INTRUDER de Roger Corman (1962) par Luc B.


Cette chronique sera l’occasion de parler de Roger Corman, personnage emblématique du cinéma bis, à ce jour encore vaillant, 93 ans aux prunes. Producteur, réalisateur, acteur, il a lancé la carrière de toute une génération dans les 60’s, de Coppola à Scorsese, Joe Dante à Bogdanovich. Spécialiste des films fauchés, séries B ou carrément Z, le principe était simple : un budget minimal, quelques jours de tournages en équipe réduite (il pouvait tourner 5 ou 6 films par an !) réalisations improvisées avec son lot de faux raccords et d’effets spéciaux foireux mais on s’en fout, faut aller vite, des sujets proches du fantastique ou de l’horreur.
Parmi ses titres de gloire, LA CHUTE DE LA MAISON USHER (1960, d’après Edgar Poe, dont il fera beaucoup d’adaptations) LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS avec le jeune Nicholson, LES ANGES SAUVAGES (1966) un film de bikers anarchistes avec Peter Fonda, THE TRIP (1967) avec le même, expérience psychédélique précurseur de EASY RIDER. On lui doit des trucs du genre L’ATTAQUE DES CRABES GEANTS, LA CHAMBRE DES TORTURES, ENTERRE VIVANT, LA CREATURE DE LA MER HANTEE (petite photo à gauche, et non, ce n'est pas un extrait de 1 rue Sésame), LE VAMPIRE DE L’ESPACE, n’en jetez plus !
Il fait tourner les vieilles gloires passées comme Boris Karloff, Peter Lorre, Vincent Price, dont il rogne les salaires. Son autobiographie s’appelle « Comment j’ai fait une centaine de films à Hollywood sans perdre un centime » : tout un programme ! Roger Corman travaillait hors système, en indépendant, grâce à sa maîtrise des budgets les Studios lui fichaient une paix royale, il avait une liberté de ton enviée par beaucoup. Une fois devenus célèbres, ses poulains ont payé leur tribu en le faisant jouer, on l’aperçoit dans LE PARRAIN II, LE SILENCE DES AGNEAUX, APOLLO 13 ou SCREAM. On pourrait faire un parallèle avec Jean Pierre Mocky, à ceci près que Corman produisait aussi les films des autres (plus de 400 !) il a aussi distribué aux USA les premiers Truffaut, Godard… On le surnomme le pape de la pop-culture.

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THE INTRUDER (1962) fait presque exception dans sa filmographie. Un film sérieux, techniquement maîtrisé, qui aborde de front un sujet sensible : le racisme.  
Adam Cramer, débarque dans une petite ville ségrégationniste du sud, et séduit très vite par son charme, sa finesse d’esprit, son bagou. Il se lie avec un voyageur de commerce, dont il séduira la femme. Une femme atteinte d’une maladie dixit le mari, elle est... nymphomane. La scène entre ces deux-là, dans une chambre d’hôtel détonne pour cette époque, affable et courtois dans son complet blanc impeccablement repassé, Cramer agit en prédateur, en violeur.
On comprend vite qu’Adam Cramer est un agitateur. Un décret nouvellement voté autorise désormais les Noirs à fréquenter le lycée. Cramer persuade le notable du coin Verne Shipman de soulever la population face à ce fléau. « Ils iront à l’école, puis quoi ? Inviter vos filles à sortir et les violer ? ». Voilà à peu près les arguments avancés, et la populace chauffée à blanc (sic) redouble de violence contre la communauté noire, regroupée en ghetto. Seul Tom McDaniel, journaliste, s’oppose à cette violence, ces lynchages, manifestations du KKK local, avec croix enflammées et attentats à la bombe.
Ce que montre Roger Corman, très efficacement, c’est l’engrenage de la violence, la propagande, la manipulation des esprits. Cramer ira jusqu’à persuader la fille du progressiste McDaniel, de tendre un  piège à un étudiant noir pour l’accuser de viol. On remarquera que dans l’esprit pervers de Cramer, sexe et violence ne font qu’un. Son emprise sur la femme du colporteur comme de la population témoignage du même processus, il pervertit, exulte, jouit, et finit par perdre le contrôle de la situation.
C’était gonflé à l’époque de traiter ce type de sujet. Quand Roger Corman débarque dans cette ville du Missouri pour tourner, la population locale ignore le réel sujet (le scénario validé était un leurre). Corman devra feinter, voler des plans, et surtout déguerpir vite fait dès le dernier tour de manivelle ! Le film, loin des discours conformistes, n’élude rien de la sauvagerie humaine. Il sera censuré par le distributeur. C’est le seul échec commercial de Roger Corman, mais son film préféré, le plus personnel.
La photographie est superbe, les focales courtes donnent une nette profondeur de champ, Corman multiplie les angles de vue, notamment les contre-plongées qui accentuent le pouvoir démoniaque de Cramer sur les habitants. Le montage est sec, chaque scène va à l’essentiel. Cramer et sa belle gueule, sa chemise propre et son  sourire de playboy est joué par le débutant à l’écran William Shatner, futur commandant Kirk du feuilleton STAR TREK. Sa composition est superbe, fine, il ne surjoue pas les monstres, il distille son venin, entoure ses proies avant de les étouffer.
THE INTRUDER est un brûlot politique qui n’a rien perdu de son impact. Il dénonce la dérive du populisme, et 60 ans plus tard, même avec des moyens de communication modernes, ces rouages malfaisants et leurs conséquences restent d’actualité.
Noir et blanc  -  1h20  -  format 1 :1.85

 

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